Prenez un salon virtuel de généalogie organisé en soixante-dix jours par une équipe de cinq bénévoles surmotivés[1].
Ajoutez cent cinquante exposants, trente conférenciers, quelques animations.
Communiquez largement via les réseaux sociaux.
Laissez trépigner d’impatience les amateurs de généalogie privés de tout salon réel depuis plusieurs mois.
Lancez l’ouverture officielle à 9 heures dans la joie et la bonne humeur...
Et vous obtenez des serveurs saturés, des visiteurs frustrés de ne pas pouvoir accéder au salon et donc d’entrer en contact avec les exposants aux profils divers et variés, qui, de leurs côtés, s’étonnent voire s’agacent de ne pas pouvoir communiquer facilement avec les quelques visiteurs venus leur rendre visite…
Les conférences, bien qu’accessibles sans avoir besoin de se connecter, ont tout autant été prises d’assaut, et y assister sur le site du salon a également été compliqué[2]. Certaines étaient techniques, d’autres plus récréatives. Certains conférenciers ont su tenir en haleine leur auditoire, d’autre se sont me semble-t-il parfois un peu trop éloignés de leur résumé alléchant. Certains conférenciers avaient joué le jeu du direct mais ont été confrontés aux « joies » de ses problèmes techniques. D’autres avaient enregistré leur intervention, limitant les échanges avec les auditeurs qui devaient se rendre sur le stand de l’exposant à l’issue de la conférence.
Alors que penser de cette journée finalement ?
Une réussite ? Sans aucun doute... mais probablement pas à 100%... Une déconvenue ? Partiellement... Des découvertes ? Enormément ! De la frustration ? Un peu trop… Du partage ? Pas suffisamment.
Comme pour toute première, il est difficile d’être au top. L’équipe organisatrice, loin de s’imaginer une telle affluence (5000 visiteurs uniques !), n’avait pas dimensionné ses serveurs en conséquence. Malgré ses interventions pour augmenter les capacités de ceux-ci, malgré sa réactivité pour répondre aux diverses sollicitations, la situation est restée compliquée pendant toute la durée du salon.
Mais n’oublions pas que ce salon a été organisé en deux mois et qu’il était entièrement gratuit pour tous, tant les exposants que les visiteurs[3].
Si une certaine déception est compréhensible, restent tous les aspects positifs d'un salon de généalogie dont le dernier remontait à plus de trois mois alors qu'en situation normale, quasiment chaque week-end voit un salon se tenir en France. Aussi, peut-on remercier et féliciter les organisateurs de leur initiative et de leur investissement. On ne peut pas être parfait du premier coup, et je ne doute pas que l’équipe, si elle souhaite renouveler l’expérience, saura tirer les enseignements des différents couacs rencontrés au cours de la journée pour s’améliorer.
De mon côté, il s’agissait de mon premier salon en tant qu’exposante, sachant que je n’en suis encore qu’à la phase projet d’une future activité : proposer des jeux de société personnalisés avec la généalogie de chacun. Je remercie d'ailleurs encore les organisateurs de m'avoir donné l'opportunité de tenir un stand. A la fin de la journée, je n’avais pas atteint mon objectif en terme de visites reçues et d’échanges avec autrui. La faute sans doute aux difficultés de connexion au salon et au concept-même de salon virtuel qui rend les contacts et les échanges moins aisés qu'en face-à-face. Mais aussi la faute à moi-même qui manque d’expérience dans le domaine. Je retiens en tous cas un échange très intéressant avec Marie-Claire Prestavoine de Racines voyages, agence de voyage spécialisée dans le tourisme généalogique, permettant notamment aux Canadiens de découvrir leurs racines jusque dans le petit village de l’ancêtre français fondateur parti s’installer en Nouvelle-France. Outre un échange sur nos activités, Marie-Claire m’a permis de réfléchir à plusieurs points auxquels je n’avais pas pensé tout en me donnant différents conseils. Je la remercie encore de la longue discussion que nous avons eue, et j’espère que nous aurons l’occasion d'échanger de nouveau voire même de collaborer.
Et pour tous ceux qui n’ont pas pu venir sur mon stand, vous pouvez voir sur ma page dédiée à mes jeux de société un aperçu de deux prototypes de jeu que je proposerai. N’hésitez pas à me contacter pour en savoir plus. C’est avec plaisir que j’échangerai avec vous à ce sujet.
Source de l’illustration : salonvirtueldegenealogie.com
]]>D’un côté, prenez un salon virtuel de généalogie, une idée originale en train de devenir réalité puisqu’il se tiendra le 27 juin prochain.
De l’autre côté, prenez une généalogiste pleine de projets tout en étant bien occupée depuis qu’un nouveau rameau a poussé dans son arbre, et suffisamment folle pour profiter de l’opportunité de ce salon virtuel pour souhaiter devenir exposante alors que son projet parfaitement adapté pour cela n’est pas complètement prêt.
Ajoutez l'ébauche d’une page annexe à son site Internet pour présenter un minimum d’informations avant d’envoyer son formulaire de demande de réservation de stand.
Mélangez des échanges avec les organisateurs pour préciser son objectif... Ce n’est bien sûr pas un blog en déperdition qui veut être mis en avant lors de ce salon... Mais il s’agit d’échanger avec les visiteurs sur mon projet professionnel : permettre aux généalogistes de donner vie à leur arbre en partageant leurs ancêtres avec les membres de leur famille.
Hein ? Qu'est-ce que tu nous inventes encore ?!
Constatant avec déception que je ne parvenais pas à échanger autant que je l’aurais voulu avec les membres de ma famille sur le fruit de mes recherches généalogiques, j'ai réfléchi aux moyens que je pourrais mettre en œuvre pour les intéresser, nos ancêtres étant tout autant les miens que les leurs !
La généalogie pouvant paraître soporifique pour les non-initiés, je voulais trouver une approche ludique favorisant l’interactivité et les échanges intergénérationnels. Après plusieurs essais, j’ai conçu un jeu de société basé sur nos ancêtres, avec sa propre mécanique, son graphisme et son matériel adapté. Quelle ne fut pas ma satisfaction lors de la première partie jouée tous ensemble, de voir mes neveux s’intéresser à leur généalogie, découvrant par exemple des aspects communs sur leurs branches paternelles et maternelles qu’ils ne soupçonnaient pas ! Je profitais également d'anniversaires de mariage pour proposer quelques petites animations généalogiques basées sur ce jeu et qui permirent à toutes les branches réunies sur plusieurs générations de découvrir nos ancêtres dans la bonne humeur.
Forte de ces expériences réussies, j’ai eu envie de permettre aux autres généalogistes de partager à leur tour leur propres ancêtres avec leurs familles. C’est ainsi qu’est né mon projet de conception de jeux de société généalogiques personnalisés que je vous propose de découvrir sur mon stand virtuel. Je vous présenterai en avant première deux de mes futurs produits, qui, à terme, seront commercialisables de manière personnalisée pour chacun d’entre vous.
Je vous attends donc avec impatience le 27 juin entre 9 heures à 18 heures sur mon stand situé dans le village forêt ancestrale, pour échanger sur mon projet et pour découvrir mes jeux !
A bientôt !
Source de l’illustration : salonvirtueldegenealogie.com
]]>Prenez cinq généalogistes[1] très enthousiastes voire un peu fous, avides de permettre à la communauté généalogique et tous ses membres d’échanger malgré une situation sanitaire empêchant les rencontres réelles et donc la tenue des salons traditionnels.
Mélangez des idées qui fusent, des heures de travail, des centaines d’échanges via tous les modes possibles de communication à distance.
Laissez mijoter une première fois pendant un mois...
Et vous obtenez le premier salon virtuel de généalogie de France et son site Internet salonvirtueldegenealogie.com !
Puis lancez un appel aux associations généalogiques, aux éditeurs de revues, de livres et de logiciels, aux professionnels de la généalogie travaillant dans de nombreuses thématiques, et autres acteurs de la discipline.
Attendez que les propositions de conférences fusent, que les demandes de stand affluent.
Prévoyez des animations et des surprises.
Organisez les stands en villages thématiques pour que chaque visiteur trouve facilement ce qu’il cherche.
Saupoudrez de la gratuité pour tous[2].
Laissez encore mijoter le tout pendant un mois.
Et découvrez le 27 juin 2020 de 9 heures à 18 heures, la communauté généalogique réunie virtuellement dans un salon, au sein duquel chacun pourra s’abreuver de conférences, picorer des renseignements auprès des exposants, ou encore se divertir, le tout via différents modes de communication à distance ! En bref, un salon de généalogie conçu comme les salons traditionnels, mais visité tout en restant chez soi !
Pour en savoir plus, vous pouvez d’ores et déjà vous rendre sur le site du salonvirtueldegenealogie.com et accéder au très alléchant programme d’une trentaine de conférences et webinaires réparties en six catégories : des recherches généalogiques à l’étranger aux sites et logiciels, en passant par les sources et méthodologies de recherches et les modes de transmission de ses résultats, vous devriez trouver votre bonheur à plusieurs reprises ! Des animations surprises sont prévues mais ne sont pas encore dévoilées (sinon, ça ne serait pas des surprises !). Quant aux cent cinquante exposants implantés dans neuf villages thématiques (associations généalogiques en France et à l’international, généa-blogueurs, institutions, spécialistes réunis selon leur savoir-faire : édition de livres et revues, représentations graphiques, traitement de l’image, solutions technologiques innovantes, professionnels des recherches) : il y en a pour tous les goûts ! Peut-être même y découvrirez-vous une généalogiste dont l’idée folle d'exposer au salon est en passe de se transformer en réalité !
Source de l’illustration : salonvirtueldegenealogie.com
]]>Après avoir étudié le devenir des enfants ayant reçu le nom de leur mère et vu que tous avaient gardé un lien avec leur famille, intéressons-nous maintenant à ceux qui ont été nommés d’un nom inventé.
Pourra-t-on noter des différences concernant le lien conservé avec leur famille par rapport aux enfants ayant reçu le nom maternel ?
Cette partie étudie le devenir des 17 enfants ayant reçu un autre nom que celui de leur mère, sur un total de 39 enfants naturels nés à Audes entre 1840 et 1872 de mère connue.
Trois enfants ne se trouvent dans aucun acte de mariage ou de décès, ni dans aucun recensement :
Les jumeaux Jean et Pierre LABRUYÈRE, fils de Marie DUMEY, nés en 1857, décèdent à l’âge de trois jours, dans la maison de leur mère. On ne peut donc pas savoir si celle-ci allait les élever ou si elle aurait eu l’intention de les abandonner.
Huit autres enfants ont grandi ou ont vécu avec leur mère ou leur famille. On peut noter différentes particularités.
Louise LABARRE née en 1862 de Louise CHARRIÈRE, est reconnue lors du mariage de celle-ci en 1868. A cette occasion, un autre enfant naturel de Louise, François, né en 1866, est également reconnu. Né également de père inconnu, François avait quant à lui pris le nom de sa mère.
Marie DUCREUX, fille de Françoise LAFAYE née en 1853, se marie en 1873 sous le nom de LAFAYE. Son acte de mariage précise qu’elle est « fille naturelle inscrite sur les registres sous le nom de DUCREUX Marie reconnue par sa mère Marie LAFAYE » onze jours avant le mariage, présente et consentante.
Jean-Baptiste RAMEAUX est né en 1861, fils de Julie ROUX. Je les trouve chacun dans le recensement de 1872. Jean-Baptiste, âgé de 11 ans, habite alors chez son grand-père, son oncle et sa tante par alliance, ses cousins et trois domestiques, au bourg d’Audes. Sa mère Julie habite aussi au bourg, plusieurs maisons plus loin (dans le recensement, les maisons portent respectivement les numéros 1 et 25), avec son mari et leur fils de 5 ans. Le mariage de Julie avait été passé en 1866, sans que ne soit mentionnée une quelconque reconnaissance de Jean-Baptiste. En revanche, il est reconnu par sa mère par acte spécial passé à la mairie d’Audes le 25/11/1881 et se marie quinze jours plus tard, sous le nom de ROUX.
Marie DESCHÉZEAUX, née en 1855 et fille d’Antoinette GUIGNONNET, décède à l’âge d’un an et demi chez son grand-père, sa mère étant domestique à Nassigny, village limitrophe d’Audes.
Marie JACOB, née aussi en 1855, fille de Jeanne SOULIER (la mère inconnue de mon ancêtre Louis LABEILLE), habite avec celle-ci pendant plusieurs années. Un article racontera leurs parcours et celui de mes recherches.
Jean DÉMAISON né en 1860 perd sa mère Marie FOURRIER alors qu’il a 10 ans. Je le retrouve deux ans plus tard à Hérisson, village situé à une quinzaine de kilomètre d’Audes, dans le foyer de Laurent AUFRÈRE et sa grande famille. Jean est alors « enfant de l’hospice » (étant orphelin). A son mariage en 1883, il est bien indiqué qu’il est le fils de père inconnu et de Marie FOURRIER pour laquelle la date de décès est précisée.
Le cas le plus original est représenté par François DUBOURG, fils de Catherine FRANÇOIS, né en 1861. Dans le recensement de 1872, François, alors âgé de 11 ans, habite avec sa mère et sa sœur utérine Marie FRANÇOIS, 1 an (évoquée dans le précédent article sur les enfants qui ont pris le nom de leur mère). Lors de son mariage en 1886, François DUBOURG est appelé Dubourg FRANÇOIS... ben oui c’est logique pour l’officier d’état civil : puisque François Dubourg est « le fils naturel de Catherine FRANÇOIS », c’est que son nom est François et donc son prénom Dubourg... Il signe cependant « Dubourg ». François prend donc le nom qu’il aurait du avoir à la naissance, mais gagne un drôle de prénom... tout ça probablement parce que sa naissance avait été déclarée par un homme prénommé François et que le nom de sa mère ne lui avait pas été transmis... Ce « nouveau » nom ne sera cependant apparemment utilisé que lors de son mariage. Des relevés de recensements de 1926, 1931 et 1936 dans différentes villes de l’Hérault, le montrent en effet sous le nom de François DUBOURG, avec sa femme et une fois sa fille nommée DUBOURG. De même, A son décès en 1940 à Montpellier, il est bien appelé « François DUBOURG, fils de Catherine FRANÇOIS ».
Jean MOÏSE, né en 1851 de Marie Anne MORICAUD, se marie en 1877. L’acte de mariage précise qu’il est « fils naturel non reconnu de Marie Amable MORICAUD », mais aucune information au sujet de celle-ci n’est donnée (ni âge, ni éventuel décès, ni si elle est présente). On peut malgré tout penser que Moïse est resté de près ou de loin en relation avec sa mère, puisqu’il est capable d’en citer les nom et prénom (avec toutefois une petite erreur sur ce dernier, mais on en a vu d’autres), sachant par ailleurs qu’il savait signer.
Le graphe ci-dessous rappelle le devenir des 8 enfants restés en lien avec leur famille.
Jean CRÉTOT est né en 1840, fils de Rose SOULIER et jumeau de Jean LAGENT dont j’ai perdu la trace (cf. supra). A son décès à l’âge de 4 mois, il est « enfant naturel fils de Rose SOULIER, confié aux soins de Marie MOMISSET femme de Joseph LEBOURG, décédé en la maison du dit LEBOURG », alors que Rose SOULIER semble mourir trois ans plus tard, dans un village situé à une douzaine de kilomètre d’Audes, domestique chez un patron. L'identité de Rose étant citée, on peut penser que celle-ci n’avait pas abandonné son enfant, mais qu’elle l’avait confié (avec son jumeau ?) à une autre femme pour s’occuper de lui / d’eux.
De la même façon, Gilbert DUBOURG, fils de Marie GUILLEM(A)IN né en 1848, décède « en la maison de Gilbert GRANDJEAN ». Il est alors âgé de 3 ans et demi. Il est bien dit être le fils de Marie GUILLEM(A)IN (sans plus d’informations à son sujet), on ne sait pas quelle relation lie Marie GUILLEM(A)IN et Gilbert GRANDJEAN, et on ne sait pas ce que Gilbert faisait chez Gilbert... Je ne trouve pas d’information sur Marie GUILLEM(A)IN pour savoir où elle habitait alors ni si elle était encore vivante.
On arrive enfin à la dernière catégorie, celle qui était le but initial de mon enquête : combien d’enfants n’ayant pas reçu le nom de leur mère ont été abandonnés (de manière certaine), comme ce fut le cas de mon ancêtre Louis LABEILLE ?
Je n’en ai donc trouvé que deux.
Jeanne DECHÉTIFS-BOIS/DECHÉTIFSBOIS, fille de Françoise DÉMERON, est née en 1849. Pour l’anecdote, c’est le déclarant, Vincent GILBERT, 51 ans, domicilié au village des Chétifs-bois, qui a alors « déclaré vouloir donner le nom de Déchetifs-bois et le prénom de Jeanne ». Etait-il le père (Jeanne est bien dite née de père inconnu) ? Avait-il reçu des consignes de la mère pour décider du sort de l’état civil de cet enfant tout en enlevant toute marque claire de filiation ? Est-ce la formulation habituelle de l’acte quand le père déclare l’enfant, que le maire a oublié de modifier ? Quoi qu’il en soit, Jeanne se marie en 1872 dans un village limitrophe d’Audes. Son acte de mariage précise qu’elle est née « à Audes le 4 octobre 1849 ainsi que cela résulte de l’acte de naissance qu’elle nous a produit, domestique domiciliée à la Bouchatte en cette commune [Chazemais], fille majeure et naturelle de père et de mère inconnus ». Je trouve la formulation « étrange » : comment peut-on fournir un acte de naissance qui indique le nom de sa mère, et dire que ses père et mère sont inconnus ?! Certes, cela montre que Jeanne n’a pas connu sa mère qui l’aurait abandonnée, mais sur le fond, c’est quand-même incroyable ! Jeanne ne sachant pas signer, elle ne savait très probablement pas lire...
Mon ancêtre Louis LABEILLE est né le 20 janvier 1853, fils de Jeanne SOULIER. Son acte de mariage en 1875 à Isserpent (situé à 110 km d’Audes) est également surprenant. Louis est en effet indiqué comme étant né le 2 février 1853 (soit 13 jours après sa vraie date de naissance) à Audes, « fils de père et de mère qu’il n’a jamais connus, ayant été déposé à l’hospice de Moulins le 4 mars 1853, ainsi que le constate le certificat d’origine délivré par le directeur du-dit hospice ». Lors de son abandon à l’hospice, l’acte de naissance de Louis a forcément été remis au personnel (ne serait-ce que parce que ses nom et prénom sont bien les siens). Mais sa date de naissance a-t-elle été volontairement faussée pour que la mère ne soit pas identifiable ? S’est-on basé sur l’âge qu’il semblait avoir au moment de l’abandon pour définir une date de naissance ? Malheureusement, l’absence des registres des hospices de Moulins aux Archives départementales de l’Allier ne me permettront jamais de savoir dans quelles conditions Louis est arrivé à l’hospice. On peut toutefois penser que sa mère a missionné quelqu'un pour parcourir les 100 kilomètres séparant Audes de Moulins alors que Louis était déjà âgé de plus d’un mois.
Finalement, le graphe ci-dessous indique les proportions des différentes situations recontrées précédemment.
Le graphe ci-dessous rappelle les proportions des différentes catégories pour les enfants ayant reçu un nom « inventé », et le compare à celui des enfants ayant reçu le nom maternel. On constate effectivement une différence : dans le premier cas, seuls deux tiers des enfants dont on connaît le devenir sont restés en lien avec leur famille, alors que c’est le cas de la totalité des enfants ayant pris le nom de leur mère. Rappelons que la petite taille de notre échantillon peut ne pas être représentatif de la réalité.
Le graphe ci-dessous rappelle les proportions des différents cas :
Le graphe ci-dessous cible uniquement les enfants dont on connaît le devenir :
Finalement, les enfants abandonnés représentent 17 % de l’ensemble des enfants naturels nommés d’un autre nom que celui de leur mère et dont on connaît le devenir, et 6 % de l’ensemble des enfants naturels dont on connaît le devenir (pile dans la moyenne de l’époque, de l’ordre de 7 % des enfants naturels[1]).
Le choix du nom donné aux enfants par le maire oligarchique lors de la déclaration de leur naissance reste donc mystérieux (à part a priori pour le cas justement d’un enfant abandonné) : pourquoi certains ont-ils eux la chance de recevoir le nom de leur mère, quand on a inventé le nom d’autres alors qu’ils ont eu ensuite le même parcours ?
La mère pensait-elle abandonner son enfant, et a-t-elle changé d’avis une fois son enfant né ? Isabelle Le Boulanger dans son livre « L’abandon d’enfants – l’exemple des Côtes-du-Nord au XIXème siècle » semble indiquer que le choix de la mère quant à l’abandon de son enfant est fait assez tôt dans la grossesse, sa situation ou le contexte dans lequel l’enfant a été conçu la poussant à ne pas pouvoir / vouloir le garder (indigence, relation forcée, poids de l’interdit d’une relation hors mariage, ...). Dans notre cas, la distance entre Audes et la préfecture permettant l’accueil des enfants abandonnés (plus de 100 km), peut-elle avoir été un frein à cet acte prévu initialement et sur lequel la mère est revenue une fois l’enfant né ?
Le maire à tendance bourgeoise voulait-il marquer certaines familles du sceau de la honte d’avoir conçu un enfant hors mariage plus que d’autres ? Nommait-il les enfants d’une façon ou d’une autre sans réfléchir plus que cela ? Impossible de répondre à ces questions !
Concernant mon ancêtre Louis LABEILLE, toute cette analyse ne m’aura finalement pas apporté de certitude quant au contexte de son abandon. Sa mère Jeanne SOULIER l’a-t-elle abandonné à l’âge « déjà » d’un mois parce qu’une fois né, elle ne parvenait plus à s’en séparer ? Pour lui éviter de voyager dans un froid hivernal et lui assurer de meilleures chances de survie ? Parce qu’elle ne trouvait personne pour l’emmener à Moulins ? Pourquoi deux ans plus tard, a-t-elle gardé son deuxième enfant, qui n’avait pas non plus reçu son nom ? Avait-elle fait le même choix au départ et est-elle finalement revenue dessus ? Qu’a-t-elle ressenti pendant toute sa vie à propos de son premier enfant ? Des questions de l’intime qu’on se pose forcément à propos de ses ancêtres au parcours particulier, mais dont les réponses ne regardent que Jeanne...
[1]D'après Maksud Monique, Nizard Alfred. Enfants trouvés, reconnus, légitimés, Les statistiques de la filiation en France, aux XIXe et XXe siècles. In: Population, 32e année, n°6, 1977. pp. 1159-1220 ; sur Persée (voir mon article sur la théorie des noms de famille).
Sources :
Suite à mon précédent article présentant les différents types de noms donnés aux enfants naturels nés de mère connue, nous allons découvrir dans un premier temps le devenir des enfants qui ont reçu le nom de leur mère. Celui-ci sera-t-il en lien avec leur mère, et sera-t-il différent de celui des enfants dont le nom a été inventé ?
Dans le précédent article, nous avions vu que sur les 39 enfants nés entre 1840 et 1872 de mère connue, un peu plus de la moitié (22) avaient reçu le nom de leur mère. Les 17 autres s’étaient quant à eux vu attribuer un nom différent, le plus souvent tiré du nom d’un lieu-dit du village. Nous nous étions alors interrogé sur les causes de ces différences, et, ne pouvant pas explorer la piste d’un choix délibéré et émanant uniquement du maire, nous voulions savoir si le devenir de ces enfants vis-à-vis de l’abandon, connu a priori dès la déclaration de la naissance, avait eu une influence sur le nom qui lui était donné.
C’est ce que nous allons voir dans cet article, en étudiant d’abord le devenir de chacun des 22 enfants ayant reçu le nom maternel. Le tout prochain article étudiera quant à lui le devenir des enfants ayant été nommé d’une autre façon.
Pour éviter les confusions entre prénom et nom de famille, nous écrirons systématiquement ce dernier en majuscules.
Pour identifier le devenir de ces enfants, j’ai cherché leurs actes de décès ou de mariage, leur présence dans des recensements, voire l’acte de mariage de leur mère qui mentionnerait une reconnaissance éventuelle et le cas échéant un changement de nom. Mon principal outil de recherches a été Filae par souci de rapidité, complété si nécessaire par la consultation complète des actes sur le site des Archives départementales de l’Allier ou d'autres plus ponctuellement, quand je n’avais eu accès qu’au relevé de l’acte, afin de bien y lire toutes les informations qu’il contient et procéder à une analyse complète.
L’analyse suivante se base sur l’étude du devenir de 22 enfants naturels qui avaient reçu le nom de leur mère.
Deux enfants sont restés introuvables en dehors de leur acte de naissance (Catherine FILIATRE née en 1850 et Virginie FAUCHERON née en 1869) : je ne les ai trouvées ni dans un acte de mariage, ni dans un acte de décès, ni dans un recensement (ayant uniquement consulté ceux indexés sur Filae, c’est-à-dire ceux de 1872 voire 1906). Je n’ai pas trouvé plus d’information concernant leur mère (respectivement Marie FILIATRE née environ en 1830 et Madeleine FAUCHERON née environ en 1857) après la naissance de leurs filles.
92 % des enfants trouvés déclarés à Audes entre 1835 et 1853 étant âgés au maximum d’un mois (cf. le précédent article Les noms donnés aux enfants naturels nés à Audes), et bien que la période soit différente, nous avons conservé cet âge limite pour décider si un bébé pouvait potentiellement encore être abandonné ou demeurerait chez sa mère. Ainsi, on ne peut pas trancher sur le devenir de quatre enfants :
Ces enfants sont décédés dans le domicile de leur mère, mais compte tenu de leur très jeune âge alors, on ne peut pas savoir si celles-ci allaient les élever ou si elles auraient eu l’intention de les abandonner.
Le graphe ci-dessous indique les différentes proportions de ces deux catégories et celle de la suivante où les enfants sont restés en lien avec leur famille.
Tous les autres enfants qui ont pris le nom de leur mère ont grandi ou ont vécu avec elle ou leur famille. On peut noter différentes particularités.
A chaque fois, le nom de leur mère est précisé et correspond bien à celui de l’acte de naissance.
Ces enfants habitaient encore tous chez celle-ci ou chez les parents de celle-ci :
Trois enfants ont été reconnus à l’occasion du mariage de leur mère et prennent le nom de leur père :
Un autre enfant a été reconnu par sa mère un mois avant son propre mariage : Claude DEPEIGE, né en 1863, est reconnu par sa mère Elisabeth DEPEIGE en 1892. Il se marie un mois plus tard. Sa femme est d’ailleurs née de père et de mère inconnus à Paris, elle avait sans doute été placée dans un foyer bourbonnais.
Les recensements permettent d’identifier quatre enfants ayant vécu avec leur mère et/ou sa famille élargie. Ainsi, en 1872 :
On peut ajouter :
Jean PERRINAUD, né en 1858, se marie en 1879, et Victor DAGOIS, né en 1859, se marie à l’âge de 28 ans. Leur mère est présente et consentante à leur mariage.
La mère de Marguerite DÉNOUX née en 1852, Marie DÉNOUX/DESNOUX, décède alors que sa fille est âgée de 7 ans. Dix ans plus tard, celle-ci meurt à 17 ans et demi dans un village voisin, chez son oncle où elle habitait. On peut supposer qu’elle habitait chez lui depuis le décès de sa mère.
Jean ÉDART (frère utérin de Marie ÉDARD/ÉDART née et décédée en 1870 évoquée précédemment), né en 1872, se marie en 1899. Sa mère et ses aïeuls sont tous décédés (sa mère alors qu’il avait 4 ans), mais ses témoins sont un oncle et un cousin. On peut faire l’hypothèse qu’il habitait avec cet oncle ou le père de ce cousin depuis le décès de sa mère.
Mélanie SOULIER, née en 1863, a perdu sa mère Félicité SOULIER (sœur de mon ancêtre Jeanne SOULIER) quand elle avait 2 ans en 1865, puis sa grand-mère deux mois plus tard. Elle-même finit par décéder en 1867 à l’âge de 4 ans et demi, « dans la maison de Marie GODIGNON », sans qu’il ne soit précisé si un lien de parenté lie Mélanie et Marie. Il est donc difficile de dire si Mélanie serait restée en lien ou non avec sa famille. A noter qu’au moment du décès de sa mère et de sa grand-mère, elle avait alors encore au moins un oncle habitant dans le village. Dans le recensement de 1866, Mélanie est « pensionnaire » et « enfant naturelle » chez Marie GODIGNON, 70 ans, veuve, et Jeanne MULTON, 85 ? ans, veuve également, habitant au Bourg d’Audes, alors que son oncle Louis SOULIER habite avec sa femme et leur fille âgée d’un an dans un hameau du village.
Le graphe ci-dessous rappelle le devenir des 16 enfants restés en lien avec leur famille.
Compte tenu de ces éléments, on pourrait donc conclure que lorsque l’enfant a reçu le nom de sa mère, il n’a pas été abandonné (aux « nuances » près des 18 % d’enfants décédés avant l’âge d’un mois pour lesquels il n’est pas possible de trancher). On pourrait donc penser que lors de la déclaration de la naissance, pour laquelle le déclarant connaissait probablement le sort que la mère voulait donner à son enfant, le nom qui a été attribué à l’enfant a suivi la logique d’usage.
Retrouve-t-on l’inverse pour les enfants à qui un nom différent a été donné ? C’est ce que nous verrons dans le prochain et dernier article de la série (ouf !) à paraître très prochainement.
Sources :
Suite à mon précédent article présentant le contexte des mères célibataires, plus particulièrement dans le petit village d’Audes (Allier) avec ses maires d’une même famille qui se sont succédés pendant plus de 70 ans, étudions de plus près les noms qui ont été attribués aux enfants naturels.
Afin d’étudier la façon dont ont été nommés les enfants naturels à Audes (Allier) dans le courant du XIXème siècle, j’ai analysé les actes de naissance de ce village sur plusieurs décennies. Je suis partie de l’année de naissance de mon ancêtre Louis LABEILLE (1853), et je suis remontée d’année en année jusqu’à observer une certaine stabilité dans les caractéristiques des enfants naturels et le type de noms donnés (ce qui m’a donc fait aller jusqu’en 1835, sachant que les hospices pour les enfants abandonnés ont été créés en 1811 et que les tours d’abandon ont été fermés en 1836), puis je suis repartie de la même façon dans l’autre sens (soit jusqu’en 1872).
Le plus souvent, j’ai identifié les enfants naturels via la mention qui en était faite dans la table alphabétique annuelle. Quand celle-ci n’apparaissait pas dans une table annuelle, j’ai lu le registre en cherchant cette même information en mention marginale de chaque acte. Une fois les enfants naturels identifiés, j’ai analysé le contenu de leur acte de naissance (enfant trouvé ou enfant de mère connue, identité du déclarant et son lieu d’habitation ainsi que le cas échéant celui de la mère, …).
Sur les 38 années étudiées (de 1835 à 1872 inclus), nous avons un échantillon de 912 naissances dont 849 enfants sont légitimes (93 % de l’ensemble des naissances) et 63 sont des enfants naturels (enfants trouvés, enfants nés de mère connue et de père inconnu tous confondus, les autres cas possibles d’enfants naturels n’ayant pas été rencontrés). Ces 7 % d’enfants naturels restent tout à fait dans la moyenne vue dans l’article sur la théorie de la transmission des noms de famille en présentant quelques statistiques. Le village d’Audes est donc dans la moyenne française.
Le graphe ci-dessous montre le détail annuel des différents types de naissance. Chaque échantillon annuel étant très faible, ses variations ne sont pas forcément significatives. Le taux un peu plus élevé d’enfants naturels nés dans les années 1841 à 1843 pourrait toutefois être en lien avec les difficultés économiques apparues en 1840 qui engendrèrent des troubles agraires en province.
Le graphe ci-dessous détaille, année par année, si les enfants naturels déclarés sont des enfants trouvés ou des enfants de mère connue et de père inconnu.
On constate trois périodes :
Cette évolution globale assez marquée pourrait être due notamment à l'évolution des mœurs ou à une pauvreté moindre au fil du temps.
Chaque déclaration de naissance d’enfant trouvé reprend les mêmes informations : le déclarant a trouvé exposé à la porte de son domicile (quand cela est précisé : le plus souvent dans la nuit entre 10 heures du soir et 3 heures du matin), un enfant dont l’âge est estimé et à la tenue vestimentaire précisément décrite à partir de 1841. Il porte ainsi souvent une brassière en coton ou en indienne, une chemise en coton ou en toile, un bonnet, un drapeau (de « petit drap », c’est-à-dire le lange du bébé), et est accompagné parfois d’un trousseau plus ou moins fourni. Puis le rédacteur de l’acte ou le maire décide de lui attribuer un prénom et un nom (cf. ci après). Il est d’abord « ordonné que l’enfant fut remis à l’hospice », puis à partir de 1841 également et jusqu’en 1848 [1], l’enfant est confié à une femme du village (a priori sans lien de parenté avec le(s) déclarant(s)) à qui l’on remet une copie du procès verbal ainsi rédigé, afin de le transporter à l’hospice / l’hôpital général de Moulins (préfecture du département, située à environ 70 kilomètres du village).
Dans notre échantillon de 24 enfants trouvés dont la naissance est déclarée entre 1835 et 1853, quasiment la moitié d’entre eux (46 %) ont un âge estimé inférieur à une semaine (1 nouveau-né, 6 enfants âgé d’un jour, et les 4 derniers sont âgés de trois, quatre ou cinq jours). Un tiers de ces enfants trouvés (38 %) ont un âge estimé entre une et deux semaines. Deux enfants trouvés sont par ailleurs particulièrement âgés : l’un a environ 4 mois (trouvé en 1846), et un autre en a environ 8 (trouvé en 1844). Ces deux derniers cas témoignent très probablement de l’extrême pauvreté de leur(s) parent(s) ne voyant pas d’autre issue que d’abandonner leur enfant faute de pouvoir le nourrir.
Le graphe ci-dessous précise les tranches d’âge estimé des enfants trouvés.
Enfin, le sexe de l’enfant joue peut-être en défaveur de la fille qui coûtera dans le futur plus cher qu’elle ne rapportera (dot de la fille lors de son mariage vs. bras utiles pour le travail à la ferme des garçons) : 15 enfants trouvés sont des filles contre 9 des garçons. Mais notre échantillon de 24 enfants trouvés reste trop faible pour en tirer des conclusions statistiques sûres. A noter que du point de vue des enfants naturels (ensemble des enfants trouvés et des enfants de mère connue et de père inconnu), la parité est plus proche : on compte 33 filles pour 30 garçons (alors que le sex-ratio à la naissance chez l’humain est en général légèrement l’inverse : 105 garçons pour 100 filles). Là encore, notre faible échantillon montre simplement que l’on reste dans les normes habituelles.
La législation en vigueur [2] marque durablement l’histoire de l’identité des enfants trouvés en suggérant de leur donner un nom emprunté « soit à l’histoire des temps passés, soit dans des circonstances particulières à l’enfant, comme sa conformation, ses traits, son teint, le pays, le lieu, l’heure où il a été trouvé ; il convient néanmoins qu’il faut rejeter avec soin toute dénomination qui serait indécente, ridicule ou propre à rappeler, en toute occasion, que celui à qui on le donne est un enfant trouvé ».
Par ailleurs, la loi du 23 août 1794 imposait de garder le nom de famille attribué dans l’acte d’état civil. Même si l’enfant allait ensuite être recueilli dans un hospice, c’est bien l’acte de sa déclaration de naissance qui lui attribuait de manière (théoriquement) définitive ses nom et prénom.
Notre échantillon compte donc 24 enfants trouvés dont la déclaration de naissance a été faite entre 1835 et 1853 (déclaration du dernier enfant trouvé).
Dans les actes, il est mentionné que c’est le maire (ou le rédacteur) qui « inscrit [l’enfant] sous le nom de ... et le prénom de ... ».
Les noms de familles donnés aux 24 enfants trouvés se répartissent en trois catégories :
Le graphe ci-dessous synthétise ces différentes catégories.
La loi du loi du 11 Germinal An XI (1er avril 1803) indique que les prénoms des enfants trouvés doivent être choisis parmi ceux « en usage dans les différents calendriers et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne ».
Dans cinq cas sur neuf possibles (déclaration d’un garçon), le prénom donné à l’enfant est le même que celui du déclarant (deux Jean, un Gilbert, un Philippe et un Pierre). Les cinq autres enfants ont reçu des prénoms très classiques : deux Jean, un Jacques et un François.
Pour les filles, il n’était pas possible de s’inspirer du déclarant, exclusivement un homme. Le prénom donné ne correspond pas non plus à celui de la femme à qui l’enfant est confié, sauf une fois où le second prénom (seule et unique fois d’ailleurs où deux prénoms sont donnés) est le même que le prénom de la femme a qui l’enfant est confié. Le rédacteur a donné des prénoms habituels en prénommant les quinze filles trouvées de la façon suivante :
Si les noms et les prénoms donnés aux enfants trouvés pouvaient logiquement dépendre « uniquement » du bon vouloir du maire ou du rédacteur de l’acte, qu’en est-il pour les enfants naturels de mère connue pour lesquels les questions se posent a priori moins ?
Notre échantillon d’enfants naturels de mère connue et de père inconnu lors de la déclaration de la naissance s’élève, sur la période de 1840 à 1872, à 39.
Les graphes ci-dessous montrent les différents types de nom donnés, d'une part au fil du temps, d'autre part sur l'ensemble de la période étudiée.
De 1840 à 1862, le nom attribué à l’enfant était soit un nom « inventé » sur un schéma comparable à celui des enfants trouvés, soit celui de sa mère. Ainsi, sur les 26 enfants naturels nés pendant cette période, seuls 9 d’entre eux (35 %) ont reçu le nom maternel. Ce n’est qu’à partir de 1863 que tous les enfants naturels (13) ont reçu le nom de leur mère. Finalement sur l’ensemble de la période, 22 enfants sur 39 (56 %) ont reçu le nom maternel.
Les noms « inventés » suivent un peu les mêmes proportions que ceux des enfants trouvés, à laquelle s’ajoute une catégorie qu’on n’avait pas vue précédemment : des prénoms. Ceux-ci remplacent une partie des noms tirés de lieux-dits d’habitation du déclarant, comme le montre le graphe ci-dessous.
Les trois prénoms qui ont été attribués comme nom de famille ne sont pas forcément des plus classiques et auront donc pu être difficiles à porter, pouvant stigmatiser ces enfants : Moïse, Jacob, et Valentin.
Parmi ces 39 enfants naturels, on compte deux paires de jumeaux.
Pour les premiers d’entre eux, nés en 1840, l’agent d’état civil a sans doute trouvé « malin » de non seulement ne pas leur donner le nom de leur mère, mais en plus, de leur donner à chacun un nom différent ! Et pour rendre les choses plus « amusantes » encore, c’est le même prénom qui leur a été attribué ! Rose Soulier se retrouve donc avec deux garçons jumeaux, l’un appelé Jean Cretot, et l’autre Jean Lagent... Pour chacun d’eux, l’un ou les deux témoins (mais non le déclarant) s’appelai(en)t Jean, mais un peu plus d’originalité pour les prénoms et un peu moins pour les noms aurait été plus simple...
L’autre paire de jumeaux, née en 1857, a cette fois eu la chance de recevoir le même nom (mais toujours pas celui de leur mère) et deux prénoms différents : Jean et Pierre Labruyère, fils de Marie Dumey.
A priori, les enfants nés de mère connue devraient se voir attribuer le prénom choisi par la mère... Etudions malgré tout si le prénom du déclarant a une influence sur celui-ci.
Notre échantillon de 39 enfants naturels nés de mère connue compte 21 garçons et 18 filles.
Le tableau ci-dessous indique le type de prénom qui a été donné aux garçons en fonction du nom qu’ils avaient reçu.
Nom et prénom donné à un garçon, fils naturel né de mère connue | Nom de sa mère | Nom « inventé » | Total |
---|---|---|---|
Prénom du déclarant | 3 | 6 | 9 |
Autre prénom | 7 | 5 | 12 |
Total | 10 | 11 | 21 |
Pour les filles, le même exercice n’est pas réalisable puisque les femmes ne déclarent pas de naissance d’enfant, et que celui-ci n’était pas confié à une autre femme comme dans le cas des enfants trouvés. Tout au mieux peut-on étudier si le prénom de la mère a été donné à l’enfant, ce qui est indiqué dans le tableau ci-dessous.
Nom et prénom donné à une fille naturelle née de mère connue | Nom de sa mère | Nom « inventé » | Total |
---|---|---|---|
Prénom de la mère | 0 | 1 | 1 |
Autre prénom | 12 | 5 | 17 |
Total | 12 | 6 | 18 |
A part dans un cas, peut-être uniquement une coïncidence, les filles n’ont jamais reçu le même prénom que leur mère.
Finalement, pour les garçons et malgré les faibles effectifs qui peuvent ne pas être représentatifs statistiquement, on peut quand-même constater une légère tendance : quand le garçon a reçu le nom de sa mère, il a été prénommé indépendamment du déclarant dans deux tiers des cas (7 enfants sur 10). Quand le nom de l’enfant a été « inventé », les enfants ont autant été prénommés comme le déclarant que d’une autre façon.
Ces indices pourraient tendre vers un véritable choix de prénom par la mère quand celle-ci « donne » son nom à son enfant, et un « choix » de prénom par défaut quand le nom est « inventé ». Mais encore une fois, notre faible échantillon peut ne pas être statistiquement représentatif d’une quelconque réalité.
Finalement, pourquoi ces 39 enfants naturels nés de mère connue n’ont-ils pas tous eu le même sort quant au nom voire au prénom qui leur a été attribué ? L’étude de la succession des maires (évoquée dans mon précédent article sur les maire oligarchiques) et du scripteur ne montre a priori pas de lien entre ceux-ci et les noms attribués : sur l’intégralité de la période où les deux types de noms ont été donnés (1840-1862), se sont succédés deux maires (le premier seulement pour les deux premières naissances, les jumeaux nommés différemment) et trois scripteurs différents.
Les maires voulaient-il marquer un enfant du sceau de la honte d’être un enfant naturel, davantage pour une femme que pour une autre (par exemple en fonction des relations qu’ils entretenaient avec elle et sa famille) ? La mère ou le déclarant savaient-ils dès la déclaration de la naissance que l’enfant serait abandonné, lui donner un nom différent de celui de sa mère limitant les possibilités d’établir ultérieurement une filiation ? Si on ne peut pas approfondir la première hypothèse, la dernière peut éventuellement l’être en étudiant le devenir de ces enfants naturels nés de mère connue. C’est ce que nous verrons dans un prochain article.
Sources :
Mais pourquoi mon ancêtre a-t-il été nommé LABEILLE dans son acte de naissance en 1853 et sa sœur utérine née trois ans plus tard, a-t-elle été appelée JACOB, alors qu’ils sont les enfants naturels de Jeanne SOULIER ? Certes, le premier a ensuite été abandonné, mais pas la seconde. Faut-il toutefois y voir un indice ?
Après avoir vu que donner un nom de famille à un enfant naturel relevait d’une théorie simple et complexe à la fois et que les officiers d'état civil avaient des pratiques variées, d’une grande logique ou très surprenantes à travers quelques exemples d’autres généalogistes, je restais toujours sur ma faim car les cas de mon ancêtre et de sa demi-sœur ne semblaient pas avoir été rencontrés ailleurs ! J’ai donc souhaité mener une étude sur les noms de famille donnés aux enfants naturels nés à Audes dans le courant du XIXème siècle.
Pour mieux en comprendre les résultats qui feront l’objet du prochain article, connaître les différents contextes dans lesquels ces noms ont été donnés est nécessaire. Après quelques informations sur les mères célibataires et l'abandon d'enfant à cette époque suivi des modes de nomination des maires en France, nous découvrirons l'oligarchie régnant à Audes.
Les éléments suivants dont ses citations, sont tirés de l’excellent livre « L’abandon d’enfants – l’exemple des Côtes-du-Nord au XIXème siècle » d’Isabelle Le Boulanger (références complètes en fin d’article).
D’après l’étude de procès-verbaux d’abandon établis à l’arrivée de la mère à l’hospice, les mères qui abandonnent leur enfant sont en immense majorité célibataires (près de 98 %), elles sont âgées de 27 ans en moyenne, et sont surtout des rurales exerçant une profession agricole avec de faibles revenus ; certaines d’entre elles se trouvent même dans une situation misérable.
Etre une femme célibataire enceinte est très difficile à vivre sur différents plans. Les rurales qui vivent chez leurs parents sont particulièrement livrées au regard inquisiteur de leur voisinage et de la communauté villageoise « qui épient, jugent et jasent sans systématiquement bénéficier de la protection des membres de leur famille ». Elles risquent d’être congédiées par leur employeur dès lors qu’il découvre la grossesse, les femmes domestiques habitant en ville pouvant alors se retrouver sans logement et sans revenu du jour au lendemain.
Les mères célibataires qui portent un enfant illégitime essaient de cacher leur grossesse le plus longtemps possible, espérant que la nature y mette un terme voire essayant de l’aider. Isabelle Boulanger résume le vécu douloureux de ces femmes : « Si l’absence de témoignages nous empêche de connaître leur ressenti, la connaissance des mentalités d’alors, nous laisse penser que cette période de leur vie, marquée par le sceau du déshonneur, le poids de la honte et la hantise d’être découvertes, ne peut être qu’éprouvante. ».
La plupart des femmes se résolvent donc à abandonner leur enfant. Mais bien qu’une bonne partie d'entre elles soient pauvres, cette situation n’est pas forcément la cause principale. Ainsi, l’abandon peut aussi résulter de l’image que l’enfant porte : issu d’amours interdites notamment dans une société encore très ancrée dans la religion, d’une relation impulsée par l’homme qui possède encore un lien élevé de subordination à la femme et dans un contexte de promiscuité due au travail, voire qui abusera de la femme sous la promesse d’un mariage[1]. Il faut d’ailleurs percevoir l’abandon comme un geste humain teinté d’une véritable affection envers l’enfant : l’abandonner en lieu sûr lui garantit de meilleures chances de survie.
On sait par ailleurs que l’abandon d’enfant concernait au début du XIXème siècle près de 2 % des nouveaux-nés (5 % des nouveaux-nés étaient des enfants naturels, et 40 % des enfants naturels étaient abandonnés). L’ensemble des hospices de France (s’occupant des enfants trouvés, des enfants abandonnés, des orphelins pauvres et des enfants secourus temporairement) rassemblait un peu plus de 80 000 enfants en 1815 pour une population française s’élevant au total à un peu plus de 30 millions d’habitants et environ 1 million de naissances annuelles.
A la fin du XIXème siècle, le pourcentage d’enfants abandonnés est à peine descendu à environ 1,4 % de l’ensemble des naissances (la part d’enfants naturels abandonnés était descendue à 16 % des enfants naturels, mais ceux-ci étaient alors près de 9 % de l’ensemble des naissances). Les hospices comptaient en 1889 près de 65 000 enfants, la population française s’élevant alors à près de 40 millions d’habitants.
Ce petit aparté sur les modes de nomination des maires au XIXème siècle permettra de mieux appréhender la suite.
De 1789 à 1799, les agents municipaux (maires) sont élus au suffrage direct pour 2 ans et rééligibles, par les citoyens actifs de la commune, contribuables payant une contribution au moins égale à 3 journées de travail dans la commune. Ne sont éligibles que ceux qui paient un impôt au moins équivalent à dix journées de travail.
De 1799 à 1848, la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) revient sur ce mode d'élection. Les maires des communes de moins de 5 000 habitants sont désormais nommés par le préfet. La Restauration instaure la nomination des maires et des conseillers municipaux. Après 1831, les maires sont nommés par le roi pour les communes de plus de 3 000 habitants, et par le préfet pour les plus petites ; les conseillers municipaux sont quant à eux élus pour six ans.
Après la Révolution de 1848, du (3 juillet) à 1851, les maires des communes de moins de 6 000 habitants sont élus par le conseil municipal.
La Deuxième République prévoit en 1851 la nomination des maires des communes de moins de 3 000 habitants par le préfet, pour une durée de cinq ans à partir de 1855. Ces règles s'appliquent pendant le Second Empire.
Après la chute du Second Empire, la Troisième République instaure en 1871 l'élection des conseillers municipaux au suffrage universel. C’est au sein des conseils municipaux que sont ensuite élus les maires et les maires-adjoints de la plupart des communes. Cette règle est généralisée à l'ensemble des communes (sauf Paris) par la loi municipale du 5 avril 1841, dont les principes fondamentaux inspirent toujours la législation actuelle.
Après ces mises en contexte générales, focalisons-nous sur le village d’Audes.
Audes est situé dans le département de l'Allier, à environ 70 kilomètres à l’ouest de Moulins, la préfecture, et à une vingtaine de kilomètre au nord de Montluçon, l’une des sous-préfectures.
La population du village comptait environ 800 habitants dans le courant du XIXème siècle. Son activité était principalement tournée vers l’agriculture, les métiers rencontrés dans les recensements étant très majoritairement ceux de propriétaires, cultivateurs, laboureurs, journaliers, ou domestiques. Les autres métiers nécessaires à la vie du quotidien complètent le panel des professions exercés dans le village (on compte par exemple en 1836 : deux cantonniers, quatre tailleurs d’habit et deux tisserands, un sabotier, trois maréchaux(-ferrants), deux menuisiers, un scieur de long, un couvreur, un maçon, un boulanger, un boucher, un cabaretier, un garde particulier, un prêtre, et un notaire).
Mon étude va analyser les noms donnés aux enfants naturels lors de la déclaration de leur naissance, à travers les pratiques du maire ou celles de l’officier d’état civil rédacteur des actes sur plusieurs décennies. Il est donc nécessaire de voir les changements du maire ou du rédacteur au cours du temps. En effet, dans l’hypothèse où c’est l’un ou l’autre qui choisit le nom donné à l’enfant naturel, cela pourrait permettre de savoir si la pratique relèverait plutôt du choix d’un individu, ou dépendrait plus largement d’une « coutume » locale.
Afin d’établir la liste des maires successifs du village, j’ai relevé, via les actes des registres d’état civil de chaque année, le nom du maire (à travers sa signature, l’identité du maire n’étant que rarement explicitée clairement dans les actes), et les changements de graphie du scripteur.
Les premiers résultats que j’ai trouvés étant particulièrement surprenants, je les ai étudiés sur une période beaucoup plus longue que ne le sera mon étude, et l’étonnement restant le même, il m’a semblé intéressant de faire une « petite » digression dans mon article pour les partager en détail avec vous.
Le tableau ci-dessous résume les noms des maires successifs et les dates extrêmes de leurs mandats.
Début de mandat | Fin de mandat | Durée du mandat (années) | Nom du maire |
---|---|---|---|
An 7 (env. 1799) | An 8 (env. 1800) | > 1 an ? | Indéterminé (l’adjoint est Antoine JOSSET appelé aussi Antoine JOSSET DE MAGNETTE) |
An 8 (env. 1800) | 08/1810 | 10 | Gilbert JOSSET appelé ensuite Gilbert JOSSET DE LAMAUGARNIE (décédé en 08/2010) |
08/1810 | 04/1811 | (0,5) | Intérim par Léonard OREILLE, « le maire étant décédé » |
04/1811 | 03/1816 | 5 | Antoine JOSSET (le même que précédemment) |
03/1816 | 11/1819 | 3,5 | Jean-Baptiste AUFRÈRE DE LAPREUGNE |
11/1819 | 02/1848 | 28,3 | Jean Camille JOSSET DE LAMAUGARNIE (adjoint au moins en 1848 : Philippe JOSSET) |
02/1848 | 10/1870 | 22,6 | Philippe JOSSET |
10/1870 | 11/1870 | 0,1 | Philippe JOSSET, « président de la commission » et non pas « maire » |
11/1870 | > 1872 | > 2 | André Lucien Ferdinand CORNEREAU |
Compte tenu des modes de nomination des maires indiqués dans le paragraphe précédent et des dates des mandats des maires successifs d’Audes, on peut constater que tous ont été nommés par le préfet, sauf le dernier maire cité, élu parmi les conseillers municipaux eux-mêmes élus au suffrage universel.
Je suppose que comme moi, vous aurez été particulièrement étonnés par la prédominance, tant en nombre qu’en durée de mandats, de maires au patronyme JOSSET ou JOSSET DE QUELQUECHOSE. A travers différents actes d’état civil concernant les protagonistes, j’ai pu établir leurs liens de parenté.
Ainsi, à la suite de Gilbert JOSSET / JOSSET DE LAMAUGARNIE (env. 1760 – 1810), notaire et maire pendant au moins 10 ans et jusqu’à son décès, a été nommé en 1811 son frère, Antoine JOSSET / JOSSET DE MAGNETTE (env. 1761 – 1833), qui était d’ailleurs déjà adjoint précédemment. Celui-ci ne l’est resté « que » cinq ans, remplacé en 1816 par Jean-Baptiste AUFRÈRE DE LAPREUGNE (1776 – 1836), qui ne le restera que trois ans. Il est remplacé par Jean Camille JOSSET DE LAMAUGARNIE (1790 – 1856), fils de Gilbert (le premier maire) qui restera maire pendant plus de 22 ans jusqu’en 1848. Lui-même est alors remplacé par son cousin Philippe JOSSET (1796 – 1873), fils d’Antoine (le second maire), qui restera maire jusqu’en 1870. Enfin, on sort du cercle familial avec André Lucien Ferdinand CORNEREAU (1832 - 1898), le premier donc à être élu par les habitants du village.
Vous aurez également noté l’adjonction de « DE LAMAUGARNIE » ou « DE MAGNETTE » au nom JOSSET, ces noms n’étant autre chose que des lieux-dits (voisins l’un de l’autre) du village ou du village voisin (Preuille avec son château à Magnette, qui fusionnera en 1826 avec Audes).
Les JOSSET se marient entre cousins (Jean Camille JOSSET DE LAMAUGARNIE épouse en 1814 sa cousine (degré indéterminé) Marie Joséphine JOSSET DE MAGNETTE, l’acte de mariage montrant près de trente signatures d’oncles, tantes, cousins, dont de nombreux « JOSSET ») ; les JOSSET devenus « JOSSET DE QUELQUECHOSE » se marient aussi avec des personnes au « NOM DE QUELQUECHOSE ».
Vues les époques auxquels ces particules ont été ajoutées, et les noms supplémentaires correspondant à des lieux sur lesquels ces familles devaient posséder des terres voire un château, on peut supposer qu’elles faisaient partie d’une certaine bourgeoisie cherchant à se donner une apparence noble voire à étendre leur pouvoir.
On peut enfin imaginer une certaine animosité entre Antoine JOSSET et son successeur Jean-Baptiste AUFRÈRE DE LAPREUGNE (né AUFRÈRE tout court, et décédé dans son château de La Creste à Audes...) et leurs familles.
En effet, Jean-Baptiste AUFRÈRE DE LAPREUGNE, qui avait été nommé quatre mois avant le mariage du fils de son prédécesseur, était absent juste pour cet acte-là, et il n’a pas signé l’acte de naissance du premier enfant du nouveau couple, dix mois plus tard... Voir un « étranger » s’intercaler au milieu d’une longue lignée familiale n’a pas dû être particulièrement apprécié de la famille JOSSET qui semblait donc régner en oligarque sur le village...
Pendant plus de 70 ans à peine interrompus pendant trois ans (durée d’un mandat ou même pas ?), se seront donc succédés à la tête de la mairie d’Audes le notaire, son frère, son fils et son neveu !
Certes, les érudits voire les bonnes volontés ne devaient pas être légion à cette époque dans un village de 800 habitants. Mais la famille JOSSET devait probablement être bien placée près du préfet (qui a d’ailleurs dû changer plusieurs fois pendant cette longue période) pour se faire nommer quasiment de manière continue dans une certaine oligarchie. Que s’est-il passé en 1816 pour qu’un « étranger » se fasse nommer maire, certes pour une durée de seulement trois ans ?!... Quoi qu’il en soit, on peut supposer qu’avec 70 ans de « règne » dans un village, la famille JOSSET a pu exercer une certaine emprise vis-à-vis de ses habitants. Les exemples du prochain article Les noms donnés aux enfants trouvés et naturels à Audes en seront-ils le reflet ?
[1]Ce qui était peut-être le cas de Roméo, l’homme à femme évoqué dans un précédent article, et que l’on retrouve dans cinq fois plus de promesses de mariage que d’actes de mariage.
Sources :
Dans mon précédent article décrivant la théorie sur la transmission d’un nom de famille, j’expliquais que jusqu’au XIXème voire au XXème siècle, notre société patriarcale attribuait par usage à un enfant nouveau-né le nom de son père, sans qu’aucune règle officielle n’existât. Les situations des enfants naturels sans père connu étaient donc plus compliquées à gérer pour les officiers d’état civil.
Cet article va nous permettre de passer à la pratique à travers l’étude de quelques cas réels concernant des enfants naturels et la façon dont les officiers d’état civil leur ont attribué un nom de famille lors de la déclaration de leur naissance. Ces exemples ne se veulent bien sûr pas représentatifs de la réalité « moyenne », mais donneront je l’espère une image de diverses originalités dont ont fait preuve les représentants de la loi.
Ne sont étudiés que les cas des enfants naturels dont on connaît au moins un parent au moment de la déclaration de la naissance ; les enfants trouvés[1] pour lesquels l’attribution d’un nom de famille doit suivre certaines règles à partir de 1811 (cf. mon précédent article sur la théorie) ne sont pas pris en compte ici.
Pendant quatre jours de fin septembre, j’ai réalisé un petit sondage sur Twitter afin de savoir la façon dont les enfants naturels présents dans les généalogies de la généatwittosphère avaient été nommés lors de leur naissance au XIXème siècle.
Ce sondage présente plusieurs biais :
Les résultats suivants ne sont donc pas représentatifs de la réalité, mais donnent des ordres de grandeur :
C’est le nom de la mère (le père de l’enfant n’étant pas connu) qui est attribué à l’enfant naturel dans l'immense majorité des cas (quatre réponses sur cinq). Cela est en accord avec le fait que sur 100 enfants naturels, moins de 20 étaient reconnus par le père à la naissance respectivement vers 1850 et vers 1900.
Le cas où l’enfant prend le nom de son père alors que sa mère n’est pas connue n’a fait l’objet d’aucun vote. Deux généalogistes, Frédéric ou @fp_genealogie et Renaud ou @airaetik expliquent toutefois avoir chacun trouvé un enfant portant le nom du père et né de mère inconnue.
Dans une faible proportion (6 % dans le sondage), l’enfant naturel prend le nom de son père alors que ses deux parents sont connus mais non mariés.
Enfin, et ce qui nous intéresse le plus ici, pour environ un enfant sur huit (13 % des réponses), un autre nom est attribué à l'enfant naturel.
Nous allons voir dans les paragraphes suivants différentes façons dont des enfants naturels ont été nommés, en allant de la plus simple à la plus originale… Je m’appuie sur quelques exemples rapportés par les généalogistes suite à mon sondage (pour limiter la longueur de mon article, je n’ai malheureusement pas pu citer tous les cas rapportés, mais je remercie encore chacun pour les exemples qu’il m’a fourni) et sur des exemples de ma généalogie.
Par souci de clarté, j’écrirai par la suite :
La mention marginale d’un changement de nom figure quant à elle bien dans l’acte de naissance de Noémie BOCHE, née en 1887 à Saumur (49), fille de père inconnu et d’Eulalie BOCHE. @LaDrolesse4979 raconte que Noémie sera légitimée par le mariage de sa mère avec Henri GEAY deux ans plus tard : son acte de naissance en porte la mention marginale. Elle se marie ensuite bien sous le nom de GEAY. Vous pouvez lire la complexité que ce changement de nom a apporté à La Drôlesse au cours de ses recherches, dans l’article qu’elle a consacré à Noémie Saumur, 1887 – Noémie Geay est introuvable sur son blog.
Mélanie SOULIER naît en 1863 à Audes (Allier), fille de Félicité SOULIER (toujours la même), veuve depuis 6 ans (3 mois après son mariage évoqué précédemment) et de père inconnu. Mélanie décédera à l’âge de 4 ans et demi.
Les cas où l’on attribue à l’enfant le nom de sa mère quand le père n’est pas connu semblent donc les plus fréquents et finalement assez logiques.
Mais à une époque où tout le monde ne sait pas lire et écrire et où l’on ne s’embêtait pas avec les démarches administratives et leurs justificatifs, il arrive que le nom évolue au fil du temps, de façon plus ou moins radicale…
Le cas de @ChristelleGome5 en est une illustration particulièrement étonnante.
Son ancêtre né à Paris en 1874, fils de père non dénommé et de Marie Joséphine JUNG, se voit attribuer le nom de sa mère. Il s’appelle ainsi Paul Théophile JUNG, noms qu’il porte pendant toute sa jeunesse (y compris sur sa fiche matricule). Mais à son mariage à Malhesherbes (Loiret) en 1903, l'officier d'état civil décrète qu'il n'en a pas le droit : « dénommé à tort [dans son livret militaire] sous le nom de Jung qui est celui de sa mère laquelle ne l’a pas reconnu ». Au début de l’acte, et en mention marginale, il est appelé respectivement « Sieur Paul Théophile » et « Paul-Théophile » (le nom de sa future épouse, qui lui avait été attribué à tort, est d’ailleurs rayé).
L’officier écrivant toujours le nom avant le prénom (y compris et surtout dans la table alphabétique où il est rangé au P), PAUL devient son nom, et Théophile son unique prénom.
C’est ce nom et pas celui de JUNG qui sera transmis à ses enfants et qui le restera jusqu’à son décès. L’histoire ne dit pas comment il se faisait appeler au quotidien avant et après ce changement de nom bien malgré lui...
Christelle a prévu de publier à partir de décembre sur son blog Autant de nos ancêtres... une série d’articles sur Paul... ou Théophile... enfin sur lui !, et sur ses parents, dont les vies constituent une véritable saga.
En ce qui concerne mes ancêtres, mon SOSA 98 (génération 7) né en 1787 à Sainte-Marie-du-Mont (Manche) prend le nom de sa mère dans son acte de naissance : Bonaventure BROHIER est le fils naturel de Marie BROHIER et d’un père inconnu. Je n’ai pas d’autres actes le concernant jusqu’à son mariage, où il est dénommé « Sieur Bonaventure Marie DIT BROHIER » ou « Sieur Bonaventure MARIE DIT BROHIER » (l’écriture manuscrite ne permet pas de déterminer l’accentuation) dans le corps de l’acte, et « Marie Bonaventure dit Brohier » en mention marginale (où sa femme est inscrite sont les noms de VERMONT Marie Anne Françoise)... On voit que l’officier d’état civil était un peu perdu, sans doute aussi parce que la mère de Bonaventure, alors décédée, ne l’avait pas reconnu. Il signe alors « B. Brohïer ».
Enfin, à son décès, il est appelé Bonaventure MARIE DIT BROHIER, fils naturel de MARIE DIT BROHIER…
Conséquence de cette absence de nom « véritable » : les cinq enfants du couple vont (presque) chacun porter un noms différent dans leur acte de naissance :
Avec toutes ces appellations différentes, il n’est pas impossible que j’ai raté la naissance de quelques enfants. A part pour mon ancêtre qui restera appelée « MARIE DIT BROHIER » mais dont le nom fera parfois l’objet de correctif dans des actes où elle est citée pour bien lui réattribuer ce nom au lieu de « BROHIER » comme indiqué au départ[2], je n’ai pas encore étudié la généalogie descendante des autres enfants pour savoir comment le nom s’est transmis au fil du temps.
Un peu de la même façon que dans ce dernier exemple, l’origine géographique proche jouant peut-être un rôle, @Petronille76 du blog Des racines et des arbres : la généalogie par Valérie nous donne deux exemples d’enfants naturels nés dans le Calvados au XVIIIème siècle pour lesquels le prénom de leur mère est devenu leur nom de famille :
@CyrilleGirard85 nous rapporte le cas de son ancêtre Jacque André, fils naturel de Madeleine BERLAND et de père inconnu, né en 1802 à Pissote (Vendée).
Son acte de naissance l’appelle « Jacque André » avec en mention marginale « Jacque André fils de père inconnu » (alors que l’acte voisin y indique les prénoms et nom de l’enfant).
La table annuelle du registre n’étant pas classée par ordre alphabétique mais par ordre chronologique, on ne peut pas trancher sur le nom de famille qui semble lui être donné, même si les noms des autres enfants sont écrits sous la forme Prénom Nom (lui est nommé « Jaque André »).
A son mariage en 1839 à Pissotte auquel assiste sa mère, il est appelé Jean JACQUES, fils de père inconnu et de Magdeleine BERLAND, alors que dans la table alphabétique annuelle, il semble être classé à JEAN Jacques.
Au décès de son épouse en 1870 dans la même commune, il s’appelle maintenant André JACQUES. Dans le recensement de 1872 toujours à Pissotte, André JACQUES habite avec sa fille Augustine JACQUES.
A son décès en 1877 à Pissotte, il est également appelé André JACQUES (avec toutefois deux ratures pour son prénom, Jean lui étant d’abord attribué avant de le remplacer par André).
Il ne semble donc pas impossible que Jacques André se soit fait appeler Jean… Quand on ne sait pas quel est son prénom et son nom, il est peut-être plus simple d’en prendre un troisième, ce qui ne fera que corser encore un peu plus l’affaire des généalogistes... Vous pouvez consulter l’article que Cyrille a consacré à l’acte de naissance de son ancêtre sur son site Internet Cyrille Girard Généalogiste : Jacques André, fils de père inconnu, deviendra André JACQUES.
@pontoif nous rapporte un cas un peu similaire. Son ancêtre, Marie Madelaine, naît en 1836 en Vendée, fille de père inconnu et de Jeanne MACAUD. Son acte de naissance précise bien qu’on lui donne les prénoms de Marie Madelaine, mais dès la table alphabétique, elle est rangée à MARIE Madelaine. On la retrouve sous cette appellation dans différents recensements. Mais alors que sur sur certains actes, elle porte le nom de famille de sa mère, tous seront rectifiés au tribunal pour lui réattribuer le nom de MARIE. Finalement, sur son acte de décès, elle s’appelle « Marie-Madeleine » uniquement.
Vous pouvez retrouver la biographie de Marie-Madeleine sur le blog de Frédéric « De moi à la généalogie » dans l’article rédigé dans le cadre d’un challenge AZ : G comme Gard.
@Marie_Odile59 nous rapporte le cas particulier d’un enfant né de mère dénommée et de père inconnu, à qui un seul prénom a été attribué, mais pas de nom de famille.
Nous arrivons à la dernière catégorie, la plus surprenante, et celle qui m’a poussée à étudier les modes d’attribution des noms de famille à un enfant naturel, puisque les exemples que je vais citer correspondent à l’un de mes ancêtres et à sa sœur utérine qui ont des noms de famille particuliers. Je pensais d’ailleurs vraiment trouver d’autres exemples identiques parmi les autres généalogistes, mais apparemment, mes ancêtres ont eu à faire à un officier d’état civil à la pratique particulièrement singulière !
Mon ancêtre Louis LABEILLE est né le 20 janvier 1853 à Audes (Allier), fils naturel de Jeanne SOULIER et de père inconnu ; Jeanne habitait alors au lieu de la Mouche à miel (une « mouche à miel » étant une abeille). La naissance a été déclarée par Louis SOULIER, frère cadet de Jeanne, habitant au même lieu.
Lorsque j’ai trouvé son acte de naissance, je savais déjà via son mariage qu’il avait été abandonné, puisque celui-ci indiquait qu’il était « né de parents qu’il n’a jamais connus » le 2 février 1853 à Audes (Allier), et qu’il avait été déposé à l’hospice de Moulins un mois plus tard, le 4 mars.
Quand j’ai lu l’acte de naissance (on peut d’ailleurs noter un décalage de 13 jours entre la date de naissance officielle de Louis et la réelle), j’en conclus que le déclarant ou l’officier d’Etat civil ne s’étaient pas trop cassés la tête pour dénommer l’enfant Louis LABEILLE : le prénom du déclarant a été attribué à l’enfant, son nom a été tiré de son lieu-dit de naissance ou de celui d’habitation du déclarant.
Des recherches complémentaires m’ont permis de découvrir que près de trois ans plus tard, Jeanne SOULIER a eu un autre enfant naturel sans père connu. Mais alors que Jeanne habite toujours au lieu de la Mouche à miel à Audes, et que la naissance est déclarée par un autre frère de Jeanne, Louis SOULIER aîné qui habite cette fois aux Chétifs bois dans la même commune, l’enfant est appelé Marie JACOB.
Tous deux conserveront ces noms de famille dans tous les actes que j’ai trouvés les concernant.
Lorsque j’avais découvert la façon dont les noms de Louis LABEILLE lui avaient été attribués, cela ne m’avait pas paru complètement aberrant (c’était alors le premier enfant naturel et le premier enfant abandonné de mon arbre. J’avais même souri devant ce lien de cause à effet entre le lieu d’habitation et son nom de famille). Mais avec tout ce qui précède, je me rends compte que donner à un enfant naturel sans père connu un nom de famille inventé est loin d’être courant. Et pour Marie JACOB, même si la logique de ne pas lui donner le nom de sa mère est la même, je suis encore plus perplexe, puisque son nom ne correspond a priori à rien.
Intriguée par ces deux dénominations aux méthodes quelque peu différentes et qui ne semblent pas se retrouver ailleurs, j’ai souhaité en savoir plus sur les pratiques de l’officier d’état civil d’Audes. Nous verrons donc dans un prochain article les « méthodes » qu’il semble avoir appliquées pendant plusieurs années pour nommer les enfants naturels nés sans père connu.
L'attribution d'un nom de famille à un enfant n'étant régie que par l'usage, notre société patriarcale s'est trouvée bien embêtée face aux enfants naturels sans père connu. La majorité d'entre eux ont reçu le nom de leur mère, ce qui pouvait ne les stigmatiser de la "faute" de celle-ci que lors d'usages bien précis, dans une société où être un enfant de mère célibataire était mal vu. Quelques autres ont subi les affres d'officiers d'état civil par trop rigoureux ou à l'excès de zèle trop marqué. Quand certains représentants de l'Etat ne se souciaient pas de l'impact que pouvait avoir pour un enfant de porter toute sa vie un nom différent de celui de sa génitrice, d'autres n'hésitaient pas à changer le nom d'un homme au cours de sa vie. Quelle identité pouvaient alors avoir ces individus, illettrés pour la plupart, mais déjà tous marqués par l'inexistence d'un père ?...
[1]Enfant, né de père et de mère inconnus, trouvé exposé en un lieu quelconque ou porté dans les hospices destinés à le recevoir. Les enfants abandonnés en secret, notamment les enfants nés dans les hospices, de femmes admises à y faire leurs couches et délaissés par leurs mères, font partie de cette catégorie
[2]Cette modification n’est toutefois pas apportée dans son acte de mariage religieux où elle est d’ailleurs « fille de Marie Brohier et de Anne Vermont » (sans accentuation prénom/nom)
Sources :
La part des naissances d’enfant naturel, le plus souvent enfant de mère célibataire et de père inconnu, a connu son apogée à la fin du XIXème siècle, représentant près de 9 % de l’ensemble des naissances. Difficile donc de ne pas en avoir croisé au cours de ses recherches généalogiques, et même de ne pas en avoir au moins un dans son arbre !
Parmi mes ancêtres directs, les deux enfants naturels de mon arbre (enfants de mère connue et de père inconnu) ont chacun un nom de famille un peu particulier : Louis LABEILLE (né en 1853) et Bonaventure MARIE DIT BROHIER (né en 1787). Je leur ai d’ailleurs déjà consacré un article chacun, respectivement En quête d’origine, Louis ayant été abandonné à l’âge de trois semaines, et Un acte de baptême peu habituel pour un prénom peu ordinaire, le prénom de Bonaventure étant tout aussi étrange que son nom. Afin de comprendre comment l’officier d’état civil en est arrivé à leur donner ces noms puisque leurs mères s’appelaient respectivement Jeanne SOULIER et Marie BROHIER, je vous propose dans un premier temps d’étudier les modes d’attribution d’un nom de famille à un enfant lors de sa naissance, au fil du temps. Puis quelques statistiques nous éclairerons sur les proportions d’enfants naturels, abandonnés et trouvés, pour lesquels la transmission d'un nom de famille est moins évidente que pour un enfant légitime.
La théorie étant plus longue que ce que je ne pensais au départ, un second article la confrontera à la pratique, à travers l’étude de différents cas.
Mais avant de détailler la théorie, commençons par quelques définitions pour parler ensuite le même langage.
Enfant légitime : enfant né d’un couple marié. Il est héritier de plein droit de ses parents.
Enfant naturel ou illégitime : enfant né de personnes non mariées. Dans les faits, il s’agit le plus souvent d’enfant dont la naissance est déclarée sans père connu et de mère célibataire. Le droit des enfants naturels, même reconnus (cf. « Reconnaissance »), restaient réglés au titre des successions et non pas de plein droit comme pour les enfants légitimes.
Enfant abandonné (décret du 19 janvier 1811) : enfant, né de père et de mère connus et d’abord élevé par eux ou par d’autres personnes à leur décharge, délaissé ensuite sans qu’on sache ce que les père et mère sont devenus, ou sans qu’on puisse recourir à eux. En pratique au XIXème siècle, la catégorie des enfants abandonnés comprenait tous les enfants recueillis par l’hospice même provisoirement, qui ne pouvaient être classés ni parmi les enfants trouvés, ni parmi les orphelins pauvres (enfants qui, n’ayant ni père ni mère, n’ont aucun moyen d’existence), et même semble-t-il, une partie des enfants qu’on aurait pu classer dans ces catégories.
Enfant trouvé (décret du 19 janvier 1811 créant l’Assistance Publique) : enfant, né de père et de mère inconnus, trouvé exposé en un lieu quelconque ou porté dans les hospices destinés à le recevoir. Les enfants abandonnés en secret, notamment les enfants nés dans les hospices, de femmes admises à y faire leurs couches et délaissés par leurs mères, font partie de cette catégorie.
La plupart des « enfants trouvés » étaient déposés dans les tours d’abandon des hospices, cylindre tournant accessible depuis la rue dans lequel on pouvait déposer anonymement et sans être vu, un bébé pour qu’il soit pris en charge par l’hospice. En France, les tours d’abandons ont été légalisés par le décret du 19 janvier 1811.
Reconnaissance : établissement officiel de la filiation d’un enfant par sa mère et/ou son père. Dans le cas de la déclaration de naissance d’un enfant naturel de père non connu et de mère connue, la seule mention du nom de celle-ci dans l’acte de naissance ne suffisait pas à établir officiellement sa filiation : elle devait faire établir un acte authentique postérieur à la naissance (et dont il devait être fait mention en marge de l’acte de naissance). Peu de femmes étaient au courant de cette nécessité, et l’on découvre des reconnaissances tardives (par exemple au moment du mariage de l’enfant) alors que la mère n’a pas abandonné son enfant.
Légitimation : les enfants naturels, nés hors mariage, peuvent être légitimés par le mariage subséquent de leurs père et mère, lorsque ceux-ci les ont reconnus avant le mariage ou au cours de celui-ci. La légitimation confère aux enfants nés naturels et reconnus, les mêmes droits que les enfants nés légitimes.
La dénomination d’un individu suit différents usages qui commencent dès l’Antiquité et évoluent au fil des siècles et des époques, pour se terminer au XXIème siècle avec une loi définissant précisément la façon dont un enfant peut être dénommé.
Le nom romain puis le triple nom (praenomen, nomen, cognonem) se diffusent dans la Gaule avec l’expansion de l’empire, puis disparaissent avec les invasions barbares au profit de noms individuels uniques d’origine germanique qui ne se transmettent pas d’une génération à l’autre. Avec l’expansion du christianisme, ces noms sont ensuite remplacés plutôt par des noms universels de saints.
Un seul nom subsiste ainsi jusque dans le haut Moyen-Age (période qui commence à la fin du Vème siècle).
Dans les familles aristocratiques du Moyen-âge central (XIème-XIIIème siècle), le nom individuel (qui correspond au nom donné à la naissance) s’accompagne progressivement d’un nom de race patrilinéaire, basé par exemple sur le fief, un titre militaire, un exploit ou une caractéristique physique ou morale. Dans le reste de la population, on distingue les homonymes les uns des autres en associant au nom donné à la naissance, un surnom soit tiré du nom du père « Pierre, fils de Martin » qui deviendra « Pierre Martin », soit basé sur une singularité issue du caractère ou du physique de l’individu (Pierre « le bon », Pierre « le grand »), de son lieu de résidence ou de provenance (Pierre « du bois ») ou de son métier (Pierre « marchand »). À l’usage, ces noms tendent à devenir héréditaires, d’abord dans les familles aristocratiques, puis dans toute la population française à partir du XIVème siècle. Ainsi le surnom attribué à un individu deviendra-t-il son nom de famille (d’où le « surname » anglais) qui sera transmis à ses enfants, quand le nom de naissance deviendra le prénom (« name » anglais).
En 1474, Louis XI interdit de changer de nom sans une autorisation royale.
L’ordonnance de Villers-Cotterêts ou « Ordonnance sur le fait de la justice »[1] de 1539, restée célèbre pour l’officialisation de l’usage de la langue française dans les actes officiels, porte aussi sur la tenue des registres de baptêmes et de sépultures par les curés de chaque paroisse. Elle généralise ainsi l’enregistrement par écrit des noms de famille et tend à en fixer l’orthographe.
Le décret du 20 septembre 1792 retire la tenue des registres par les paroisses et confie la tenue des registres d’état civil aux maires.
La loi du 6 fructidor an II (23 août 1794) vise à empêcher quiconque de porter d’autre nom et prénoms que ceux inscrits dans les registres.
Le Code civil de 1803 (décrété le 14 Ventôse an XI - 5 mars 1803 - et promulgué le 24 du même mois) ou Code Napoléon se limite ensuite, dans le domaine de l’état civil, à définir les règles à appliquer pour les déclarations des naissances (articles 55 à 57) : délai, déclarant, témoins et contenu de l’acte.
Le décret impérial du 19 janvier 1811 rend obligatoire la création d’un service préfectoral dédié à l’aide aux enfants abandonnés et trouvés. Les différentes catégories d’enfants (enfants trouvés, enfants abandonnés et orphelins pauvres[2] forment les « pupilles de l’Etat »[3]. Pour dénommer l’enfant anonyme, le personnel des hospices va s’appuyer sur la législation en vigueur[4] qui suggère de leur donner un nom emprunté « soit à l’histoire des temps passés, soit dans les circonstances particulières à l’enfant, comme sa conformation, ses traits, son teint, le pays, le lieu, l’heure où il a été trouvé ; […] il faut rejeter avec soin toute dénomination qui serait indécente, ridicule ou propre à rappeler, en toute occasion, que celui à qui on le donne est un enfant trouvé ». Depuis la loi du 11 Germinal an XI (1er avril 1803), le prénom des enfants trouvés devait quant à lui être choisi parmi ceux « en usage dans les différents calendriers et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne ».
L’orthographe des noms de famille fluctue encore plus ou moins à une époque où chaque individu ne sait pas systématiquement lire et écrire. La création des livrets de famille le 18 mars 1877 permettra progressivement de fixer définitivement cette orthographe.
La loi du 5 juillet 1996 porte sur les enfants dont les parents ne sont pas connus. Il modifie l’article 57 du Code civil en précisant que « l’officier d’état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille à l’enfant ».
Ce n’est finalement qu’en 2003 qu’apparaît dans le Code civil une section relative aux règles de dévolution du nom de famille. Les parents peuvent choisir s’ils transmettent à leur enfant le nom de leur père, celui de leur mère, ou les deux accolés dans l’ordre qu’ils désirent.
Finalement, on peut retenir que la transmission d’un nom de famille existe par usage depuis le Moyen-Age. D’abord institution sociale, il ne devient juridique que dans la période contemporaine. Pour les enfants légitimes et les enfants naturels dont les deux parents sont connus, l’usage de notre société patriarcale voulait que ce soit le nom du père qui soit transmis (d'où le terme de « patronyme » souvent utilisé à la place de celui de « nom de famille »). Quand seule la mère était connue, son nom de famille était généralement transmis à l’enfant. Aucune règle officielle n’existant, plusieurs cas particuliers parmi tant d’autres nous prouvent toutefois le contraire.
Mais avant d’étudier plus précisément dans un prochain article les noms de familles donnés aux enfants naturels[5], intéressons-nous à quelques statistiques sur cette population d’enfants.
Les statistiques sur le nombre d’enfants naturels, abandonnés et trouvés sont difficiles à établir. Si les naissances sont traditionnellement réparties selon le caractère légal de leur filiation, il faut attendre le milieu du XIXème siècle pour que soit tenté le comptage des reconnaissances d'enfant naturel insérées dans l'acte de naissance, et le milieu du XXème siècle pour que ce comptage devienne complet. On peut quand-même donner les ordres de grandeur suivants : la naissance d’enfants naturels représente moins de 2 % des naissances en 1750, 5 % en 1800, près de 9 % de 1890 à 1914, puis décline à 6 % en 1938-1939 et de 1955 à 1968 après la disparition des effets de la guerre. Avec la croissance à la fin des années 1960, les naissances illégitimes de 1973-1975 retrouvent le niveau de 1890-1914.
Proportion de naissances illégitimes sur la population et les naissances totales entre 1740 et 1975.
Source : « Enfants trouvés, reconnus, légitimés, Les statistiques de la filiation en France, aux XIXe et XXe siècles » Maksud Monique, Nizard Alfred.
Le devenir de ces enfants évolue également au fil du temps. Il est le suivant, sur 100 enfants naturels à ces différentes époques :
Le graphe ci-dessous résume ces principales données.
Après cette masse d’informations théoriques, et si vous êtes arrivés jusqu’ici (bravo !), une petite pause s’impose. Je vous propose de retrouver plusieurs exemples dans un prochain article. Nous découvrirons différentes façons dont des enfants naturels ont été nommés.
[1]Aussi appelée ordonnance Guillemine, du prénom de son rédacteur avocat et membre du Conseil privé du roi, Guillaume Poyet, qui, d’origine angevine, n’a a priori aucune chance de figurer dans mon arbre...
[2]Cf. les définitions en début d’article
[3]A ne pas confondre avec les « pupilles de la Nation » qui sont les enfants de soldats morts ou blessés lors de la Première guerre mondiale et secourus depuis la loi du 27 juillet 1917
[4]Circulaire du 30 juin 1812 reprise par l’instruction ministérielle du 8 février 1823
[5]Les cas des noms de famille donnés aux enfants abandonnés ou trouvés étant une situation à part et complexe, nous nous limiterons dans le prochain article aux seuls enfants naturels, sans d’ailleurs en faire le tour...
Sources :
Première illustration : Archives départementales de l’Allier, Audes, N 1829-1862, vue 149/196.
Noms de famille :
Documents officiels :
Enfants naturels, abandonnés et trouvés :
Comment un homme a passé cinq fois plus de publications de mariage que de mariages alors qu'un mariage ne nécessite que deux publications ? Pour résoudre cette équation, découvrons le parcours marital d’un homme assez particulier à la fin du XIXème siècle.
Malgré mon ton parfois enjoué, mon but n'est pas de me moquer ni de juger qui que ce soit, mais juste de relater une situation passée que l'on pourrait facilement retrouver de nos jours sous une autre forme.
Bien que toutes les données soient disponibles sur Internet, j’ai modifié les noms et dates afin de préserver l’anonymat de tous les protagonistes de l’affaire. Les écarts entre les dates sont toutefois conformes à la réalité, sinon l’histoire perdrait de son intérêt ! Enfin, une petite carte à la fin de l’article localise les différents lieux évoqués les uns par rapport aux autres.
Notre homme, appelons-le Roméo, naît en 1853 à A, petit village d’un département du centre de la France. Sa mère décède à l’âge de 34 ans alors que Roméo n’en a que 5, et son père meurt trois ans plus tard, à l’âge de 57 ans. Je ne sais pas qui s’est alors occupé de lui jusqu’à sa majorité, et je ne le trouve pas dans les tables des registres matricules où l'on pourrait s'attendre à le trouver.
Le 5 mai 1882, à l’âge de 29 ans, alors que Roméo est domestique dans le village B, limitrophe de A, il établit un premier contrat de mariage avec Anne, 22 ans, fille de parents inconnus, domestique dans la « grande » ville du coin, C. Les deux publications de mariage sont bien faites à une semaine d’intervalle, mais aucun mariage n’est finalement passé. Le 27 juin, près de deux mois après la première publication, Anne accouche d’un petit garçon dans l’hôpital de C. Il est déclaré par la sage-femme comme le fils d’Anne et prend son nom ; il n’est fait aucune mention du père.
Le 29 septembre 1882, soit moins de quatre mois après la première publication du pseudo premier mariage, nous retrouvons Roméo pour une première publication avec une seconde femme. Roméo habite à D, commune limitrophe de B (mais à moins de 500 mètres de son précédent logement) où il est journalier. Sa future, Bérénice, a cette fois 38 ans, elle est domestique au bourg de D, ses parents sont décédés. La seconde publication est également passée la semaine suivante, mais encore une fois, aucun mariage n’est célébré !
Le temps passe, et sans doute Roméo et Anne n’avaient-ils pas complètement coupé les ponts. Nous les retrouvons en effet un an et demi plus tard, le 9 mars 1884, pour une nouvelle première publication de mariage. Roméo habite toujours B (dans un autre lieu-dit), et Anne[1] toujours dans la ville C (à une autre adresse). La seconde publication est de nouveau passée une semaine plus tard, ... et encore une fois, aucun mariage n’est célébré !
Roméo, 31 ans, domestique dans le village E, passe alors ses quatrièmes publications de mariage six mois plus tard, le 21 novembre 1884. Cette fois c’est la bonne ! Roméo épouse enfin sa promise : Catherine, 55 ans, journalière à F, et dont seule la mère est encore vivante.
Le mariage dure et dure encore, jusqu’au décès de Catherine à l’âge de 78 ans, le 27 mai 1903 dans son domicile toujours situé à F. Dix-neuf ans de mariage pour Roméo, ça valait le coup de s’y reprendre à quatre fois avant de franchir le pas !
Mais notre Roméo, 50 ans, n’a pas perdu ses bonnes habitudes. Moins de quatre mois plus tard, il passe ses cinquièmes publications de mariage... et se marie finalement une seconde fois, le 4 octobre 1903. L’heureuse élue est Denise, 27 ans, née à Paris et demeurant à D depuis peu et auparavant dans un village limitrophe, sans profession. Denise est fille naturelle de père non dénommé et de mère sans domicile connu.
Finalement, je trouve Roméo dans le recensement de 1906 dans le village E, où il est domestique... mais sans Denise. Celle-ci habite en effet à F où elle est également domestique de ferme, en compagnie de sa fille... Cette dernière porte le nom de sa mère, et elle est indiquée comme étant née en 1902 ou 1903 (le chiffre de l’unité n’est pas très lisible) à F. Je ne trouve pas sa naissance dans les registres de cette commune que j’ai balayés sur les années 1900 à 1906, et l’enfant n’avait pas été reconnu à l’occasion du mariage entre Roméo et Denise (ce qui est logique même si Roméo était le père biologique, vu qu'il était alors marié à sa première femme, sinon à la naissance de l'enfant, au moins à sa conception).
N’ayant pas trouvé de divorce (j’ai seulement cherché jusqu’en 1912 dans la commune F où avait été passé le mariage), pendant combien de temps Roméo et Denise seront-ils restés mariés (administrativement au moins) ? Cela évitait toutefois une énième publication de mariage dont Roméo semblait être friand... A sa décharge, on peut supposer que devenir orphelin à l’âge de 8 ans n’a pas aidé Roméo à se construire. Enfin, on ne sait pas comment les protagonistes ont vécu toutes ces histoires, mais on peut supposer que cela n'a été facile pour personne.
Carte des lieux de vie de Roméo et de ses femmes. Cliquer pour zoomer.
Source : Scribavita, carte réalisée sur QGIS avec des données Geofla®.
[1]Fait étrange à propos d’Anne : l’identité de ses parents est cette fois clairement indiquée, ils sont déjà décédés. Anne semblait toutefois bien être une enfant orpheline, puisqu’à la naissance de son fils en 1882, il est précisé qu’elle a été élève des hospices de la Seine, qui s’occupait a priori des enfants orphelins ou abandonnés.
]]>Dans le précédent épisode Qui ira au conseil de famille ?, nous avons retrouvé la famille Poyet-Rousset en 1856 dans leur ferme de Manissol à Saint-Christo-en-Jarez (Loire), une semaine après le décès du chef de famille, Pierre. J’avais donné quelques conseils à Pierre fils sur la composition que devait avoir le conseil de famille devant le juge de paix. Pour ce nouveau rendez-vous ancestral qui a lieu le lendemain du précédent, nous sommes à Saint-Héand le 23 novembre 1856, dans le bureau du juge de paix du canton éponyme, afin d’y nommer les tuteurs des enfants mineurs devenus orphelins.
Le monde s’affaire, je ne voudrais rien rater de ce moment à la fois douloureux et sans doute rassurant pour Jean-Marie et François, dont une partie du destin se noue ici.
La fratrie de neuf enfants dont huit sont encore vivants avait perdu leur mère 12 ans plus tôt. Les enfants, âgés alors de 23 ans pour l’aîné à 10 mois pour le dernier, habitaient tous dans la ferme familiale, sauf la seconde, Catherine, qui s’était mariée un an auparavant. La famille avait bien grandi, les aînés s’occupant des plus jeunes, la majorité des filles se mariant au fil des ans et fondant à leur tour une famille, et le père étant aidé par son fils aîné dans les travaux à la ferme.
Leur père décédé il y a une semaine laisse finalement deux enfants mineurs orphelins : Jean-Marie et François, âgés de 17 et 13 ans.
Comme prévu, six personnes sont venues se présenter pour composer le conseil de famille devant le juge. Pierre fils, le frère aîné des mineurs Jean-Marie et François, et ses trois beaux-frères sont membres automatiques du conseil. Les accompagnent l’oncle paternel des enfants, Claude Poyet, 58 ans, ainsi que leur oncle maternel, Pierre Rousset, 63 ans.
Jean-Marie et François sont également présents.
Je me fais de mon côté toute petite au fond du bureau, n’ayant pas vraiment de raison d’être présente.
Le juge prend l’identité de chacun et ses relations familiales avec les mineurs, puis il consulte les différents documents justifiant du décès de leurs parents. Toutes les conditions étant requises, il agrée chacun des membres et les autorise à se réunir de suite en conseil de famille.
Pierre fils me lance un clin d’œil pour me remercier de l’avoir bien conseillé.
Le juge rappelle alors la raison de ce conseil de famille.
- Les précédemment nommés Pierre, Jean-Marie, François, Catherine, Jeanne Marie, Marie dite Mariette, Fleurie et Françoise Poyet, seuls enfants avec feue autre Catherine Poyet, nés du mariage de feus Pierre Poyet et dame Jeanne Rousset décédés, la mère le 25 juin 1844 à Saint-Christo-en-Jarrêt, avant la défunte Catherine Poyet et le père le quinze novembre dernier après cette dernière, père décédé intestat [sans testament], laissant deux enfants mineurs, les susnommés Jean-Marie et François, le présent conseil de famille est réuni afin de leur désigner un tuteur et un subrogé tuteur. »
Le juge explique que le tuteur ou tuteur datif agit comme le représentant des mineurs. Il gère leur patrimoine et s’occupe de leur personne jusqu’à leur majorité (qui s’élève alors à 21 ans). Le subrogé tuteur remplit quant à lui un rôle de surveillance de la mission du tuteur, et remplace ce dernier en cas de vacance ou d'opposition d'intérêts avec les mineurs. Enfin, le juge précise que lui-même prend les décisions concernant l’organisation de la tutelle, qu’il préside le conseil de famille, et, qu’en cas d’égalité, sa voix est prépondérante.
- Doit d’abord être élu le tuteur, qui administrera les tutelles à compter du jour de sa nomination, donc aujourd’hui. Nous devrions reconvoquer un second conseil de famille pour élire le subrogé tuteur, mais pour gagner du temps, je vous propose de l’élire à la suite du tuteur, sachant que celui-ci ne pourra pas voter. Bien sûr, seuls les sept membres du conseil de famille, c’est-à-dire vous six, majeurs, et moi-même, prenons part au vote. Est-ce que tout le monde a compris ou vous avez besoin d’informations complémentaires ?
Devant la solennité des paroles du juge, tout le monde retient son souffle, et chacun hoche la tête en silence.
Le juge poursuit.
- Compte tenu de la composition du présent conseil de famille, je propose que soit nommé comme tuteur datif de Jean-Marie et François, leur plus proche parent, à savoir leur frère aîné, Pierre fils.
Avant que le juge ne soumette cette proposition au vote de chacun des membres du conseil, Pierre fils prend la parole :
- Nous avions discuté de tout cela entre nous tous » explique-t-il. En tant qu’aîné de la famille et habitant sur la propriété familiale, c’est tout naturellement que nous avions souhaité que je prenne le rôle de tuteur de mes plus jeunes frères. Après avoir perdu notre mère alors que nous étions encore jeunes, nous sommes devenus solidaires les uns des autres depuis longtemps déjà, et c’est important de le rester.
- C’est parfait », lui répond le juge. Nous devons quand-même voter pour valider cette proposition.
Il s’adresse alors successivement à chacun des six autres membres du conseil, en commençant par les parents les plus proches dans la ligne paternelle, puis il émet son vote particulier.
- Pierre Poyet fils est nommé à l’unanimité tuteur datif de ses frères Jean-Marie et François » proclame-t-il solennellement. Passons maintenant au subrogé tuteur. Je vous propose de nommer Pierre Rousset, le second parent au degré le plus proche de Jean-Marie et François, et le plus âgé.
De la même façon que précédemment, le juge soumet au vote de chacun cette proposition.
A son tour, Pierre Rousset prend la parole :
- J’ai toujours été proche de ma sœur et de mes neveux, je trouve tout à fait normal de prendre ce rôle pour les protéger, même si avec Pierre, on n’a pas de souci à se faire : c’est un bon gars, il saura très bien gérer l’intérêt de ses frères en bon père de famille ! »
A ces mots, Pierre Poyet fils esquisse un sourire : Marie-Benoîte sa femme pense depuis une vingtaine de jours être enceinte[1] et il espère bien devenir bientôt un bon père de famille avec ses propres enfants.
Pour le reste de l’assemblée, cette dernière phrase prononcée par Pierre Rousset détend l’atmosphère.
Le juge finit de faire voter les membres du conseil de famille et proclame Pierre Rousset subrogé tuteur des enfants mineurs. Finalement, il tend l’acte rédigé au fur et à mesure à chacune des personnes présentes qui le signent avec plus ou moins de dextérité.
Le juge souhaite alors bon courage à toute la famille et en particulier à Jean-Marie et à François dont il se sent aussi responsable. Puis tout le monde sort du bureau et s’embrasse chaleureusement.
Pierre s’approche de moi une dernière fois pour me remercier d’être venue.
- C’est moi qui te remercie de m’avoir permis de vivre ce moment alors que j’étais restée frustrée dans mes recherches de ne pas avoir trouvé la transcription de ce jugement !
- Tu vas revenir ? » me demande-t-il.
Même s’il semble y avoir pris autant goût que moi, je lui réponds de manière très évasive, car je n’en sais rien moi-même...
Remarque :
N’ayant pas trouvé aux Archives départementales l'acte correspondant à ce conseil de famille, j’ai indiqué ses différents membres et son déroulement d’après les règles tirées du « Traité des conseils de famille et des conseils judiciaires ». Les tuteurs qui en découlent correspondent bien à ceux indiqués dans l’inventaire après décès réalisé quatre mois après ce conseil de famille.
Vous pouvez retrouver chaque « rendez-vous ancestral » des différents participants via son site Internet dédié : RDVAncestral
[1]Le premier enfant de Pierre et Marie-Benoîte verra effectivement le jour dans sept mois et demi
Sources :
Pour ce nouveau rendez-vous ancestral, nous sommes de retour à Manissol dans la commune de Saint-Christo-en-Jarez (Loire), le 22 novembre 1856.
Alors que Jeanne Rousset (SOSA 33) est décédée depuis onze ans à l’âge de 45 ans, son mari, Pierre Poyet (SOSA 32) s’est éteint une semaine auparavant, tout juste âgé de 64 ans. Il laisse une fratrie de huit enfants encore vivants dont deux sont mineurs, Jean-Marie le jeune, âgé de 17 ans, et François, 13 ans.
J’avais rencontré Pierre et Jeanne en 1821, un an après leur mariage, dans de précédents rendez-vous ancestraux. Vous pouvez les retrouver ici : Pierre et Jeanne, des anticonformistes ?, Une journée à la ferme, et Pierre, premier Christodaire de notre lignée qui perdure encore.
J’arrive devant la ferme familiale où beaucoup de monde est déjà rassemblé. Je ne connais personne, si ce n’est Pierre fils désormais âgé de 35 ans. Je ne l’ai vu qu’une seule fois, à l’occasion de sa naissance, et alors que son père l’emmenait pour déclarer celle-ci, mais je le reconnais facilement. Ses traits ressemblent tellement à certains de ses descendants que je n’ai aucun doute, c’est sûrement lui ! Il s’adresse avec calme et le regard apaisant à deux jeunes gens. Le premier est un jeune homme aux yeux noircis, probablement Pierre dit Jean-Marie le jeune, 17 ans, ouvrier mineur habitant à Sorbiers, village proche de Saint-Christo. Le second est encore un enfant, il ne fait pas de doute qu’il s’agit de François, 13 ans, qui habite dans la ferme familiale. Trois personnes les accompagnent, un couple d'une cinquantaine-soixantaine d’années et probablement leur fils, d’environ 25 ans. Je ne vois pas de qui il peut s’agir, mais leur proximité avec les trois frères auxquels ils s'adressent semble évidente.
A côté de ce premier petit groupe, quatre femmes d’une vingtaine à une trentaine d’années discutent ensemble. Deux d’entre elles arborent un ventre plus ou moins arrondi, il ne me fait pas de doute qu’il s’agit de sœurs de Pierre fils, Fleurye, 23 ans, et Françoise, 27 ans, enceintes respectivement de huit et cinq mois. J’entends que leur conversation porte sur leurs grossesses, et je suppose que leur interlocutrice qui leur donne des conseils est leur sœur Catherine, 31 ans, déjà mère de quatre enfants. La dernière femme avec elles semble écouter tout cela d’une oreille attentive. Je suppose qu’il s’agit de Marie-Benoîte Fontvieille, 31 ans, la toute récente femme de Pierre fils[1]
Trois hommes plus âgés sont à leurs côtés et parlent de leurs dernières récoltes : les choux qui ont bien donné, les navets et les carottes un peu moins, ... Il s’agit sûrement de leurs maris, respectivement Jean-Antoine Rivoirard, 36 ans, Claude Cizeron, 40 ans, et François Cro(i)zier, 48 ans. Ces trois beaux-frères, bien qu’habitant dans différents villages situés entre une dizaine et une vingtaine de kilomètres de Saint-Christo, s’apprécient, et ils aiment discuter de leur vie de cultivateur.
Enfin, deux jeunes femmes échangent quelques mots, le visage boursouflé de larmes. Après avoir fait le tour de la famille, il ne reste plus que Jeanne-Marie et Mariette, âgées de 25 à 30 ans, célibataires. Elles vivent encore à Manissol, et après avoir été confrontées au décès de leur mère il y a onze ans déjà, le départ de leur père les bouleverse.
Pendant que je regarde tout ce petit monde, deux hommes d’une cinquantaine d’années arrivent, le premier accompagné de sa femme. A la ressemblance et à l’air de famille de ces hommes avec tous les autres, je suppose qu’il s’agit de frères de Pierre père. Entendre Pierre fils les interpeller : « Bonjour Le Claude et Marie, bonjour Jeannot ! » me confirme qu’il s’agit bien de Claude Poyet, de sa femme, et de Jean Poyet, tous cultivateurs à Saint-Héand.
Je reste en retrait, car je n’ose pas me montrer dans ce moment empreint d’émotion.
La famille s’est donnée rendez-vous dans la ferme familiale avant d’aller voir le juge de paix à Saint-Héand, afin de provoquer un conseil de famille qui désignera des tuteurs pour Jean-Marie et François. En effet, ils ne veulent pas tarder et préfèrent y aller par eux-mêmes, plutôt que d’attendre la convocation du juge. Ils savent que des règles bien précises s’appliquent pour la composition de ce conseil de famille, sans trop savoir ce qu’elles sont à part la nécessité d’un équilibre entre les branches paternelle et maternelle.
Pierre fils jette un œil dans ma direction. Il paraît à peine surpris et me salue l’œil complice, semblant me reconnaître... Il se détache des autres pour venir me parler.
- C’est bien toi notre descendante et la généalogiste de la famille ? » m’interroge-t-il. Mon père m’avait expliqué que tu étais venue chez eux le jour de ma naissance... C’est même toi qui me portais dans les bras quand il nous a emmené à la mairie déclarer ma naissance !
- Oui c’est bien moi... » lui répondis-je, toute bredouillante d’être reconnue ainsi. Intérieurement, je me dis que c’est assez incroyable que la présence d’une descendante ne surprenne même plus mes ancêtres...
- Il m’avait dit d’être attentif, car il était persuadé que tu reviendrais ! J’étais un peu sceptique, mais je vois qu’il ne s’était pas trompé, même s’il doit regretter de ne pas t’avoir revue ! Il m’avait dit qu’avec tes pouvoirs magiques, ce n’est pas très net pour moi..., tu pouvais accéder à plein d’informations. Tu dois savoir alors qui peut composer un conseil de famille pour qu’on désigne des tuteurs à mes frères mineurs ?
- Euh... oui, je dois pouvoir te dire ça, laisse-moi cinq minutes pour chercher...
Je m’éloigne alors pour sortir mon portable et me connecter à Internet. A la question de Pierre, je regrette encore plus de n’avoir pas réussi à trouver aux Archives départementales le jugement de ce conseil de famille qui doit avoir lieu le lendemain. Mais qu’à cela ne tienne, je vais pouvoir me documenter un peu sur les conseils de famille et les tuteurs. Un petit tour sur Gallica devrait me permettre de trouver une réponse datant de l’époque où nous sommes. Effectivement, très rapidement, je trouve le « Traité des conseils de famille et des conseils judiciaires », dont je choisis l’édition de 1854. Je parcours très rapidement le document de 400 pages puis j’appelle discrètement Pierre.
- Bon alors pour résumer, en plus du juge de paix, le conseil de famille doit être composé de six parents ou alliés habitant dans la commune où sera ouverte la tutelle ou dans des communes distantes d’au maximum 2 myriamètres (20 kilomètres) de celle-ci. Ces six membres doivent être pris pour moitié du côté paternel, et pour moitié du côté maternel, et en suivant l’ordre de proximité dans chaque ligne. Le parent doit être préféré à l’allié de même degré, et parmi les parents de même degré, le plus âgé à celui qui l’est moins. Si les frères germains[2] du mineur et les maris des sœurs[3] germaines sont six ou plus, ils seront tous membres du conseil de famille. C’est parmi les membres de ce conseil de famille que sont désignés les tuteurs, sachant qu’à l’âge de 65 ans accomplis, on peut être dispensé de tutelle. Donc ça veut dire que toi en tant que frère de Jean-Marie et François, ainsi que tes trois beaux-frères, vos « alliés », vous êtes membres automatiquement. Il faut quelqu’un du côté de ton père, ton oncle le plus âgé : Claude. Du côté de ta mère, je ne sais pas exactement lesquels de tes oncles sont encore vivants, mais de toutes façons, ils auraient tous plus de 65 ans sauf Pierre qui en a 63... Ca tombe bien, tout le monde est là, si je ne me trompe ?!... J’y vais un peu à l’intox pour Pierre Rousset, mais je comprends qu’il doit être l’homme d’une soixante d’années accompagné de sa femme Catherine Blanchard et de leur fils Mathieu, 25 ans, que je n’avais alors pas identifiés.
- Oui c’est ça ! » me répond Pierre fils. Je ne sais pas comment tu fais pour savoir tout ça, le XXIème siècle permet vraiment des choses incroyables ! Tu veux que je te présente à toute la famille ? Tu connais tout le monde, mais personne ne te connaît...
- Merci, mais c’est peut-être mieux que je reste en retrait comme cela. Je risquerais d’avoir du mal à convaincre chaque personne d’une telle assemblée, et je ne veux pas prendre le risque de passer pour une folle... On se retrouve demain chez le juge ? Enfin, je resterai discrète, mais j’aimerais bien être là quand-même !
- Et bien si tu veux, oui... A demain.
A ces mots, je me sépare de Pierre fils, le laissant seul pour expliquer aux autres qui devra l’accompagner demain chez le juge, et pour qu’ils réfléchissent ensemble qui choisir comme tuteurs.
(La suite de cet épisode dans Le Conseil de famille)
Vous pouvez retrouver chaque « rendez-vous ancestral » des différents participants via son site Internet dédié : RDVAncestral
[1]Le mariage a été célébré quatre mois auparavant.
[2]Les frères et sœurs germains ont le même père et la même mère. Les frères et sœurs utérins ont la même mère, les consanguins le même père.
[3]Les femmes sauf la mère et les ascendantes du mineur ne sont pas autorisées à être membres d’un conseil de famille.
Sources :
Un acte d’état civil ou paroissial ne permet pas simplement d’ajouter un individu à son arbre. Si les prénoms originaux que l’on y découvre nous font sourire ou nous interpellent, la lecture approfondie de l’acte de baptême de mon ancêtre au prénom (voire au patronyme) le plus original de ma généalogie, Bonaventure MARIE DIT BROHIER, et qui présentait la particularité de n'avoir ni parrain ni marraine, va nous permettre de réfléchir à son histoire.
C’est dans l’acte de mariage de 1867 d’un couple d’ancêtres que je découvrais le patronyme « Marie dit Brohier ». Cet acte précisait également de précédentes erreurs d’état civil relatives à ce nom, ce qui attirait encore plus mon attention.
En remontant cette branche, je découvrais deux générations au-dessus, un prénommé Bonaventure. Compte tenu de son prénom et de son patronyme particuliers, j’avais l’intuition qu’il était le premier porteur de ce patronyme, en supposant qu’il était un enfant abandonné ou un enfant naturel. Cette dernière hypothèse était confirmée à la lecture de son acte de mariage, ce qui me donnait particulièrement envie d’en savoir plus. Ses date et lieu de naissance étant clairement indiqués, je pus facilement accéder à l’acte de baptême de Bonaventure.
L’acte de baptême de Bonaventure Brohier du 14 juillet 1787. Cliquer pour zoomer.
Source : Archives départementales de la Manche, Sainte-Marie-du-Mont, BMS 1781-1792, 5 Mi 1938, vue 151/296.
Le samedy quatorzième jour de juillet audit
an. A été baptisé et tenu sur les fonts de bapte
me par nous vicaire soussigné, un Garçon
né de cette nuit, de marie brohier fileuse
de Laine de cette paroisse, et d’un père inconnu.
Co[mme] il nous La été attesté par jeanne de Gaule
qui nous a presente Ledit enfant, auquel
nous avons donné le nom de bonaventure
Laditte jeanne de Gaule a signé avec nous.
[signatures : r.degollo a.legros (illisible)vicaire]
Né le 14 juillet 1787 à Sainte-Marie-du-Mont dans la Manche, Bonaventure est le fils de Marie Brohier, fileuse de laine, et de père inconnu.
Bonaventure est présenté par Jeanne de Gaule, que je suppose être la sage-femme du village (elle atteste également la même année la naissance d’un autre enfant né de père inconnu). Aucun parrain ni marraine n’est cité. En plus de Jeanne la sage-femme et du curé, une seule autre personne signe l’acte mais sans y être citée : « a. legros ».
A noter qu’en mention marginale, Bonaventure s’appelle bien « Brohier » comme sa mère. Le patronyme « Marie dit Brohier », hérité a priori de la composition du prénom de sa mère et du patronyme de celle-ci, apparaît seulement à partir de son acte de mariage.
Les archives départementales de la Manche ne possèdent plus les registres des déclarations de grossesse de l’Ancien Régime (sans doute détruites comme tant d’autres archives manchoises lors de la seconde guerre mondiale).
Je ne pourrai donc pas savoir si Marie a fait une déclaration de grossesse, comme cela était requis pour les femmes enceintes célibataires ou veuves sous l’Ancien Régime afin d’éviter les infanticides. Cette déclaration aurait éventuellement pu me permettre de connaître l’identité du père de l’enfant. Quel dommage, Bonaventure était le premier de mes ancêtres né pendant cette période à être un enfant naturel !
La grande majorité des autres actes figurant dans le registre pour l’année 1787, sont signés de « alegroscustos » à la graphie très proche de celle de « a. legros » signant l’acte de baptême de Bonaventure. Certains de ces actes nous permettent de savoir qu’il s’agit d’Enselme Le Gros, fils d’Augustin (sans plus d’information). On peut supposer que le témoin au baptême de Bonaventure et celui qui signe de nombreux autres actes sont la même personne ou au moins ce père et ce fils.
Mais cela ne nous permet pas de savoir précisément de qui il s’agit, et pourquoi la signature (voire le « témoin ») n’est pas exactement le même que d’habitude. Y avait-il quelque chose à cacher ?
Pour l’anecdote, un nommé Anselme Le Gros Castos sera témoin à la naissance d’une fille de Bonaventure. Compte tenu des âges des protagonistes, sans doute s’agit-il du fils du témoin qui avait signé l’acte de baptême de Bonaventure ou en tous cas du témoin habituel des autres actes de baptême.
C'est la première fois que je lis un acte de baptême dans lequel ne sont mentionnés ni parrain ni marraine. J'ai essayé de comprendre le pourquoi de cette particularité.
En 1787 à Sainte-Marie-du-Mont, deux autres enfants naissent de père inconnu : une fille, qui a seulement une marraine dont elle prendra le premier prénom (le deuxième prénom de sa marraine a été rajouté en interligne, sans doute oublié lors de la rédaction de l’acte), et un garçon, qui a un parrain et une marraine, et qui prendra le prénom de son parrain. Tous les autres baptêmes correspondent à des enfants légitimes, qui ont tous un parrain et une marraine.
Si l’absence de parrain/marraine était réservée aux enfants naturels, on n’en trouverait pas non plus chez les deux alter ego de Bonaventure. Cette hypothèse n’est donc sans doute pas la bonne.
De 1685[1] à 1787[2], les actes de baptême des enfants protestants nés pendant l’Ancien Régime figuraient bien dans les registres catholiques, et les enfants étaient bien baptisés par le prêtre, mais les protestants usaient de déclarations particulières pour les différencier de la population catholique.
Bonaventure a bien été baptisé, il a même été « tenu sur les fonts de bapteme », alors que les autres nouveaux nés sont seulement « baptisés »...
Ne pas préciser de parrain et de marraine voire donner à Bonaventure un prénom qui n’était pas des plus classiques vis-à-vis des Saints catholiques, est-il révélateur du protestantisme de Marie ? Etait-ce un choix de Marie pour marquer la différence de sa religion (qu’elle ne devait pourtant pas être la seule à pratiquer parmi les 1 322 habitants du village en 1793, alors que Bonaventure est le seul nouveau-né de l'année sans parrain-marraine) ? Etait-ce parce que la sage-femme est allée faire baptiser l'enfant contre le grè de sa mère et sans pouvoir/savoir qui indiquer comme de parrain-marraine ?
L’hypothèse du protestantisme pourrait être confortée par une situation que je ne m’expliquais alors pas encore. Une fille de Bonaventure, Aimable Virginie, fait partie de ce fameux couple qui s’est marié civilement à Paris en 1844 et religieusement à Paris en 1853, période entrecoupée d’au moins quatre ans passés à Ingouville (Seine-Maritime), sans que je n’ai encore réussi à comprendre ce qui les a menés à faire tout cela[1]. Le père de Joseph étant originaire d’Alsace, il se peut qu’il ait été (lui aussi) protestant. Le protestantisme des deux membres de ce couple pourrait avoir favorisé leur rencontre. Il pourrait aussi expliquer leur départ de Paris pour se « cacher » en Province où leurs enfants sont nés, avant de revenir à Paris (pour le travail ?) en s’y mariant religieusement malgré eux.
Le protestantisme n’explique pas l’absence de parrain et marraine en tant que tel, car d’habitude ils sont bien cités dans l’acte. Le faisceau d’indices sur l'acte de baptême lui-même est beaucoup trop faible pour se prononcer, mais confronté à ce que je sais par ailleurs, cette hypothèse me semble davantage plausible.
L’acte de baptême précise que Bonaventure est né la nuit et qu’on (a priori la sage-femme) vient le faire baptiser le lendemain. Il ne semble donc pas y avoir eu un empressement vital, sinon la sage-femme aurait elle-même ondoyé l’enfant. Mais peut-être l’accouchement a-t-il été prématuré au point que Marie n’avait pas eu le temps de chercher/trouver des parrain-marraine. Ou bien la sage-femme est-elle partie faire baptiser Bonaventure en oubliant de demander à Marie qui elle avait choisi.
N’oublions pas que les pratiques du XVIIIème siècle quant au choix du prénom étaient bien différentes de celles de maintenant. Le plus souvent, l’enfant recevait le prénom de son parrain ou de sa marraine, ou sinon d’un membre de sa famille. Les prénoms sortis a priori de nulle part étaient-ils alors un choix reflétant le goût des parents comme maintenant, ou d’autres choses qui nous échappent y présidaient-elles ? Etudions ces différentes possibilités.
Une recherche sur les bases de données en ligne me permet d’identifier un Aimable Bonaventure Antoine BROHIER, né en 1756 et décédé à l’âge d’un mois à Brucheville (commune limitrophe de Sainte-Marie-du-Mont). Un formidable travail de relevés de la base collaborative Pierfit qui reconstitue tous les liens généalogiques entre porteurs de certains mêmes patronymes dans le département de la Manche (2 millions d’individus dans l’arbre) ne me permet pas d’établir un quelconque lien de parenté entre ces deux Bonaventure, malgré la proximité géographique et celle des prénoms.
La généalogie ascendante de Marie ne trouve pas non plus de Bonaventure.
La lecture des autres actes de baptêmes du registre, limitée à la même année, ne trouve aucun autre Bonaventure.
La recherche de la fréquence de Bonaventure dans la base de données des prénoms de Geneanet et basée sur les prénoms mentionnés dans les généalogies déposées sur leur site, montre une prévalence maximale de ce prénom de 0,1 % dans les années 1640, pour descendre à 0,02 % à la fin des années 1780 (notre Bonaventure est né en 1787).
L'évolution de la fréquence du prénom Bonaventure de 1600 à nos jours (calculée sur la base des prénoms mentionnés dans les généalogies déposées sur Geneanet).
Source : Geneanet.
Point de vue répartition géographique, en 1775, 6 % des Bonaventure de France sont Manchois. C’est le quatrième département en termes de fréquence, loin derrière les Pyrénées-Orientales comptant 20 % du total des Bonaventure, et quasiment à égalité avec le Pas-de-Calais (8 %) et la Seine-Maritime (7 %).
Bonaventure ne provient a priori pas d’un héritage familial. Il n’est pas non plus un prénom typiquement caractéristique de la Manche. Une autre raison a-t-elle pu pousser Marie (ou quelqu'un d’autre) à prénommer ce nouveau-né ainsi ?
On n’a pas vraiment les moyen de savoir qui a choisi ce prénom, la tournure de la phrase rédigée par le curé étant ambiguë : « enfant auquel nous avons donné le nom de bonaventure », alors que pour les autres baptêmes, même d’enfants illégitimes, le prénom des enfants est cité juste après la mention du baptême. Seule la personne qui a choisi ce prénom (Marie sa mère, le curé, voire la sage-femme) en connaît les raisons... Compte tenu de la signification du prénom, on peut quand-même faire quelques hypothèses sur son symbolisme, sous réserve que l’époque se prêtait parfois bien à cette pratique :
Finalement, la lecture approfondie de l’acte de baptême de Bonaventure nous aura permis de confirmer son statut d’enfant naturel. En l’absence de déclaration de grossesse et de tout autre indice clair, il serait beaucoup trop aventureux de dire que le témoin mystère à la signature un peu inhabituelle est le père de l’enfant. Le choix du prénom a très probablement été orienté par la date de naissance et le Saint du jour, ce qui pourrait renforcer le côté inattendu de l’arrivée de l’enfant à ce moment et expliquer éventuellement l’absence de parrain-marraine. L’hypothèse du protestantisme peut être évoquée, mais pas directement confirmée via cet acte seul.
Même si l’on n’aura jamais la possibilité de confirmer ces hypothèses, nous aurons vu que l’analyse précise d’un acte est toujours riche d’enseignements. Malgré des questions restant plus nombreuses que les réponses, les explorer permet d’imaginer plus ou moins les circonstances de l’évènement et d’aller au-delà d’un simple nom et d’une simple date.
[1]Révocation du versant religieux de l'Edit de Nantes par Louis XIV via l'Edit de Fontainebleau enregistré au parlement de Paris le 22 octobre 1685. Le protestantisme devenait dès lors interdit sur le territoire français.
[2]Edit de Versailles ou Edit de tolérance signé par Louis XVI le 7 novembre 1787, qui permit aux personnes non-catholiques de bénéficier de l'état civil sans devoir se convertir au catholicisme.
[3]J’avais retracé la ligne de vie de son mari, Joseph, dans l’épine « Où est né mon (premier) ancêtre parisien ? » partiellement résolue puisque finalement j’ai trouvé où est né mon premier ancêtre parisien, qui a des origines vieux-ferrettoises attestées.
Sources :
Dans le précédent article « La généalogie : pourquoi, comment et pour quoi faire » (1/2) : le profil du généalogiste, nous avons vu les premiers résultats de mon enquête. 58% des généalogistes sont de sexe féminin, leur âge moyen est de 55 ans. Plus de la moitié de notre échantillon a commencé la généalogie depuis plus de 15 ans, activité pratiquée tous les jours ou tous les deux jours par un tiers des répondants. Ces résultats nous permettaient également de battre en brèche le cliché qui veut qu’on démarre la généalogie à la retraite, puisque sur l’ensemble de l’échantillon, seuls 8 % des généalogistes avaient commencé leurs recherches à cette période de la vie, et ils étaient 20 % à l'avoir fait à ce moment quand on s'intéressait aux généalogistes âgés de 60 ans et plus.
Cet article va montrer les caractéristiques de la pratique de la généalogie. Nous verrons donc quelles sont les principales motivations qui poussent le généalogiste à mener son activité, les outils et moyens qu’il utilise dans sa pratique, et ce qu’il pense de sa pratique et de son activité.
Les derniers résultats de mon enquête seront donc présentés en trois parties :
Les résultats de chaque partie sont illustrés par une infographie, entrecoupant une présentation de la méthode de recueil des données, et des commentaires. On peut s'y rendre directement en cliquant sur le lien correspondant.
17 questions étaient posées, réparties en quatre thèmes (la généalogie pour mieux connaître ses ancêtres, la généalogie en lien avec les autres et dans la Société, la généalogie et l’Histoire, la généalogie dans votre rapport à vous-même et à votre entourage). On pouvait répondre à chacune de ces questions selon quatre choix : tout-à-fait, beaucoup, un peu, pas du tout ; il était également possible de ne pas répondre à une ou plusieurs questions. Pour chacun des quatre thèmes, et par souci de lisibilité, je ne fais apparaître dans les graphes ci-dessous que les questions aux réponses les plus significatives.
Pourquoi le généalogiste pratique son activité.
Source : Scribavita.
On remarque que globalement, le thème le plus apprécié des généalogistes (celui qui possède les plus grands pourcentages de « tout-à-fait ») porte sur une meilleure connaissance de ses ancêtres, thème plébiscité par environ 85 % des répondants, notamment : découvrir ses ancêtres et connaître ses origines. Ceci est finalement assez logique quand on s’intéresse à la généalogie...
A contrario, le thème qui intéresse le moins les généalogistes (celui qui possède les plus grands pourcentages de « pas du tout ») est celui du lien qu’ils ont avec les autres et dans la Société : trouver un cousinage avec une célébrité contemporaine, découvrir si l’on descend d’un roi, d’un noble ou d’un pendu, qui n’intéresse pas du tout 60 % des répondants. Notre échantillon étant constitué d’une très grande majorité de généalogistes qui pratiquent depuis au moins 15 ans, et qui s’intéressent suffisamment à la généalogie pour la suivre sur les réseaux sociaux, pourrait avoir augmenté le non-intérêt sur ce thème. Un échantillon constitué de généalogistes aux pratiques et aux anciennetés diverses et variées obtiendrait probablement des résultats moins négatifs sur ce thème.
Enfin, ce questionnaire permet d’objectiver l’attrait qu’ont les généalogistes pour les recherches, et pas simplement pour les résultats : ce sont en effet 80 % des répondants qui pratiquent leur activité pour le plaisir des recherches. L’ancienneté dans la pratique des répondants montrait déjà que nous avions à faire à des généalogistes passionnés, ce que corrobore ce dernier pourcentage.
27 questions étaient posées, réparties en quatre thèmes :
• les recherches, que je scinderai pour la présentation des résultats en deux thèmes : les recherches via des médias familiaux et les recherches via les Archives ;
• généalogie et technologie ;
• le partage et l’entraide, que je scinderai également pour la présentation des résultats en deux thèmes : le partage avec sa famille et l’entraide entre généalogistes ;
• généalogie et loisirs.
On pouvait répondre à chacune de ces questions selon quatre choix : vous l’avez déjà fait, vous ne l'avez pas encore fait mais vous aimeriez le faire, vous ne l'avez pas encore fait et vous ne savez pas si vous voudriez le faire, vous ne l'avez pas encore fait et cela ne vous intéresse pas. Il était possible de ne pas répondre à une ou plusieurs questions.
Comme précédemment, par souci de lisibilité, je ne fais apparaître dans les graphes ci-dessous que les questions aux réponses les plus significatives pour chacun des thèmes.
Comment et pour quoi le généalogiste pratique son activité.
Source : Scribavita.
Les thèmes qui remportent le plus de succès correspondent aux recherches via les Archives. Si 98 % des répondants ont déjà consulté des sites Internet d’Archives, ils ne sont plus que 77 % à avoir fait des recherches en se déplaçant dans un service d’Archives. Enfin, 91 % des généalogistes ont déjà sollicité une mairie pour obtenir un acte d’Etat civil.
Les recherches via les médias familiaux rencontrent un peu moins de succès. 91 % des généalogistes ont interrogé les membres de leur famille, 87 % ont étudié des photos de famille. Mais seulement 65 % des répondants ont relevé des dates et des noms sur des tombes. Encore une fois, se déplacer physiquement sur les lieux où se trouve l’information est moins naturel, sans doute pour des raisons de proximité ou de disponibilité.
Malgré tout, les généalogistes échangent sur leurs recherches et leurs trouvailles avec les membres de leur famille. 94 % d’entre eux ont en effet parlé de leurs recherches avec eux, et 91 % leur ont montré leur arbre généalogique. L’organisation d’une cousinade a de son côté des réponses particulièrement partagées : 16 % des généalogistes en ont déjà organisé une et 30 % aimeraient le faire, mais cela n’intéresse pas 24 % des généalogistes.
Le thème du partage et de l’entraide montre des résultats mitigés, l’aide reçue étant supérieure à l’aide donnée. Notamment : 93 % des généalogistes ont consulté l’arbre en ligne d’autres généalogistes, quand 77 % des généalogistes publient leur arbre sur Internet (ils étaient 88 % à le faire dans l’étude de Clément Bècle sur les logiciels de généalogie les plus utilisés en 2017).
Concernant la généalogie et la technologie, 91 % des répondants utilisent un logiciel de généalogie, et 77 % utilisent une application Internet pour saisir ou publier leur généalogie. Les analyses ADN pour connaître ses origines anciennes est la question qui a le plus partagé les répondants. Si 6 % des généalogistes en ont déjà fait, 44 % des répondants ne souhaitent pas le faire. En ajoutant les généalogistes qui l’ont déjà fait et ceux qui ne l’ont pas encore fait mais aimeraient le faire (24 %), les recherches par l’ADN intéressent ainsi 30 % des répondants.
Enfin, les loisirs en lien avec la généalogie montrent que les activités annexes ne sont pas en reste. 87 % des répondants ont déjà lu une revue ou un livre de généalogie. 60 % ont déjà été membres d’une association de généalogie. Enfin, 52 % des généalogistes sont déjà partis en voyage sur les lieux où leurs ancêtres ont vécu, et 39 % aimeraient le faire.
Dix propositions sur ce que le généalogiste peut aimer ou ne pas aimer dans son activité étaient proposées. Le répondant pouvait en choisir jusqu’à quatre.
A noter que lors de l’analyse des résultats, je me suis rendue compte que la formulation des questions induisait un biais dans la présentation des résultats et l’ordre des unes par rapport aux autres, certaines questions étant à connotation négative. Dans le graphe ci-dessous, j’ai donc inversé le sens de la formulation des questions concernées, et pris la différence par rapport à 100 du pourcentage obtenu (les résultats auraient probablement été légèrement différents avec les questions posées telles quelles puisque leur acception est ainsi modifiée, mais la différence est probablement suffisamment faible pour que l’ordre de grandeur reste le même). Les questions concernées sont les suivantes :
• « Il est difficile de savoir quels documents d’archives consulter » choisi par 5 % des répondants devient « Il n’est pas difficile de savoir quels documents d’archives consulter » avec 95 % de réponses,
• « Lire les actes anciens est difficile » avec 27 % de réponses, transformé en « Lire les actes anciens n’est pas difficile » et 73 % de réponses,
• « Peu de personnes de ma famille s’intéresse à la généalogie et à mes recherches » et ses 31 % de réponses, devenu « Plusieurs personnes de ma famille s’intéressent à la généalogie et à mes recherches » avec 69 % de réponses.
Ce que le généalogiste pense de sa pratique et de son activité.
Source : Scribavita.
On peut donc voir que la technique généalogique ne fait pas obstacle aux répondants pour pratiquer leur activité[1], puisque les deux questions portant sur ce thème arrivent dans le tiercé des réponses les plus citées : 95 % des généalogistes n’ont a priori pas de difficulté pour savoir quels documents consulter, lire les actes anciens n’est pas difficile pour 73 % des généalogistes.
Par ailleurs, l’intérêt de la généalogie pour ses pratiquants réside principalement dans la richesse de ce que leurs recherches leur apporte (89 % des répondants ont indiqué que faire des recherches généalogiques était enrichissant), et dans la variété de domaines que recouvre la généalogie (62 % estiment que la généalogie est une activité multifacettes).
Enfin, plus des deux tiers des répondants peuvent partager leurs recherches avec leur famille, puisque 69 % des généalogiste indiquent que plusieurs personnes de leur famille s’intéressent à leurs recherches.
En queue de peloton arrive la question « la généalogie est une activité solitaire », citée par 7 % des répondants. Ceci prouve que cette activité est bien loin de l’image que les non-initiés peuvent en avoir, et pour lesquels bien souvent, faire de la généalogie se résume à faire des recherches tout seul dans son coin derrière des registres inertes.
Notre enquête aura permis d'objectiver que les principales motivations qui poussent le généalogiste à pratiquer son activité résident dans le souhait de mieux connaître ses ancêtres, environ 85 % des généalogistes plébiscitant cette thématique. Nous découvrons par ailleurs que le plaisir des recherches est un élément important, puisque 80 % des répondants mentionnent cet aspect. Enfin, 75 % des répondants ne pratiquent pas du tout la généalogie en vue de trouver un cousinage avec une célébrité contemporaine.
Concernant les modes de pratique, la consultation des sites Internet d’Archives publiques est largement plébiscitée (98 % des répondants), et passe même devant l’interrogation des médias familiaux auxquels il pourrait pourtant a priori être facile d’accéder, ceux-ci étant mentionnés par environ 90 % des généalogistes. Ceux-ci sont aussi nombreux (91 %) à s’être rendu sur les lieux où ont vécu leurs ancêtres et à vouloir le faire (respectivement 52 % et 39 %). Les généalogistes ont déjà évoqué le fruit de leurs recherches aux membres de leur famille, 94 % d’entre eux en ayant parlé, et 91 % leur ayant montré leur arbre généalogique.
Le partage et l’entraide entre généalogistes n’est plus une légende, même si les résultats montrent que l’on a davantage tendance à se faire aider ou à s’appuyer sur des données d’autres généalogistes, qu’à aider l’autre : 77 % des généalogistes rendent leur arbre accessible sur Internet alors que 93 % consultent l’arbre d’autres généalogistes ; 65 % des répondants ont directement apporté leur aide à d’autres (recherches aux archives, indexation, ...), alors que 73 % ont été aidés. Les différences entre l’aide donnée et l’aide reçue, quand on prend en compte ceux qui ne l’ont pas encore fait mais qui aimeraient le faire, est toutefois très faible (3 %). 41 % des répondants jugeant la généalogie chronophage pourrait expliquer pourquoi il est plus courant d’avoir déjà été aidé que d’aider : on peut avoir besoin d'être aidé pour avancer dans ses propres recherches, mais celles-ci prenant déjà du temps en elles-mêmes, il n'en reste plus pour aider en retour.
Par ailleurs, les résultats concernant les recherches généalogiques via des analyses ADN constituent pour moi une grosse surprise : alors que le sujet devient de plus en plus à la mode mais n’est pas encore autorisé en France, 6 % des répondants ont déjà fait faire des analyses, et 24 % aimeraient le faire. Toutefois, 44 % ne sont pas intéressés par cette démarche, ce qui rend les non-intéressés plus nombreux que les intéressés.
Enfin, quand on demande aux généalogistes ce qu’ils pensent de leur pratique, une grande majorité ne sont pas mis en défaut par d’éventuelles difficultés au cours de leurs recherches : 95 % d’entre eux pensent qu’il n’est pas difficile de savoir quels documents consulter, et 73 % pensent qu’il n’est pas difficile de lire les actes anciens[2]. On retrouve le plaisir des recherches évoqué précédemment par 80 % des généalogistes, puisque 89 % des répondants trouvent que faire des recherches généalogiques est enrichissant.
Pour terminer, je remercie encore vivement toutes les personnes qui ont permis à cette enquête de connaître le succès qu’elle a rencontré, tant les personnes qui ont répondu que celles qui en ont parlé à travers différents médias ! J’espère que les résultats vous auront, tout comme moi, permis de découvrir un visage plus concret des généalogistes.
[1]Même si, comme nous l’avons vu dans le paragraphe présentant ce que le généalogiste pense de sa pratique et de son activité, les valeurs des réponses à ces questions notamment ne reflètent pas exactement la réalité.
[2]Valeurs à diminuer probablement légèrement, compte tenu de la reformulation de la question pour la présentation de ces résultats, comme expliqué dans le paragraphe présentant ce que le généalogiste pense de sa pratique et de son activité
Sources :
« On commence à faire de la généalogie avec l’arrivée de la retraite », « Le but du généalogiste est de découvrir un maximum d’ancêtres », « Avec toutes les sources en ligne, le généalogiste ne met plus les pieds aux Archives », ou encore « Bien qu’interdites en France, de nombreux généalogistes ont fait ou voudraient faire des recherches ADN », constituent de nombreux clichés que tout généalogiste a entendu au moins une fois à propos de son loisir, et dans lequel il ne se retrouve pas forcément.
C’est pour battre en brèche (ou au contraire confirmer) ces clichés caricaturaux, et surtout pour essayer de dresser le(s) portrait(s) du généalogiste, que j’ai proposé sur mon blog le questionnaire : « La généalogie : pourquoi, comment et pour quoi faire ? ».
En effet, partie en quête de mes ancêtres il y a plus de 25 ans un peu par hasard, et côtoyant d’autres généalogistes aux profils variés, j’ai eu envie de savoir ce qui poussait chacun à se lancer dans l'aventure de la généalogie. Mon enquête cherchait ainsi à découvrir les raisons qui poussent le généalogiste à entreprendre des recherches, les moyens et outils qu’il utilise au cours de celles-ci, et ce qu’il fait de ses résultats. Il s’agissait d’une enquête de type sociologique sur nos pratiques de la généalogie, que, par souci de simplicité, j’ai réalisé à travers un questionnaire aux questions majoritairement fermées.
Compte tenu de la quantité de matière obtenue à travers cette enquête, je scinderai les résultats en deux articles :
Chaque article présentera les résultats sous forme d’infographies auquel le lecteur pressé pourra s’intéresser uniquement (voir les infographies globales en fin d’article). Ces infographies seront accompagnées de commentaires et mises en perspectives (notamment avec les enquêtes réalisées récemment par d’autres généablogueurs) pour celui qui voudra aller un peu loin.
Ce premier article va donc expliquer la méthodologie de l’enquête. Puis il présentera les portraits socio-démographiques des généalogistes qui y ont répondu, et enfin, la fréquence de la pratique de leur activité, parties auxquelles on peut accéder directement en cliquant sur les liens.
J’ai mis en ligne mon questionnaire via la plateforme Limesurvey intégrée à mon blog (merci à mon webmestre pour tous ses paramétrages !). Il a été accessible du 15 mai au 15 juillet 2017 inclus[1]. Il était scindé en cinq sujets :
Seules les questions concernant le profil du répondant, la fréquence de sa pratique, et ce qu’il aime / n’aime pas en généalogie, étaient à réponse obligatoire.
J’ai élaboré ce questionnaire en essayant d’être aussi complète que possible (en évitant toutefois d’être trop trop longue) sur les plans du « pourquoi » et du « comment et pour quoi faire », en m’appuyant sur ma propre pratique et expérience de la généalogie, des échanges avec d’autres pratiquants de généalogie, diverses lectures.
N’ayant pas un parcours sociologique professionnel, mes questions et leurs formulations ne respectent peut-être pas les méthodologies applicables à une telle enquête. J’ai fait tester une première version du questionnaire à Marie-Hélène Laplace du blog La forêt de Briqueloup et Clément Bècle du blog Genbècle. Leurs retours m’ont permis d’améliorer le fond et la forme, en proposant une plus grande exhaustivité dans les questions et dans les choix de réponses, ainsi qu’une présentation plus structurée et plus agréable pour les répondants. Je les remercie encore particulièrement pour leurs conseils pertinents et leur aide tout au long de l’enquête !
Je n’ai pas non plus un profil de statisticienne, l’analyse de mes réponses (faite à partir des données travaillées sur Calc de LibreOffice) n’est dont peut-être pas réalisée dans les règles de l’art.
Avec tout ça, j’espère quand-même que les résultats de mon enquête correspondent à une certaine réalité, toutefois de toute façon biaisée par le recrutement des répondants...
J’ai publié l’article annonçant mon enquête sur mon blog le 15 mai 2017, et twitté son lien juste après. Mon tweet a été retweeté par de nombreux twittos pendant plusieurs jours. L’information y a également été rediffusée à partir de juillet.
Marie-Hélène Laplace et Clément Bècle ont régulièrement diffusé l’information dans différents groupes de généalogie sur Facebook. Yannick Voyeaud du site éponyme a envoyé un mail sur la liste de discussion d’Ancestris avec un lien sur mon article, en début et en fin d’enquête. Fin mai, Marie-Hélène a transmis oralement lors d’une réunion puis par mail l’information à l’association de généalogie à laquelle elle participe activement. Début juillet, Clément a envoyé un mail à ses abonnés pour leur proposer de répondre à l’enquête.
Courant juin, j’ai contacté 11 associations locales de généalogie (prises au hasard à partir d’un annuaire dédié), leur demandant de transférer mon enquête à leurs adhérents.
J’ai également contacté par mail toutes les personnes qui m’avaient aidée lors de la recherche d’actes dans différents services d’archives départementales via l’entraide de FranceGenWeb, ainsi que les personnes qui m’avaient contactée via mon blog depuis sa création, leur demandant de répondre à mon questionnaire voire de le diffuser à leur entourage. Parmi ces derniers contacts, se trouvait Frédéric Ville de la Revue Française de Généalogie, qui m’a indiqué transmettre mon enquête à ses contacts.
Le hasard a fait que le mail de Clément aux abonnés de sa newsletter et celui de Frédéric Ville à ses contacts étaient concomitants. Ils ont entraîné un afflux de réponses à mon enquête qui stagnait alors.
Enfin, j’ai contacté les quelques personnes de mon entourage proche et amatrices de généalogie pour les inviter à répondre à mon enquête.
Que toutes les personnes qui ont contribué à faire connaître mon enquête, et que toutes celles qui y ont répondu, soient ici chaleureusement remerciées ! Grâce à vous tous, j’ai atteint un nombre de répondants que j’étais loin d’imaginer ! Ceci me permet d’avoir des réponses a priori plus représentatives de l’échantillon enquêté.
A noter que compte tenu de ces modes de recrutement, principalement basés sur Internet et les réseaux sociaux dans des cercles de généalogie existants, on peut imaginer un certain biais dans les profils des répondants. Il était toutefois difficile de toucher de manière égale tous les types de généalogistes, connectés ou non... Il était bien sûr encore plus difficile et même impossible d’atteindre l’exhaustivité des pratiquants francophones de généalogie. Aucune enquête ne les recensant précisément, il n’est pas possible de vérifier de quelle façon mon échantillon est représentatif de cette population[2].
Les répondants ne correspondent donc qu’à un échantillon des personnes francophones qui pratiquent la généalogie (amateurs et professionnels confondus). Puisque la majorité des personnes qui ont répondu à mon enquête s’intéressent à la généalogie via Internet, on peut imaginer qu’ils sont en moyenne plus jeunes que la moyenne des personnes qui pratiquent la généalogie en général. Comme ils ont eu connaissance de mon enquête, ils sont de près ou de loin, directement ou indirectement, en relation avec moi.
Les résultats que je vais présenter ci-dessous, ne peuvent donc pas être représentatifs de la réalité de l’ensemble des pratiquants francophones de généalogie, mais ils donnent plutôt une image des généalogistes francophones connectés en 2017 et avec qui je suis de près ou de loin en relation.
Les résultats présentés ci-après se basent sur 705 réponses reçues. Les questions n’étant pas obligatoires, chaque question peut bien sûr être basée sur un nombre inférieur de réponses.
Connaissance de l’enquête.
Source : Scribavita.
Les deux tiers des répondants ont connu mon enquête via les réseaux sociaux (Twitter et Facebook notamment). On peut donc supposer que les répondants sont globalement plus jeunes (ou en tous cas plus connectés) que la moyenne des généalogistes, ce qui pourra avoir un impact sur les réponses (âge, âge au démarrage, outils utilisés, ...). Nous n’avons toutefois pas les moyens de mesurer cet impact précisément.
Près d’un répondant sur cinq (18 %) l’a connue par un autre moyen que ceux cités, et le précisent dans les commentaires, il s’agit notamment de ceux cités dans le paragraphe sur la méthodologie de l’enquête (liste de discussion d'Ancestris, association de généalogie, mail de Clément Bècle à ses abonnés notamment).
Les autres l'ont connue via mon blog (4 %), un mail que je leur ai envoyé (6 %), une personne de leur entourage (5 %).
Genre des généalogistes.
Source : Scribavita.
L’enquête de Clément Bècle menée en février et mars 2017 concernant les logiciels de généalogie les plus utilisés en 2017 (et que je vous invite vivement à lire, si ce n’est déjà fait, tant pour l’explication de sa méthodologie d’enquête que pour ses résultats) avait une proportion hommes-femmes de 56-44 %.
La proportion ici est quasiment inversée et la moyenne de nos réponses arrive quasiment à une égalité entre la proportion d’hommes et celle de femmes (respectivement 49 et 51 %)... La thématique de l’enquête de Clément, au fond technique, a-t-elle fait augmenter la proportion des hommes ? La thématique de la mienne, au fond davantage sociologique et qui consistait à « parler de soi », a-t-elle fait augmenter la proportion des femmes ?...
On peut toutefois noter que l’enquête menée par Geneanet en juillet 2017 et dont les résultats ont été diffusés par la Revue française de généalogie montre la même proportion que dans mon enquête.
Les aĝes des répondants et l'âge auquel ils ont démarré la généalogie ont été déduits de leur année de naissance et du nombre d'années depuis lesquelles ils pratiquent la généalogie.
Age des généalogistes.
Source : Scribavita.
Les âges des répondants s’étalent de 18 à 89 ans, soit une plage de 71 ans. L’âge moyen est de 55 ans, l’âge médian 59.
25 % des répondants ont entre 59 et 67 ans. Un quart des répondants représentent donc 10 % de la plage d’âges. On peut donc avancer que les néo-retraités sont les plus présents dans l’enquête.
On ne note pas de différence significative entre les hommes et les femmes.
Ancienneté dans la généalogie.
Source : Scribavita.
56 % des répondants ont commencé la généalogie il y a 15 ans ou plus. Notre public est donc plutôt ancien dans sa pratique, ce qui pourra influencer les autres résultats. En effet, un généalogiste avec une grande antériorité n’a pas le même rapport à son activité (attentes, besoins, aisance), que celui qui débute.
Le graphe par plages de 5 ans permet de voir plus en détail l’ancienneté dans leur pratique des répondants. Il permet également de remarquer qu’il n’y a pas de différence significative entre les hommes et les femmes.
On retrouve les mêmes ordres de grandeur que dans l’enquête d’Elise Lenoble Les généalogistes connectés et les archives publiée en novembre 2017 sur son blog Auprès de nos racines.
Les deux répondants qui ont démarré la généalogie le plus jeune l’ont fait à 9 ans (ce sont deux femmes), celui qui a commencé en étant le plus âgé avait alors 79 ans (un homme).
Sur l’ensemble de l’échantillon, il n’y a pas de différence significative entre les hommes et les femmes.
Age aux débuts en généalogie.
Source : Scribavita.
Le cliché qui voudrait qu’on commence la généalogie à la retraite s’effondre avec ce diagramme, et l’on peut dire qu’il n’y a pas d’âge pour commencer à faire de la généalogie !
A noter toutefois que compte tenu du recrutement des répondants (via les réseaux sociaux) et de leur ancienneté dans la pratique de la généalogie, l’âge au démarrage dans la généalogie peut être artificiellement abaissé par rapport aux généalogistes moyens.
Si l’enquête de Geneanet indiquait que près d’un tiers des répondants avait commencé entre 50 et 65 ans, ici, c’est un peu plus du quart des répondants qui a commencé dans cette tranche d’âge.
Un zoom sur les généalogistes actuellement âgés de 60 ans et plus nous permet de supprimer (ou au moins minimiser) le biais d’un échantillon plus jeune a priori que les généalogistes moyens, échantillon qui a de facto commencé plus jeune. Si sur l’ensemble de l’échantillon, 18 % des généalogistes ont démarré pendant l’enfance ou l’adolescence, et 8 % à la retraite, ils sont ainsi respectivement 5 % et 20 % quand on s’intéresse aux généalogistes actuellement âgés de 60 ans ou plus. Ce dernier pourcentage se rapproche davantage de celui trouvé par Geneanet.
Pays d’habitation des répondants.
Source : Scribavita.
Une majorité écrasante des répondants habitent en France, 6 % dans de grands pays en partie francophones (Canada, Belgique, Suisse). Les 2 % restant habitent aux quatre coins du monde, pays francophones ou non : Afrique du Sud, Etats-Unis, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni, et Suède.
Commune d’habitation des répondants.
Source : Scribavita.
L’échantillon rassemble des personnes habitant dans tous types d’environnement : grande ville ou son agglomération (31 %), ville moyenne -20 à 100 000 habitants-(19 %), petite ville (25 %), village -moins de 2 000 habitants-(25 %). Même s’il n’est pas possible de le comparer avec la population française[3], l’ensemble des tailles de ville sont représentées, donc l’accès à différentes pratiques de généalogie (Archives, lieux de conférences ou de congrès, ...), correspond à toutes les situations rencontrées par les généalogistes.
La question était « A quelle fréquence faites-vous actuellement de la généalogie (pour vous-même et/ou pour d’autres personnes) ? », sans précision sur ce que cette pratique recouvrait : faire des recherches, les saisir, lire des actualités et blogs généalogiques, ..., ni sur la durée passée à chaque « séance ». Les fréquences proposées avaient été découpées arbitrairement dans des grandes classes, et étaient accompagnées d’éléments d’appréciation pour aider les personnes à répondre (exemple : « Plusieurs fois par semaine : vous adorez la généalogie, et vous avez du temps devant vous »). Chaque personne a donc répondu subjectivement, selon l’interprétation qu’il a pu faire de ces propositions. Plusieurs répondants ont d’ailleurs précisé dans les commentaires que ces doubles propositions ne leur étaient pas adaptées, notamment parce qu’ils pratiquaient la généalogie de manière saisonnière : plus souvent à l’automne et en hiver où les autres activités de loisirs sont plus limitées, moins souvent au printemps et en été, les autres loisirs et activités prenant le pas (jardinage, garde des petits-enfants, voyages, ...).
Les résultats suivants sont donc à prendre avec circonspection.
Fréquence de la pratique de leur activité par les généalogistes.
Source : Scribavita.
Les deux tiers des répondants (y compris les 3 % de professionnels) font de la généalogie plusieurs fois par semaine. Parmi eux, la moitié, donc un tiers des répondants, en font même tous les jours ou tous les deux jours.
Les différences dans la fréquence de la pratique selon l’âge ne sont pas très marquées.
La part des 30-39 ans qui pratiquent à une fréquence élevée (27 %) est un peu plus faible que dans l'ensemble de l'échantillon (34 %), et ceux qui pratiquent à une faible fréquence (39 %) est plus élevée que dans l'échantillon (27 %). Les 40-49 ans qui font très souvent de la généalogie le font dans une proportion plus élevée (41 %). Peut-être que les quarantenaires disposent d’un peu plus de temps libéré par des enfants devenus plus grands, à l’inverse des trentenaires qui ont moins de temps à consacrer à leurs loisirs.
Proportionnellement, les retraités ne pratiquent pas la généalogie à une fréquence plus élevée que dans l’échantillon, mais leur part plus importante dans celui-ci moyenne sans doute ses résultats.
Il n’y a pas de corrélation nette entre la fréquence de la pratique actuelle de la généalogie et l’ancienneté dans celle-ci. D’une manière générale, ceux qui découvrent la généalogie (et leur envie d’explorer une nouvelle activité ou la difficulté à se lancer) ne la pratiquent donc pas ni plus ni moins que ceux qui la pratiquent depuis de nombreuses années (et leurs plus nombreux sujets de recherches rendus possibles par une plus grande expérience, ou moins de sujets de recherches avec les sources qui pourraient s’épuiser...).
La première partie de cette enquête a permis de (re)découvrir le portrait démographique du généalogiste. Le répondant-type de mon enquête est donc une femme âgée de près de 60 ans qui habite dans une grande ville française ou son agglomération. Cela fait plus de 15 ans qu’elle a commencé à faire de la généalogie, activité qu’elle pratique tous les jours ou tous les deux jours.
Nous verrons dans un prochain article la suite et la fin des résultats de cette enquête, relatifs à la pratique de la généalogie : les raisons qui poussent les généalogistes à pratiquer leur activité, comment il la pratiquent et ce qu’ils en pensent.
Le profil démographique des généalogistes.
Source : Scribavita.
Fréquence de la pratique de leur activité par les généalogistes.
Source : Scribavita.
[1]Des difficultés indépendantes de ma volonté ne m’ont pas permis de publier ces résultats aussi tôt que je l’avais envisagé au début et que je l’aurais souhaité.
[2]Contrairement par exemple au recensement général de la population française par l’INSEE, où pour les grandes villes, seule une partie de la population est désormais enquêtée mais pour lequel des redressements basés sur des données complètes permettent de déterminer statistiquement le profil général de la population.
[3]Si je peux trouver sur l’INSEE la population de toutes les communes, je ne peux pas distinguer, à partir de sa taille, si elle appartient à l’agglomération d’une grande ville ou si elle est de l’une des tailles citées ensuite.
Sources :
Lors du précédent épisode qui se déroulait à Manissol, à Saint-Christo-en-Jarez (42), nous avons vécu la naissance de Pierre, mon SOSA 16, puis nous avons passé une journée à la ferme en compagnie de son père, Pierre, sur des terres possédées encore de nos jours par des membres de ma famille. Alors qu’il nous emmenait dans sa charrette pour déclarer la naissance de son fils, j’étais étonnée de la route qu’il nous faisait prendre.
Toujours sous forme de rendez-vous ancestral, voici la résolution d’un mystère christodaire, une épine rencontrée alors que je débutais dans mes recherches généalogiques.
Nous sommes pourtant bien le 25 février 1821, c'est bien le bon Pierre que je tiens dans les bras... Comme je n’y comprends décidément rien, je finis par me tourner vers Pierre :
- Mais tu nous emmènes où, comme cela ?...
- Et bien à la mairie, pardi ! » me répond-il, étonné de ma question.
- Je ne comprends pas : ce matin, on est passé devant la mairie du bourg qui était fermée, et là on part complètement à l’opposé !... Saint-Christo-en-Jarez n’est pas grand au point qu’il y ait deux mairies !...
- Pourquoi veux-tu qu’on aille à Saint-Christo-en-Jarez ?! J’habite à Manissol, il faut que je déclare mon fils à la mairie de Saint-Christo-en-Châtelus !
A ces mots, je laisse un grand blanc. Qu’est-ce qu’il me raconte... Saint-Christo-en-Châtelus, c’est quoi ce village ?... Manissol se trouve à Saint-Christo-en-Jarez...
Nous arrivons enfin à la mairie. Effectivement, ce n’est pas celle de Saint-Christo-en-Jarez... je ne connais pas vraiment ce bourg, et même si j’ai une petite idée de l’endroit où nous sommes, je le vérifie rapidement en consultant un GPS (ah c’est pratique de revenir au XIXème siècle avec la technologie du XXIème siècle !). Nous sommes en réalité au bourg de l’actuelle commune de Marcenod, à 3,5 kilomètres au nord de celui de Saint-Christo-en-Jarez.
Pierre, me voyant interloquée, m’interroge :
- Il y a un problème avec Saint-Christo-en-Châtelus ?
- Et bien, je ne connais pas ce nom de village... Au XXème, ça s’appellera Marcenod ! Et si tu me dis que Manissol appartient à Saint-Christo-en-Châtelus, c’est qu’il y a eu un changement dans les limites des communes... Mais je ne sais pas quand cela a eu lieu...
- On peut demander au maire, si tu veux, peut-être qu’il saura quelque chose... Il a toujours habité à Saint-Christo, il doit bien connaître l’histoire de son village.
Je me demande bien comment le maire de Saint-Christo-en-Châtelus pourrait savoir, en 1821, ce que va devenir sa commune peut-être un siècle plus tard, mais cela ne coûte effectivement rien de lui poser la question.
Nous rentrons dans la mairie et nous voyons tout de suite Antoine Joassard, le maire. Joseph Garbit, l’instituteur, est déjà là. Pierre, fier et heureux, leur présente son fils, et évoque rapidement ma présence sans détailler qui je suis, sans doute par peur de passer pour un fou...
Nous avons à peine le temps de discuter avec eux de l’accouchement que Claude Maisonnette arrive à son tour. Je reste en retrait car je ne veux pas trop m’immiscer dans leurs échanges. J’en profite pour fureter à droite à gauche à la recherche d’éventuels indices et explications relatives à l’existence de cette commune. Je vois justement sur une table, le registre d’état civil prêt à être utilisé, et sur lequel je peux lire Saint-Christo-en-Châtelus.
Couverture du registre d'état civil de Saint-Christo-en-Châtelus de 1821.
Source : Archives départementales de la Loire, Saint-Christo-en-Châtelus.-Naissances, Mariages, Décès, Publications de mariage. - 3NUMEC2/3E209_2 - De 1815 à 1821.
Juste après, Pierre, Joseph et Claude, sont invités par le maire à s’installer à cette table. Je reste en retrait pour ne pas gêner la passation de l’acte. Le maire se saisit alors de sa plume d’oie, la trempe dans l’encrier, et commence à rédiger.
Acte de naissance de Pierre. Cliquer pour zoomer.
Source : Archives départementales de la Loire, Saint-Christo-en-Châtelus.-Naissances, Mariages, Décès, Publications de mariage. - 3NUMEC2/3E209_2 - De 1815 à 1821.
Transcription :
L’an mil huit cent vingt un et le vingt cinq du mois de fevrier a six
heures du soir, Pardevant nous Antoine Joassard maire et officier public
de l’état civil de la commune de St-Christot en Chatellus Canton de
St-Héand Arrondissement de St-Etienne Département de la Loire
est comparu pierre poyet agé de vingt sept ans laboureur
domicilié à Manissol commune de St-Christo en Chatellus, lequel
Nous a présenté un enfant du sexe masculin né hier
a onze heures du soir de lui déclarant et de Jeanne
Rousset son épouse et auquel il a déclaré vouloir donné
le prénom de pierre : les dites présentations et déclarations faites en présence
de Claude Maisonnette agé de quarante neuf ans tisserand et de Joseph Garbit
agé de trante neuf ans instituteur tous deux domiciliés au Bourg
de St-Christo en Jarest, qui ont a l’exception du père signé avec nous
le présent acte après lecture faite. Garbit Maisonnette
Joassard maire
Une fois l’acte rédigé, Pierre se tourne vers le maire, et lui parle de mon problème de communes :
- Apparemment, dans le futur, Saint-Christo-en-Châtelus ne va plus exister, mais son nom va devenir Marcenod, et Manissol va appartenir à Saint-Christo-en-Jarez. Tu es au courant de quelque chose ?
- Tu ne sais pas que cela fait une dizaine d’années que les communes de Saint-Christo-en-Châtelus, Saint-Christo-en-Jarest et Saint-Christo-en-Fontanès, ont le même maire ? Ce sont trois communes différentes qui jusqu’à la Révolution n’en faisaient qu’une, et on réfléchit effectivement à les rassembler à nouveau. Cela devrait se faire dans l’année qui vient, d’ailleurs. Quant au nom de Marcenod, à part un hameau de Saint-Christo-en-Châtelus, ça ne me dit rien.
A ces mots, je commence à mieux comprendre certaines choses, mais je me dis qu’il faudra sûrement que revenue au XXIème siècle, j’explore ce qu’il s’est réellement passé.
Après quelques échanges entre les différents protagonistes, il est temps de rentrer. Nous reprenons la route dans la charrette de Pierre. Arrivés dans sa ferme, il est temps pour moi de m’en aller et de repartir dans mon monde. Je dis au revoir à Jeanne en me réjouissant encore de la naissance de son fils et lui dis à demi-mots qu’elle aura de nombreux enfants.
Au moment où je me sépare de Pierre, il m’interpelle une dernière fois :
- Au fait, hier[1], tu m’avais dit que tu avais eu de la chance pour trouver d’où j’étais originaire, et que tu ne pouvais pas m’expliquer tout de suite, mais que tu le ferais plus tard. C’est le moment, car je ne suis pas sûr que nous nous revoyons !
- Oui, tu as bien fait de me le rappeler ! Et bien, quand on fait de la généalogie, on cherche les actes d’état civil de chacun de ses ancêtres, en remontant de génération en génération, en partant en général du mariage pour trouver la naissance et le décès. J’étais remontée jusqu’au mariage de Pierre, ton bébé, dans lequel ses date et lieu de naissance sont clairement indiqués : le 24 février 1821 à Saint-Christo-en-Jarez. On y apprend aussi que toi et Jeanne, habitez à Manissol, dans ce même village, où va d’ailleurs s’établir une longue lignée qui perdure encore au XXIème siècle et dont tu auras été le précurseur ! C’est donc naturellement que j’ai cherché son acte de naissance dans le registre de la commune, mais en vain. C’est assez habituel à votre époque de faire quelques erreurs d’années, alors j’ai cherché avant, après, mais toujours en vain. J’y ai trouvé tous les actes de naissance de tes autres enfants à venir, mais celui-ci restait introuvable, tout comme ton acte de mariage. Avant de me lancer dans une recherche « aléatoire » sur les communes alentours, j’ai relu en détails l’acte de mariage de Pierre, pour y percevoir un éventuel détail qui me permettrait d’avancer. C’est ainsi que je découvrais que l’un de ses témoins était un autre Pierre Poyet, son cousin germain, qui habitait à Saint-Héand. Qui dit cousins germains dit grands-parents communs. J’ai donc cherché l’acte de naissance de ce nouveau Pierre, et, de proche en proche, j’ai découvert facilement que les grands-parents de « mon » Pierre, habitaient aussi à Saint-Héand. Je suis alors partie dans l’autre sens à la recherche de tous leurs enfants (toi et tes frères, donc !), dont j’ai trouvé les naissances et les mariages. La chance a donc été que ton fils prenne comme témoin un cousin germain paternel qui était resté sur ses terres d’origine ! Malgré tout, je restais frustrée, car je n’avais toujours pas trouvé son acte de naissance, même en le cherchant à Saint-Héand. Ne sachant plus quoi faire, j’ai fait une pause dans ces recherches, que j’ai reprises de nombreuses années plus tard. Au moment de consulter le registre de naissances de Saint-Christo-en-Jarez sur le site Internet des Archives départementales, mon attention a été attirée sur le fait que jusqu’en 1820 (en réalité, jusqu’en 1821), il existait trois communes correspondant au Saint-Christo-en-Jarez que je connaissais : Saint-Christo-en-Châtelus, Saint-Christo-en-Jarrest et Saint-Christo-en-Fontanès. Sans doute ma jeunesse et ma précipitation ne m’avaient-ils pas permis de le voir 20 ans auparavant, ou alors c’était moins clair sur le « dictionnaire » papier listant tous les registres consultables ... Et c’est donc en deux temps trois mouvements que je découvris enfin l’acte de naissance de Pierre, à Saint-Christo-en-Châtelus ! Qu’est-ce que j’ai été contente et soulagée !
- Et bien, c’est impressionnant et compliqué tout ça, mais ça a l’air de te passionner ! Dernière question avant que tu ne partes : à quoi ça va t’avoir servi d’être venue nous voir ?...
- A mieux te connaître, pour transmettre ces découvertes à ma famille et à d’autres passionnés de généalogie ! Car figure-toi que je vais raconter ton histoire de terre nette sur Internet !
A ces derniers mots, Pierre éclate de rire. Nous nous embrassons et je laisse mes ancêtres dans leur époque pour retourner à la mienne.
Si les faits racontés dans cette trilogie sont basés sur des données avérées trouvées sur différentes sources d'archives, c'est ma propre interprétation et mon imagination qui les ont mis en forme pour rendre le récit plus vivant. Il me reste donc plusieurs incertitudes (dont certaines découvertes en cours d'écriture...) pouvant éloigner le récit de la réalité.
Ainsi, j’ai quelques doutes quant au scripteur de l’acte de naissance de Pierre : sur cet acte, j’ai l’impression qu’il s’agirait de l’instituteur, Joseph Garbit, puisque la forme des lettres et la façon d’utiliser la plume ressemblent énormément à ceux de sa signature, qui en plus apparaît juste après le dernier mot de l’acte, comme apposée à la suite de l’écriture de celui-ci. Mais quand je regarde les autres actes du registre, j’ai plus de doutes, des points communs et des différences entre les graphies ne me permettant pas de trancher entre le maire et l’instituteur. Pour vous faire une idée, voici la double page qui contient l'acte de naissance de Pierre.
Double page du registre de l’acte de naissance de Pierre. Cliquer pour zoomer.
Source : Archives départementales de la Loire, Saint-Christo-en-Châtelus.-Naissances, Mariages, Décès, Publications de mariage. - 3NUMEC2/3E209_2 - De 1815 à 1821.
Par ailleurs, Pierre Poyet, le père déclarant, n’est pas signalé comme ne sachant pas écrire, mais il ne signe pas : « [témoins] qui ont à l’exception du père signé avec nous le présent acte ». Même s’il « est comparu [...et ] a présenté un enfant... », la tournure de phrase sur l’absence de sa signature laisse planer un doute quant à sa présence réelle (habituellement, il est clairement spécifié que la personne ne sait pas signer), d’autant plus qu’il avait signé son acte de mariage l’année précédente et qu’il signera ensuite les actes de naissance de ses autres enfants. Enfin, je suis étonnée qu’on puisse aller déclarer une naissance un dimanche à 18 heures... (le présent acte a été a priori passé le dimanche 25 février, quand l’acte précédent a été passé le mardi 20 février et le suivant, le jeudi 1er mars). Compte tenu de tous ces éléments, je me demande si Pierre est bien allé déclarer la naissance de son fils ce jour-là. Qui a finalement rédigé cet acte : le maire ou l’instituteur ? Pourquoi un dimanche ? Pourquoi éventuellement sans le père qui est pourtant censé présenter l’enfant ? Je ne me suis rendue compte de tout cela qu’en étudiant précisément l’acte, au moment de rédiger cet article où j’écrivais que le maire prenait sa plume ; il était donc trop tard puisque je ne pouvais pas réécrire le précédent article qui faisait partir Pierre à la mairie...
Intriguée par l’appartenance de Manissol à la commune de Saint-Christo-en-Châtelus qui sera grosso modo remplacée par la commune de Marcenod alors que Manissol est actuellement situé sur le territoire de Saint-Christo-en-Jarez, j’ai mené des recherches sur les lieux-dits afin d’étudier l’évolution des différentes limites communales. Afin de me centrer sur une chose à la fois, je n’ai évoqué ces éléments que partiellement ici, mais j’envisage d’y consacrer un prochain article. Toutefois, je pense pouvoir d’ores et déjà dire qu’il est finalement très peu probable que l’acte ait été rédigé à la mairie de Saint-Christo-en-Châtelus, mais plutôt dans celle de Saint-Christo-en-Jarez située au Bourg. Ayant fait ces recherches après la publication du précédent épisode où nous partions (implicitement pour la mairie de Saint-Christo-en-Châtelus), je ne pouvais plus revenir en arrière... J’ai donc continué ici l’histoire en faisant comme si, mais à regrets puisque j’allais raconter quelque chose que je savais alors être très certainement erroné...
Peu de temps après avoir réussi à trouver mon berceau héandais, j’en informais les membres de ma famille, pensant leur apprendre un scoop. C’est alors que plusieurs d’entre eux m’ont dit savoir déjà que nous étions originaires de Saint-Héand... Avant toute recherche, il faut donc toujours interroger les membres de sa famille qui pourront nous donner des informations ! Qu’elles soient justes ou erronées, il sera toujours plus facile de les vérifier (et d'apporter alors les preuves de ce qu'on nous a dit), que de partir à l’inconnu ou de compter sur la chance pour avancer !...
Avant de communiquer sur des recherches en cours, il faut s’assurer d’avoir exploré toutes les possibilités de recherche et les mener jusqu’au bout : cela m’aurait évité de raconter des situations qui finalement n’ont pas dû se produire (même si l’histoire aurait alors été moins croustillante !...).
Finalement, l'analyse de cet acte de naissance qui paraissait tout simple et l'histoire que j'ai racontée autour, m'ont permis de me rendre compte que je ne sais pas vraiment ni par qui et avec qui, ni quand, ni où, il a été rédigé...
Vous pouvez retrouver chaque « rendez-vous ancestral » des différents participants via son site Internet dédié : RDVAncestral
[1]Il y a déjà trois mois pour mes lectures assidus, dans le premier article de la série : Pierre et Jeanne, des anticonformistes ?
Sources :
Archives départementales de la Loire :
Après avoir fait la connaissance de Jeanne et de Pierre qui m’avaient enfin révélé pourquoi ils avaient migré « loin » de leurs terres d’origine (12 kilomètres, ce n’est pas une paille !...), nous les avions laissés en pleine nuit. Couchée dans une chambre à côté de la pièce principale, j’étais restée dans l’angoisse de quelques gémissements émis par Jeanne et du départ en trombe de Pierre.
Toujours sous forme de rendez-vous ancestral, voici la suite de ce premier épisode (accessible dans un précédent article : Pierre et Jeanne, les anticonformistes). Un autre mystère christodaire s’annonce aujourd’hui !
Je tends l’oreille et n’ose pas bouger de mon lit. Je sens qu’il se passe quelque chose d’important... En fait je sais ce qui se prépare (c’est l’avantage de revenir dans le passé dont on connaît les principaux événements...), mais je retiens mon souffle, inquiète malgré tout.
Pierre revient au bout de plusieurs minutes qui me paraissent interminables. Je ne parle pas de Jeanne qui a dû trouver le temps bien plus long que moi...
Pierre ne revient pas seul, il est accompagné de la matrone du village, qu’il est allée réveiller en pleine nuit pour la bonne cause. Je reste dans mon lit pour laisser Pierre et Jeanne partager cet instant unique ensemble. C’est donc le grand jour (enfin la nuit...) pour Jeanne, qui va mettre au monde son premier enfant ! Si j’entends les cris de Jeanne, je suis rassurée car la voix de la matrone est douce et elle semble connaître son affaire. Après plusieurs dizaines de minutes interminables, je finis par entendre les cris d’un nouveau-né.
Pierre arrive dans ma chambre quelques minutes plus tard. Il n’a pas besoin de me réveiller, tenue en haleine par cet événement même si j’en connaissais déjà l’issue...
- C’est un garçon ! » me lance-t-il les yeux plein de joie. Nous l’avons appelé Pierre ! La relève est assurée !
J’entends cette nouvelle sans réelle surprise puisque je me suis souvent mélangé les pinceaux avec ces Pierre Poyet sur trois générations successives (sans parler des frères et des cousins...), mais c’est avec joie que je l’accueille. Je me lève pour féliciter le nouveau papa, et j’ose enfin me rendre dans la pièce d’à côté pour y voir un beau petit bébé déjà emmailloté, mon SOSA 16.
Après quelques minutes passées aux côtés de cette nouvelle famille, je retourne me coucher, remplie d’émotions. Pierre me propose alors d’aller avec lui le lendemain à la mairie, pour la déclaration de la naissance de son fils.
- C’est avec plaisir que je t’accompagnerai, bien sûr ! », lui répondis-je, tout en me disant que cela me permettra sûrement de résoudre un autre mystère de cette branche.
Le lendemain matin, Pierre vient me réveiller. Il n’a pas oublié notre conversation de la veille, et me propose de me montrer son exploitation et ses terres.
- Nous en profiterons pour aller prévenir les témoins pour la déclaration de la naissance de Pierre, puis nous irons à la Mairie qui n’ouvre que dans l’après-midi.
Quand nous sortons enfin, dans la matinée, il fait toujours aussi froid et le vent est toujours aussi glacial. Pierre me fait faire le tour de sa propriété. Dans la petite étable, un bœuf est encore couché dans la paille. A côté, sous le hangar, divers outils pour les cultures sont entreposés à côté de la charrue[1]. Nous parcourons tranquillement ses terres, ses prés et ses bois situés tout autour de la maison.
Carte des parcelles possédées par Pierre en 1833 à Manissol (Saint-Christo-en-Jarez, Loire) et situées autour de sa maison. Cliquer pour zoomer.
Source : ©Scribavita d’après les matrices cadastrales et le cadastre de Saint-Christo-en-Jarez disponibles aux Archives départementales de la Loire.
En 1833, Pierre possédait 23 parcelles éparpillées en divers lieux de la section E dite de Marcenod pour une superficie totale de 9 hectares 56 ares, réparties comme l’indique le graphe ci-dessous. Chaque barreau montre l’ensemble des parcelles réparties par nature. La contenance est indiquée en mètres carrés, le revenu (a priori base d’imposition ou somme perçue par les impôts) en Francs de l’époque.
Graphe des contenances et des revenus des parcelles possédées par Pierre en 1833 à Saint-Christo-en-Jarez (Loire). Cliquer pour zoomer.
Source : ©Scribavita d’après les matrices cadastrales de Saint-Christo-en-Jarez disponibles aux Archives départementales de la Loire.
En tant que laboureur, Pierre m’explique à chaque fois tout ce que chacune de ses parcelles lui permet de réaliser comme travail. Cela fait tout juste un an qu’il est ici. Voir s’écouler une année complète lui a permis de regarder passer toutes les saisons, il sait déjà comment améliorer ses cultures et mettre à profit chaque are qu’il possède.
Quand Pierre me fait sa visite, je vois combien il est fier de tout ce qu’il possède, et je le suis avec lui. J’aimerais tant savoir s’il est parti de rien et s’il a pu acheter tout cela avec ses propres économies, ou s’il a quand-même été aidé par ses parents. Il m’explique qu’il va bientôt commencer le labour de printemps, et que son bœuf lui sera d’une grande aide. Puis nous prenons la route à pied, celle par laquelle je suis arrivée.
Nous passons d’abord devant la ferme que je connais bien. Je m’abstiens de lui dire que son arrière-arrière-petit-fils l’achètera en 1965.
Nous arrivons alors devant la ferme suivante, située où ce dernier est né ainsi que mon père et mes tantes. J’ai un pincement au cœur car je ne veux toujours pas évoquer avec lui son futur. Je ne peux donc pas lui parler de son petit-fils François (qu’il n’aura pas le temps de connaître comme probablement tous ses autres petits-enfants) et du mystère que je n’ai pas encore résolu : la maison que nous voyons aujourd'hui en 1821 va disparaître sans doute après 1882 et François en achètera en 1900 le terrain, a priori nu, pour y construire sa maison l’année suivante[2].
Nous parvenons à la Croix des Mitanes d’où avait commencé mon périple sur la terre de mes ancêtres, et nous passons ensuite devant les terrains qui verront construire les habitations de deux de mes cousins à la fin du XXème siècle.
Nous arrivons dans le bourg de Saint-Christo-en-Jarest. Pierre se dirige vers l’école. Nous sommes dimanche, l’instituteur Joseph Garbit, âgé de 39 ans, est chez lui. Pierre frappe à sa porte. Joseph est habitué : quasiment tous les habitants du village viennent chez lui quand il s’agit de déclarer un évènement d’état civil. Pierre n’a donc pas besoin de lui dire grand chose, et c’est très rapidement qu’ils conviennent de se retrouver à 18 heures à la mairie pour procéder à la déclaration de la naissance de Pierre.
Nous reprenons notre chemin, et après un court dédale dans les rues du bourg qui n’a pas tellement changé par rapport à ce que j’en connais, nous arrivons chez Claude Maisonnette, 49 ans, tisserand, l’autre Christodaire quasi systématiquement pris comme témoin pour les actes d’état civil. Les échanges sont cette fois un peu plus longs, je sens Pierre beaucoup plus à l’aise et proche d’un alter ego (son père a lui-même été tisserand) qu’il ne l’était de l’instituteur...
Nous faisons demi-tour et rentrons alors nous mettre au chaud, pour un temps seulement, car Pierre doit s’affairer. Si la fin de l’hiver n’est pas propice au travail de la terre, un laboureur a toujours à faire pour sa ferme. C’est ainsi qu’il m’emmène dans le bois qu’il m’a montré au début de la matinée, emportant avec lui une grosse hache et une grande scie. Pierre me dit qu’il va couper du bois, et me demande de l’aider. J’accepte avec plaisir même si je ne me vois pas manier la hache, mais je me dis que cela me réchauffera un peu. Nous arrivons au pied d’un grand pin que Pierre a abattu la veille. Il commence à en couper les branches qu’il débite ensuite en rondins. Je l’aide en les rangeant dans le tas qu’il avait déjà commencé au bord de la forêt. Pierre coupe les rondins avec une grande dextérité, j’ai presque du mal à suivre et je suis rapidement fourbue. Heureusement, la fin de la matinée arrive vite.
Nous rentrons à la ferme pour un déjeuner qui nous fera le plus grand bien. Jeanne allaite son nouveau-né, puis nous passons à table nous rassasier. La mairie n’ouvrant qu’en fin de journée, Pierre me dit que nous avons encore le temps de nous occuper.
Il m’emmène alors cette fois sous le hangar dans lequel sont entreposés des kilos de pommes de terre, desquelles ont voit émerger de grands et nombreux germes.
Pierre m’explique qu’il faut dégermer les pommes de terre pour éviter qu’elles ne s’abîment d’ici au printemps où on pourra en replanter. Nous nous installons alors sur des rondins de bois, et prenons patate après patate pour enlever chaque œil. Le tas de pommes de terre germées diminue lentement, celui des radicules grossit peu à peu, mais je serais incapable de dire pour combien de temps on en a tant la récolte de pommes de terre avait été bonne. Heureusement que pendant ce temps, Pierre et moi discutons de nos vies respectives. Il me raconte son quotidien : sa belle vie avec Jeanne dont il espère avoir plusieurs enfants, sa dure vie aux champs et avec ses animaux de la ferme : un bœuf, un cheval, deux cochons, quelques poules[3], une vie de labeur mais qui lui plaît beaucoup. Il me parle de ses ambitions et de ses projets : acquérir des terres et des animaux pour agrandir son exploitation et la transmettre à ses enfants. Je ne veux pas lui parler de sa vie future même si j’en connais les principaux évènements, alors je lui raconte les bons côtés de la vie moderne : l’accès à la culture et l’information qu’on reçoit en temps réel grâce à la télé et Internet (je crois qu’il a bien retenu le nom cette fois), les déplacements qu’on peut faire aisément et rapidement grâce à la voiture, le train et l’avion, les vacances même si dans son métier, ça n’existe pas encore vraiment au XXIème siècle, ma passion pour la généalogie et à quoi ça sert, ...
Avec cette discussion où alternent étonnements, stupéfactions et interrogations chacun de notre part, je n’ai pas vu l’après-midi passer. Pierre me dit qu’il va bientôt être l’heure de partir à la mairie. Nous rentrons chercher le petit Pierre pour l’amener avec nous et déclarer sa naissance. Pierre m’invite à monter dans sa charrette, et me confie le nouveau-né. Tenir dans les bras mon arrière-arrière-grand-père ainsi est surprenant, mais c’est la magie de ce voyage...
En sortant de la ferme, nous tournons à droite pour prendre la route en direction du nord. Je suis étonnée, car le bourg de Saint-Christo se trouve en direction du sud, mais je laisse faire Pierre, il a sans doute une bonne raison de faire un petit détour avant. Nous avançons cahin-caha sur la route caillouteuse recouverte de verglas. Je ne suis pas vraiment rassurée d’autant que j’ai toujours le petit Pierre dans les bras, mais Pierre mène sa charrette sans difficulté. Nous poursuivons notre route toujours vers le nord, et je ne comprends toujours pas où il nous emmène. Je me remémore en effet l’acte de mariage de (petit) Pierre qui viendra dans 35 ans, en 1856. C’était au début de mes recherches, et je me rappelle avoir longtemps buté dessus, à tel point que j’avais été incapable de remonter jusqu’à Pierre et Jeanne pendant longtemps, comme je le leur disais hier. Je vérifie l’acte de mariage de Pierre (le nouveau-né) que je sors discrètement, ayant emporté avec moi les actes concernant la famille que je venais rencontrer.
Extrait de l’acte de mariage de Pierre en 1856. Cliquer pour zoomer.
Source : Archives départementales de la Loire, Saint-Christo-en-Jarez.-Naissances, Mariages, Décès. - 3NUMEC2/3E209_12 - De 1855 à 1857.
Transcription :
Pierre Poyet âgé de trente cinq ans, cultivateur
domicilié au lieu de Manissol commune de Saint
Christô en Jarrêt où il est né le vingt quatre
février mil huit cent vingt un, ainsi qu’il est
constaté par les registres de notre commune, fils
majeur et légitime de Pierre Poyet cultivateur
demeurant au même lieu et de feue Jeanne Rousset
décédée en la même commune le vingt cinq juin
mil huit cent quarante quatre, ainsi qu’il est constaté
par les registres de notre commune, futur époux d’une par
Et Marie Benoitte fontvieille agée de trente ans,
dévideuse de soie, demeurant au lieu de chez le Blanc
commune de Saint Bonnet les Oulles où elle est née
le trente septembre mil huit cent vingt cinq, ainsi
qu’il est constaté par son acte de naissance délivré en forme,
fille majeure et légitime de défunt Jean fontvieille
Nous sommes pourtant bien le 25 février 1821, c'est bien le bon Pierre que je tiens dans les bras... Comme je n’y comprends décidément rien, je finis par me tourner vers Pierre :
- Mais tu nous emmènes où, comme cela ?...
(La suite dans un prochain épisode : Pierre, premier christodaire...).
Vous pouvez retrouver chaque « rendez-vous ancestral » des différents participants via son site Internet dédié : RDVAncestral
[1]Je ne sais pas ce qu’il possédait exactement, tous ces éléments sont de pures suppositions
[2]Les matrices des propriétés foncières indiquent un achat du terrain nu par François Poyet en 1900, puis sur la même parcelle, une « C.N. » (construction nouvelle) en 1901, nouvelle construction qui corrobore ce que m’a dit mon père : son grand-père (ledit François) aurait construit la ferme au début du XXème siècle. Que s’est-il passé pour que le terrain qui comporte une maison représentée sur le plan cadastral de 1831 et qui existe encore en 1882, soit nu en 1900 ? La maison aurait-elle par exemple été le siège d’un incendie la détruisant totalement pour que François achète un terrain nu en 1900 et y construise sa maison en 1901 ? Des vérifications complémentaires sur les matrices cadastrales et sur les actes notariés prêtés par ma tante me permettront peut-être de mieux comprendre l’enchaînement des évènements.
[3]Je ne sais pas ce qu’il possédait exactement, tous ces éléments sont simplement imaginés.
Sources :
Le mois de juin et son désormais traditionnel challenge AZ, initié par la généalogiste Sophie Boudarel de La Gazette des ancêtres, se termine, et l’heure est au bilan pour la plupart des participants.
N’ayant pas pu y prendre part cette année, faute d’idée et de disponibilité notamment, j’en ai profité pour lire un maximum d’articles (même si je suis loin du compte compte tenu de leur nombre particulièrement élevé !). Malgré tout, je vous propose dans cet article un mini-challenge AZ, sorte de bilan du cru 2017 à travers un aperçu des sujets traités par quelques-uns de ses 87 participants.
Sans préjuger d’une moindre qualité ou d’un moindre intérêt pour les blogs qui ne figurent pas dans cet aperçu, la sélection qui suit a notamment été guidée par l’originalité du thème choisi ou la façon de le traiter, ou de son apport pour mener des recherches généalogiques. Il a aussi été contraint par les lettres de l’alphabet, puisque pour participer malgré tout à ma façon au challenge AZ, je vous propose cette sélection sous forme d’abécédaire basé sur les thématiques abordées par chaque participant. Je rappelle en effet pour ceux qui ne le sauraient pas encore, que le challenge AZ consiste à publier un article par jour en les déclinant selon les lettres de l’alphabet.
S’il évoque des mots classiques pour un généalogiste, le challenge de Maxime du blog Epis de Beauce qui participait pour la première fois était loin de l’être ! Des articles très documentés s’appuyant sur ses propres recherches nous permettent de découvrir de manière claire et précise différents actes d’archives.
De la même façon mais centré sur un couple de ses ancêtres directs à la sixième génération, Jenny du blog Aïeux et fines herbes explore, avec son troisième challenge AZ, la vie d’un couple qui n’a « presque » plus de secret après les multiples actes les concernant, transcrits, qu’elle nous fait découvrir avec force détails et explications.
De son côté, Frédéric du blog De Moi à la Généalogie et pour sa troisième participation, s’est penché sur tout ce qui a trait à la succession de ses ancêtres du XIXème siècle, à travers des déclarations de successions, des testaments et autres donations partages. Des articles particulièrement documentés, didactiques et enrichissants, qui nous permettent de voir ce que l’on peut apprendre d’un peu plus intime de ses ancêtres que les trois actes de vie sur lesquels le généalogiste débutant s’appuie trop uniquement.
Du plus classique sur lequel on a toujours quelque chose à apprendre, à celui dont on n’a jamais entendu parler, les actes abordés par chaque article et chaque blogueur étaient l’occasion d’une nouvelle découverte qui donne envie de trouver des actes équivalent pour sa propre généalogie !
De nombreux challengeurs nous ont proposé les biographies de leurs ancêtres, chacun à leur façon, et c’est cette variété qui contribue à la richesse du challenge !
Certains se sont concentrés sur un individu ou une branche. Ainsi Brigitte du blog Chroniques d’antan et d’ailleurs nous a-t-elle emmenés dans le Languedoc à la rencontre des ancêtres de son arrière-grand-père en étudiant depuis de longs mois cette branche spécialement pour le challenge, Sophie de La Gazette des ancêtres nous a fait découvrir ses ancêtres luthiers de Mirecourt (dans les Vosges), chacune en étant à leur cinquième participation (voire organisation du challenge...).
D’autres, dont il s’agissait de la première participation au challenge, ont consacré un article par ancêtre, à l’instar de Bérénice du blog Famille et histoires avec de courts articles qui n’en sont pas moins intéressants de par les anecdotes ou les réflexions personnelles qu’ils proposent, de l’Amicale généa24 qui a raconté la biographie de personnages de la Dordogne ou ayant eu une grande action dans ce département, de Hyacinthe de Généamauges, dont les articles étaient basés sur les prénoms de ses ancêtres et qui lui ont permis d’établir un journal de bord, montrant ses recherches et sa façon de procéder, d’Annemarie du blog Familles Brienne qui a rédigé la plupart de ses articles soit sur le mode de l’autobiographie, soit en évoquant les souvenirs transmis par ses ancêtres, ou de Vincent du blog Plantae Genista qui nous fait partager ses recherches et ses découvertes à travers de courtes biographies sur 26 de ses ancêtres.
La liste n’est pas exhaustive tant cette approche est un important aboutissement des recherches généalogiques, mais tous méritent d’être lus pour découvrir des vies à chaque fois particulières ou pour glaner des idées pour ses propres articles.
Avec un blog créé l’avant-veille du challenge et spécialement pour l’occasion (il n’était prévu de participer qu’en 2018), les élèves (et leur principal professeur) des différentes promos du Diplôme d’Université Généalogie et Histoire des familles de l’Université de Nîmes nous offrent des articles très riches et très variés. Les articles biographiques et historiques très documentés, s’intercalent avec quelques articles relatifs au DU et aux enseignements. Tous nous permettent d’apercevoir la qualité de cette formation et la bonne ambiance régnant entre les élèves et les professeurs !
Cette écriture à plusieurs mains successives est également présente par exemple sur le blog de la Chambre des Généalogistes Professionnels, créé à l'occasion, qui porte des réflexions sur le métier et la façon de l'exercer en relatant des recherches et leurs résultats, ou sur le site de l’Amicale généa24 cité précédemment.
Ce mode de participation a fait des émules, puisqu'il est désormais officiellement ouvert pour le challenge de l'année prochaine : par zone géographique, par thématique, par affinité et bien d'autres modes encore, à vous de voir ce que vous avez envie de faire, et avec qui !
Raymond du blog L’arbre de nos ancêtres, féru de littérature, nous a proposé, pour sa troisième participation, un dictionnaire amoureux de la généalogie. L’occasion pour lui de nous transmettre sa passion de la généalogie, à travers des articles tantôt nous faisant partager sa pratique, tantôt nous apportant des informations historiques ou pratiques, le tout non sans une pointe d’humour ou de poésie.
Sur son blog Rhit Genealogie, Grégory, pour sa cinquième participation, a également adopté la forme d’un dictionnaire pour nous présenter ses émotions dans sa pratique de la généalogie, s’appuyant sur les définitions des mots présentés. Des articles courts mais dans lesquels on se retrouve très souvent !
Céline avec sa cinquième participation au challenge sur son blog L’univers de Céline multiplie les contraintes : nous raconter une histoire en 26 épisodes rédigés en 100 mots chacun, tous les titres de ses articles constituant une grille de mots mêlés ! Un challenge qu’on peut lire d’une traite, cette énigme révélée peu à peu faisant intervenir différents protagonistes.
Françoise du blog Feuilles d’Ardoise a également multiplié les contraintes pour son troisième challenge : partir de ses notes de recherches en proposant un pot-pourri généalogique autour d’un acte, d’un métier, d’un prénom, ..., et en utilisant comme fil conducteur un abécédaire illustré trouvé dans Gallica dans lequel se cachaient un mot et une fleur à identifier, de la lettre du jour. Un exercice complexe qui nous permet de découvrir de nombreuses petites histoires toutes plus extraordinaires ou touchantes les unes que les autres.
Pour sa première participation au challenge AZ, Julie du blog Ovaltagénéalogie nous fait découvrir le destin des filles du Roy et autres femmes de la Nouvelle France. Chaque article est l’occasion d’une biographie vivante et détaillée sur ces femmes particulières qui ont laissé une place plus ou moins marquée dans l’histoire de leur pays. Un beau voyage à la découverte des conditions de vie de cette contrée à la généalogie qui partage tant avec la nôtre mais dont je connaissais si peu de choses !
Avec son blog créé pour l’occasion du challenge AZ 2017, en complément de son site Internet déjà existant, le Souvenir français, Comité de Bergerac rend hommage à tous ceux qui sont morts pour la France. Les articles nous proposent différents sujets : biographies, Histoire, évolution du matériel militaire, documents pour faire des recherches généalogiques, ... Un challenge à consulter pour tous ceux qui s’intéressent à cette période de l’histoire.
Sandrine dans son blog Lorraine et au-delà focalise quant à elle son attention sur les problématiques sanitaires de la Grande guerre. Elle s’appuie sur les cas concrets qu’elle a rencontrés au cours de ses recherches et anticipe le guide qu’elle est en train de rédiger concernant les principales sources permettant de retracer le parcours d’un ancêtre blessé au cours de la guerre de 1914-1918.
Emeline du blog Jules & co Généalogie a quant à elle participé au challenge AZ via la page Facebook de Jules Gasnal, son arrière-grand-père paternel qui nous raconte son parcours pendant la première guerre mondiale ainsi que quelques tranches de sa vie, à travers des anecdotes et des illustrations. Un récit à la première personne du singulier qui nous plonge de manière émouvante dans le quotidien des tranchées et plus généralement dans celui d’une vie chalonnaise tout au long du XXème siècle.
Les blogs suivants auraient pu trouver leur place dans la rubrique « Biographie », mais comme elle était déjà bien fournie, j’ai préféré leur consacrer une rubrique spéciale tant le mode d’écriture s’approche des histoires et des romans.
Marielle du blog De Pen Harden à Pen Bizien nous a emmenés dans un voyage spatio-temporel en compagnie de son descendant Ralg : une cabine téléphonique sert de machine à voyager et des champignons pour chaque lettre nous propulsent à la rencontre des ancêtres de son fils. Entre science-fiction et histoires biographiques, les rencontres étaient toutes aussi riches les unes que les autres !
Pour sa quatrième participation au challenge, Colette nous emmène à la rencontre des ancêtres paternels de sa mère sur son blog Merci mes ancêtres. S’appuyant sur des faits historiques (les dates et noms de ses ancêtres sont réels et mêlés à l’Histoire), Colette s’est fait souffler par ses ancêtres leurs actions, leurs sentiments et leurs pensées... Il en résulte une série d’articles vivants et bien contextualisés dignes d’un roman historique qui démarre au début du XVIIIème siècle pour se terminer au tout début du XXème siècle.
Yann du blog Mes racines et mes « L » est également parti à la rencontre de ses ancêtres de manière très réaliste, avec des échanges émouvants et des situations dans lesquelles on avait véritablement l’impression d’être transportés tant elles étaient décrites de manière concrète. Dommage qu’il se soit arrêté à moins de la moitié du challenge !
Pour sa première participation, Patricia est allé à l’essentiel sur son site Les Chroniques du Temps, à travers diverses infographies issues de statistiques de sa généalogie. La rapidité de lecture de chacune d’elle est sûrement inversement proportionnelle au temps passé à les réaliser, mais cette façon de procéder, dont le contenu était riche d’enseignements, montre la multiplicité des outils à notre disposition pour présenter notre généalogie !
Un même thème a été choisi par Julien du blog Nouvelles Branches pour sa première participation au challenge AZ, et Frédéric du blog Les Plancard et leurs ancêtres, un assidu du challenge (cinq participations sur cinq !) : la presse ancienne. Le premier l’a étudiée pour ses ancêtres et apparentés, le second pour les individus porteurs de son patronyme monophylétique (il est donc sûr qu'ils sont de près ou de loin de sa famille).
Des anecdotes sympathiques aux faits divers plus terribles, tous les éléments sont réunis pour nous faire partager une autre façon de découvrir la vie de nos ancêtres, bien plus proche de leur vie que les simples NMD !
A lettre difficile, petit détournement de ma propre règle (je fais ce que je veux sur mon blog !). A travers ses 87 participants, nous avons pu découvrir plus de deux mille articles en un mois ! S’il faudra plus de temps pour les lire et qu’il est impossible d’estimer le temps passé par chacun des participants pour les rédiger, j’adresse un grand bravo à tous ces courageux qui se sont lancés dans l’aventure pour notre plus grand plaisir !
Pour sa cinquième participation, Maïwenn du blog d’Aïeux et d’Ailleurs nous emmène à la découverte du monde libre. Chaque article est l’occasion d’aborder un outil, un logiciel, des méthodes et autres astuces basés sur des solutions non propriétaires.
Déjà adepte de ce système, j’ai malgré tout découvert avec intérêt de nombreuses solutions intéressantes pour ma généalogie. Les explications, courtes mais didactiques, donnent particulièrement envie de se lancer !
Brigitte du blog A toutes branches nous propose tout au long de son challenge diverses méthodes de classement et d’organisation de travail, ou selon ses mots, « la gestion du bazar ». Au fil des articles, nous suivons ses réflexions et ses mises en pratique lui permettant d’optimiser son activité face à la recrudescence des documents possédés.
De nombreuses idées sont à piocher dans ses articles particulièrement fouillés et qui présentent aussi l’avantage d’être écrits de manière vivante (l’autre challenge de Brigitte, la rédaction des articles en 15 minutes, participant sûrement à ce rythme) ! Reste à se lancer !
Thomas du blog Généatom participait pour la deuxième fois au challenge AZ, et nous a proposé un thème en rapport avec son actualité de l’été. C’est ainsi qu’il nous a fait découvrir à travers 26 articles, différents actes d’archive portant sur ses ancêtres en lien avec l’amour et le mariage. Un ton frais où alternent biographies, technique, théorie, et réflexions personnelles !
Pour sa première participation au challenge AZ, Christophe du blog Un nom, des Histoires nous fait partager des patronymes de sa généalogie, qu’il explore sous deux aspects : l’onomastique, sujet de son blog, et la généalogie, à travers l’histoire de ses ancêtres premiers porteurs de chacun de ces patronymes.
Un double challenge réussi via des explications très détaillées et agréables à lire. Dommage que Christophe se soit arrêté à la moitié du challenge et que je n’ai pas croisé de patronyme de mon arbre !...
Nathalie, avec sa quatrième participation au challenge, nous emmène comme l’indique le nom de son blog Mes racines en Vénétie, dans la région du nord de l’Italie. Elle met à profit le challenge pour avancer dans le projet qu’elle mène depuis plusieurs années (écrire quelque chose sur les familles de Borso del Grappa, village d’origine de ses grands-parents paternels, après avoir construit leur arbre généalogique par un dépouillement systématique des registres paroissiaux). C’est ainsi que Nathalie explore 26 patronymes à travers un même plan progressif, nous permettant de balayer répartition géographique, origines des noms, faits divers vécus par quelques-uns de leurs porteurs, et point sur ses propres ancêtres. Si ce challenge, véritable mine d’or sur les patronymes étudiés et à la lecture très agréable, intéresse a priori principalement ceux qui ont des origines dans ce territoire, le plan adopté et son contenu peuvent intéresser n’importe quel généalogiste qui aurait la folie d’entreprendre un travail similaire sur un quelconque territoire.
Un autre challenge rapidement lu mais qui n’en est pas moins inintéressant : celui proposé par Mélanie du blog Murmures d’ancêtres pour sa quatrième participation. A travers des photographies illustrant des moments de vie de ses ancêtres (photos de famille, extraits d’acte, objets ayant appartenu à l’un d’eux, caractéristique d’un métier, ...), nous découvrons une façon originale et agréable de parcourir sa généalogie !
Je vous propose un deuxième mot pour la lettre P, Guillaume du blog Le grenier des ancêtres ayant participé au challenge AZ exclusivement sur Twitter. Un exercice réalisé tous les jours en temps réel et sans filet, sur le thème de la psychogénéalogie et l’analyse transgénérationnelle, que Guillaume a su nous expliquer de manière didactique et passionnante. A partir d’exemples concrets tirés d’une large bibliographie et de réflexions personnelles, nous découvrons comment retisser des liens entre l’histoire passée de nos ancêtres et notre histoire au présent, la première ayant une influence insoupçonnée et parfois sidérante sur la seconde. Un challenge que l’on peut retrouver sur Storify.
Stéphanie du blog Ils étaient une fois..., bien occupée par la préparation d’un concours (qu’elle a réussi : félicitations !), a malgré tout participé au challenge à travers une approche originale : un quiz de 26 questions relatives à la ville de Tours. Des personnalités tourangelles à l’Histoire en passant par l’architecture, la ville a été décortiquée sous de nombreux aspects. Les réponses (que je n’ai pas trouvées malgré les indices proposés le lendemain de chaque question, mais je ne connais absolument pas ce territoire) seront publiées courant juillet. L’occasion de voyager dans cette ville de manière ludique !
Pour sa troisième participation au Challenge AZ, Marie de La forêt de Briqueloup nous emmène sur les traces de ses ancêtres pendant la Révolution, période charnière pour tout généalogiste mais à laquelle il s’intéresse trop peu (enfin moi, en tous cas...). Des guillotinés aux migrants en passant par les cahiers de doléances et les jumelles de fervents Républicains, la tête nous tourne avec toutes ces petites histoires racontées de manière très riche et détaillée !
Roland, un habitué du challenge avec une cinquième participation sur son blog MaLiBeLe, nous emmène dans ses souvenirs d’enfance du milieu du XXème siècle. Des textes courts sur le mode vivant de l’autobiographie qui nous font (re)vivre une époque que les moins de 20 ans (voire plus) ne peuvent pas (toujours) connaître ! Une autre approche de la généalogie, qui contribuera sûrement au « passé de demain » (selon l'expression relevée sur le blog de Roland et empruntée à Antequam... la généalogie !).
Fabrice du blog arbogaste arbogast qui semble abonné aux années impaires pour ses participations au challenge AZ, nous a proposé divers articles relatifs à la technique. Ont ainsi alterné des solutions, des idées, des pistes de réflexions sur le partage, l’ouverture et la visualisation de ses données généalogiques. Des articles intéressants et accessibles à tous, qui donnent envie de se lancer dans l’utilisation de ces différents outils et autres solutions permettant d’aller au-delà de nos recherches, en facilitant leur analyse ou en améliorant les connaissances que l’on peut en tirer.
Pourquoi se retreindre à un unique challenge quand on peut en faire deux ?!... C’est ce que nous a prouvé Sébastien, qui après avoir commencé un premier challenge sur son blog Noms du Poitou (de la Pissarderie), a dû se dire (le 18 juin) que l’aventure était trop simple, et nous en a proposé un deuxième sur son second blog Quand Savigné vous sera conté... non sans repartir de A ! Un double défi réussi avec des articles particulièrement documentés sur des histoires et des personnages de ces territoires. A quand un triple challenge, puisque Sébastien tient trois blogs ?!...
Benoît du blog Voyager avec mes ancêtres nous transporte, pour sa cinquième participation, dans les lieux où ses ancêtres et ceux de sa femme ont vécu. Des cartes et autres illustrations sont accompagnées d’actes d’état civil pour nous raconter une partie de la vie de ces ancêtres, rendant ainsi les récits plus vivants et concrets.
Martine du blog chronique familiale et abonnée aux années impaires pour participer au challenge AZ, nous transporte également sur les lieux où ses ancêtres ont vécu, à travers une biographie de ceux-ci et une présentation du lieu. Des articles richement illustrés et détaillés nous font ainsi voyager à différents niveaux.
Juloz, pour sa troisième participation sur son blog Mes Ancêtres, 40 Générations, nous a quant à lui fait découvrir diverses situations originales voire cocasses à travers une thématique principalement centrée sur les passeports et autres voyages en France et à l’étranger. Son challenge aura ainsi été l’occasion de nous faire découvrir le Centre des Archives Diplomatiques de Nantes (CADN) et quelques-uns des types de documents qu’il possède.
Je triche un peu avec le W, en choisissant l’article le plus original de la lettre parmi tous ceux des participants, plutôt qu’un blog en particulier. A ce jeu, c’est donc Gloria de Lulu Archives Availles-en-Chatellerault qui remporte la palme, avec un article très original sur les WC de la commune. Ainsi, nous apprenons par exemple qu’une dépense de 360 francs avait été faite en 1922 par la mairie d’Availles pour nettoyer les waters-closets, ou qu’ en 1939, il était urgent d’en construire pour les élèves des classes des enfants des réfugiés mosellan. Outre cet article, le blog nous permet de découvrir de manière très vive et sympathique de nombreux trésors du village d’Availles à partir d’une collecte de documents effectuée auprès de ses habitants ! Une excellente initiative qui aura su je suppose rassembler aussi bien les Availlais que les lecteurs du blog !
Le premier challenge AZ de Valérie du blog Des racines et des arbres nous emmène à la rencontre des femmes de son arbre. L’occasion pour elle de nous raconter, avec plus ou moins de détails, l’histoire de ces individus de notre arbre sur lesquels le généalogiste se penche moins souvent, faute de documents et de sources dans lesquelles elles apparaissent. Après les biographies de chacune de ces femmes, j’ai aussi particulièrement apprécié les commentaires, auto-critiques et réflexions sur l’état de ses recherches de Valérie, qui rend ses recherches plus vivantes. Enfin, pour chaque lettre, Valérie nous propose quelques statistiques sur les prénoms féminins de son arbre.
Un challenge particulièrement documenté et fouillé nous est proposé par Catherine du blog Aujols-Laffont pour sa troisième participation : une visite des Pyrénées. Chaque article nous permet de découvrir ce territoire : son histoire, ses mythes et légendes ainsi que différents évènements de vie de ses habitants, illustrés par divers documents d’archives, d’extraits d’articles de presse voire de visites dans des musées. Un petit air de vacances avant l’heure !
Pour la dernière lettre de l’alphabet, je termine en citant tous les participants que je n’ai pas encore eu l’occasion d’évoquer et qui ont mené leur challenge AZ de la première à la dernière lettre sans en sauter aucune ! Un grand bravo à eux pour leur persévérance et la réussite complète de leur challenge : Christiane d’Antequam... la généalogie !, les Archives municipales de Pontivy, les Archives municipales et communautaires d'Orléans, la Page Facebook des Archives départementales d’Indre-et-Loire, Elvire avec la Page Facebook des Archives de Paris, Marie de Balades en généalogie, le Cercle généalogique de Maisons-Alfort, Catherine et son blog D'Ici et d'Ailleurs, Patrick et son blog De la Baïse à l'Escaut, Cedeca et son blog Des Branches, Jean-Gabriel de Gene@blog, Geneafinder, Diane de Généalogie en tête, Monique de Généalogie et Histoire, Sandrine de Geneassist, Graphistory, le blog, Séverine de Histoires d'antan et d'à présent, Karine du blog karineandco, Christine avec Le blog d'une généalogiste, Aliénor sur Le blog de Geneanet, Marie et son blog Marieb.live, Fred de Mémoire des Poilus de la Vienne, Marie-Claude avec Mes ancêtres angevins, Véronique et Mes Généalogies, Catherine sur Mes passions et métiers, Geneviève de Pixis, Jean-Louis et terresdartois, Christine avec Théo, Zoé, Léo et les autres..., Isabelle sur Traces familiales, laboubouille et son blog Tu es de ma famille, et Delphine avec Un arbre pour racines.
N’oublions pas non plus les autres participants, qui, même s’ils n’ont pas publié un article par lettre, ont eu le mérite et le courage de se lancer dans l’aventure : Marie-Odile de Au pied de mon arbre le plat pays, Marie-Noëlle et son blog De France et d'Aieux, Marie de Histoires de Familles, et Marielle de MLC Généalogie, qui ne partagent pas seulement une partie de leur prénom, mais ont surtout été bloquées par les lettres les plus difficiles ; Laurence qui a réalisé la deuxième moitié du challenge commencé l’année dernière sur son site Paléographie Laurence Hervieu, et finalement Loïc de Généalogie des Druenne, Selma avec son blog Le vieux Cayol, Christophe et Les vieux de mon arbre, Benoît avec Mes Racines Familiales, et Laetitia de Nos racines aux débuts prometteurs mais arrêtés trop tôt, confrontés pour certains à des difficultés personnelles.
J'espère n'avoir oublié personne !
Pour terminer, j’adresse encore un grand bravo à chacun des 87 participants (et ses écrivains encore plus nombreux), pour la qualité de vos articles, la passion que vous nous avez transmise, les différentes découvertes que vous nous avez apportées, et la vivacité de vos réalisations diverses et variées !
Bravo et merci aussi à Sophie et Brigitte, qui en plus de leurs participations, nous ont permis de suivre le challenge dans les meilleures conditions, à travers l’alimentation d’un tableau recensant tous les articles de tous les participants quand ceux-ci oubliaient de le faire, le magazine Flipboard et le carnet Evernote où vous pouvez retrouver tous les articles de l’édition 2017.
Vous pouvez également retrouver une sélection d’articles du challenge AZ grâce à Céline qui, en plus de sa participation, a retenu trois articles par lettre sur son blog L'univers de Céline, grâce à Marion sur son blog Magenea qui propose également une sélection d’articles pour chaque lettre de l’alphabet, et aux différents twittos qui nous font partager leurs lectures quotidiennes des blogs participant via #challengeAZ et #1J1AZ. Enfin, Geneviève s’est lancée dans la répartition de tous les articles, selon leur lettre, par thématique... , à travers des tableaux qu’elle nous propose via son blog Pixis : un travail qui lui a déjà permis de trouver des idées de pistes intéressantes...
Bonne lecture à tous !
Après avoir rencontré François, un mari pas très recommandable ?, et pour mon deuxième rendez-vous ancestral, nous partons dans la Loire, en 1821, chez mes SOSAS 32 et 33.
J’espère que ce rendez-vous me permettra enfin de percer le mystère de mes origines christodaires !
Nous sommes le 24 février 1821, en milieu d’après-midi. Je suis à la Croix des Mitanes, à Saint-Christo, j’ai une vue à quasiment 360°. Des champs vallonnés recouverts d’un joli manteau blanc et parsemés de quelques arbres nus s’étendent à perte de vue. Nous sommes à plus de 830 mètres d'altitude, un vent froid souffle en rafales et me glace. C'est un endroit que je connais bien, et je n'ai pas de mal à choisir la bonne route parmi les six embranchements qui rayonnent du carrefour où je me situe : je pars au nord, en direction de Manissol, à la rencontre de Pierre, mon SOSA 32, et de sa femme Jeanne, ma SOSA 33.
Le chemin de terre jonché de nombreux cailloux, descend en pente douce. Une fine couche de neige verglacée recouvre le sol. J'avance à petits pas pour ne pas risquer de tomber, même si je suis très pressée de rencontrer mes ancêtres.
Après cinq minutes de marche hésitante, j'arrive devant une première bâtisse en pierres. C'est la ferme où mon père est né. Je ne l'ai toutefois jamais vraiment bien vue et je le regrette, car dans mon monde, elle est cachée derrière une végétation abondante, servant de résidence secondaire à une famille qui ne l'habite pas souvent. Mais je trouve étrange de la voir maintenant, car mon père m'a dit que c'était son grand-père qui l'avait construite, au début des années 1900. Des recherches complémentaires au cadastre me permettront sûrement d’en savoir plus...
Je poursuis mon chemin, toujours péniblement même si le vent glacial me pousse à presser le pas. Heureusement que je n’ai que 250 mètres à parcourir ! J'arrive alors devant une ferme que je connais bien : celle de mon oncle et de ma tante dans laquelle je me suis toujours rendue pour les réunions familiales ici, et que j'ai longtemps cru être le berceau de notre famille alors que ce sont eux qui l'ont achetée dans les années 1960. Ce corps de ferme est constitué de quatre grands bâtiments, et il sera encore plus imposant quand je le connaîtrai au XXème siècle.
Mais ce n'est toujours pas là que je dois me rendre, et je poursuis donc ma route sur 300 derniers mètres pour rejoindre la troisième ferme du lieu-dit, ferme que je ne suis d'ailleurs encore jamais allée voir dans la réalité (!)[1].
J'arrive alors devant un corps de ferme lui aussi en pierres, constitué de deux bâtiments de taille modeste. C'est là qu'habitent mes ancêtres : Pierre Poyet et Jeanne Rousset. Ils se sont mariés l'année dernière, le 29 janvier 1820, à Saint-Héand, dans le département de la Loire. Pierre était originaire de ce village situé à une douzaine de kilomètres à l’ouest d'ici et riche de près de 3000 habitants, alors que Jeanne venait du village limitrophe de ce dernier par le nord, Aveizieux, qui comptait alors un peu plus de 700 habitants.
Plan de localisation des trois villages et des lieux dit de La Bourgiat à Saint-Héand et Manissol à Saint-Christo. Cliquer pour zoomer.
Source : Geoportail, Cartes d’Etat-Major de Lyon sud-ouest (1834) et de Montbrison (1842).
Je frappe à la porte, un peu émue à l'idée de rencontrer mes ancêtres, d'autant que je ne sais pas comment ils vont pouvoir m'accueillir dans cette situation particulière.
Un homme d'une trentaine d'années vient m'ouvrir : c'est Pierre. Il me regarde un peu surpris, mes vêtements n'étant pas vraiment en accord avec ceux qui se font alors. Je lui explique que je suis l’une de ses descendantes, née près de deux siècles après lui, et que je suis venue à sa rencontre car quelque chose en lui m’intrigue. Il me regarde un peu interloqué, et pour cause, mais il a l'air plutôt content de me voir.
- Tu arrives au bon moment ! » me dit-il, l'air réjouis. Mais ne reste pas dehors, il fait si froid ! Viens donc à l'intérieur te réchauffer un peu !
Nous arrivons dans la pièce principale, un feu crépite à l'intérieur d'une grande cheminée. Jeanne est assise juste à côté du foyer. Je vois son gros ventre arrondi. Pierre lui explique qui je suis. Elle sourit et me souhaite la bienvenue, puis elle me fait signe de m'installer sur la chaise en bois à côté d'elle.
- Mais qu'est-ce qui t'amène donc ici ? » me demande Pierre, et comment es-tu arrivée ?
- Et bien... je m'intéresse à notre passé, et comme j’ai eu la possibilité de faire ce voyage, un peu spécial je vous l'accorde, j’ai souhaité vous rencontrer car j'aimerais en savoir un peu plus sur vous. En effet, pendant longtemps au cours de mes recherches, je suis restée bloquée sans parvenir à trouver de trace pour remonter jusqu’à vous... Et puis finalement à force de persévérance et avec un peu de chance, j’ai fini par trouver d’où tu étais originaire... On ne peut pas dire que tu aies suivi le parcours habituel de ton époque !
A ces mots, Pierre fronce un peu les sourcils, mais son petit sourire me laisse entrevoir qu'il a compris de quoi je parle.
- Tu peux m’en dire un plus, sur cette chance ? », me demande-t-il alors.
Sa question m’embête un peu, car même si j’aime beaucoup parler de mes recherches, le faire maintenant implique que je lui parle de son futur, ce que je trouve plutôt dommage. Il faut donc que j’essaye de ruser pour en dire juste ce qu’il faut.
- Disons que trouver où toi et Jeanne vous étiez mariés a été un peu compliqué, et c’est par l’intermédiaire de tes frères que j’ai pu le découvrir. Je pourrai t’en dire davantage, mais seulement un peu plus tard... C’est grâce à un concours de circonstance assez heureux que j’ai pu trouver que vous vous étiez mariés à Saint-Héand l’année dernière. J’ai alors appris que toi, Pierre, tu étais cultivateur habitant chez tes parents, Pierre Poyet et Catherine Barrau à La Bourgiat, et que toi, Jeanne, tu vivais chez tes parents, Antoine Rousset et Benoîte Guillarme, aussi cultivateurs, à Aveizieux. Et en faisant des recherches complémentaires sur toi, Pierre, j’ai su que tu étais né en 1792 à Salettes dans ce même village, et que tu avais cinq frères plus jeunes que toi : Jean-Antoine, de deux ans ton cadet, Jean-Marie qui décèdera à quelques jours alors que tu n’avais pas tout-à-fait 4 ans, Claude né un peu plus de deux ans plus tard, Jean né alors que tu avais déjà 11 ans, et François, arrivé cinq ans après.
- Ouh là, tu m’embrouilles un peu, là !... Mais tu as pu savoir tout ça de nous deux siècles après que cela se soit produit ?! Comment tu as fait ?
- Oh... je suis juste allée consulter les registres d’état civil des différentes mairies du coin, et puis j’ai aussi cherché sur Internet... oups... qu’ai-je dit...
- Tu as cherché sur une terre nette ?! », s’étonne Pierre, stupéfait.
- Non non, j’ai cherché sur Internet, une immense encyclopédie qui permet de chez soi d’accéder à des informations dans le monde entier. C’est assez pratique, si vous saviez !...
Pierre et Jeanne me regardent avec des yeux ronds, tous aussi ahuris l’un que l’autre. Je comprends que cette information les décontenance, eux qui ne connaissent peut-être même pas le dictionnaire...
- Ah ben moi, je serais bien incapable de savoir qui étaient mes ancêtres il y a deux cents ans !... Mais ça, tu dois le savoir aussi, alors ?...
- Ah ça, non pas encore si loin, enfin en partie quand-même… Mais revenons-en à ce qui m’amène...
- Oui alors, qu’est-ce tu trouves donc de si particulier dans mon parcours ?...
- Et bien, c’est qu’en tant qu’aîné, je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas toi qui a gardé l’exploitation familiale... pourquoi après votre mariage vous êtes partis « si » loin de vos origines, pourquoi vous avez choisi Saint-Christo, ...
Pendant que je lui dis cela, je repense à mes recherches. J’ai trouvé que les quatre frères de Pierre vont se marier en 1829, trois ans après le décès de leurs parents, et qu’ils habitent alors tous à La Bourgiat. Les enfants de plusieurs d’entre eux y naîtront quelques années plus tard. Pierre sera quant à lui propriétaire de multiples terrains tout autour de Manissol dans les années suivantes. Je m’abstiens aussi de lui dire qu’une partie de sa descendance restera implantée à Manissol pendant les deux siècles à venir, même si l’envie ne m’en manque pas : je parle avec nos « pionniers », ceux qui ont fait que de mémoire familiale, toute notre famille avait toujours vécu à Manissol...
- Ah, ce n’est donc que cela qui t’étonne ? » me répond Pierre. Et tu n’as pas trouvé la réponse sur ta terre nette ?, s’exclame-t-il en riant.
- La magie du début du XXIème siècle permet beaucoup de choses, mais pas encore de connaître les idées, les pensées et les émotions des gens du passé...
- Et bien ce n’est pas si compliqué : à notre mariage l’année dernière, mes petits frères, tous célibataires, avaient 26 et 22 ans pour les deux premiers, et 16 et 11 ans pour les deux derniers. Ce sont bien sûr nos parents de 57 et 50 ans qui tenaient les rênes de la ferme, et tous mes frères et moi y travaillions avec eux. J’avais bien compris que mes parents n’étaient pas prêts à nous laisser mener l’exploitation comme on le voulait, et puis de toutes façons, elle n’était pas assez grande pour nous tous. Comme avec Jeanne, on avait envie d’indépendance, de grandeur et qu’on rêvait de se débrouiller par nous-mêmes, on a préféré partir... Je savais que mes frères pourraient prendre la relève, alors je ne me suis pas trop inquiété pour mes parents et notre exploitation familiale. Quant au choix de Saint-Christo, c’est juste un hasard. Nous aussi on a cherché une terre nette... On n’a pas trouvé de terres et de maison disponibles à Saint-Héand ou Avézieux, alors on est parti un peu au petit bonheur la chance. On préférait continuer à vivre au milieu des collines plutôt que dans la plaine, alors on a pris la direction de l’est, et on est tombé sur ce charmant petit village avec un beau potentiel en terme d’exploitation agricole ici[2].
Pierre continue :
- Nous possédons déjà notre maison et plusieurs terrains : des prés, des terres, des bois, …[3]. Si tu veux, je peux aller te montrer tout ça !
Pierre jette alors un coup d’œil par la fenêtre et poursuit :
- Ah mais il fait va bientôt faire nuit ! Qu’à cela ne tienne, tu n’as qu’à rester dormir ici, et nous irons voir tout ça demain matin !
- Oui très bonne idée ! », lui répondis-je, même si je suis mitigée à l’idée de passer la nuit ici : c’est une chance de passer encore un moment avec et chez mes ancêtres, mais nous sommes en plein hiver, et le confort ici semble assez spartiate...
- L’ancien propriétaire de la maison a laissé pas mal de meubles, il y a un lit dans la pièce d’à côté, Jeanne y a déjà glissé quelques pierres sorties du feu... En attendant, passons à table : s’il y a à manger pour deux, il y aura à manger pour trois !
C’est avec étonnement et ravissement que je m’installe à la table de mes hôtes, mes ancêtres, les premiers christodaires d’une longue lignée qui perdure encore dans mon monde. S’ils savaient ! Notre repas est riche d’échanges, et je pars me coucher non sans émotion.
Cela fait à peine dix minutes que je cherche à me réchauffer dans ma couche, que j’entends quelques gémissements a priori émis par Jeanne et auxquels je ne prête pas vraiment attention. J’entends ensuite Jeanne et Pierre discuter étrangement, puis je comprends que Pierre quitte la maison en trombe...
(La suite dans un prochain épisode : Une journée à la ferme).
Vous pouvez retrouver chaque « rendez-vous ancestral » des différents participants via son site Internet dédié : RDVAncestral
[1]Les choses ont changé depuis, et c'est avec beaucoup d'émotions qu'en avril 2018, j'ai pu pénétrer dans la cour de cette ferme, voir l'agencement des bâtiments, découvrir une source coulant à travers un mur de la propriété, ..., les voisins de ma tante nous ayant permis de rentrer chez eux. Encore merci à eux !
[2]Je ne possède pas davantage d’éléments tangibles pour connaître les véritables raisons qui ont poussé Pierre et Jeanne à quitter leurs familles et à s’installer à Saint-Christo ; celles que je prête à Pierre sont peut-être très loin de la réalité, mais c’est ce qui me semble le plus plausible. J’aurais pu imaginer que le Maire de Saint-Christo cherchait à peupler son village et à dynamiser l’économie locale et qu’il s’était donné les moyens d’attirer des agriculteurs voisins (cela se faisait-il déjà à l’époque ?), que Pierre et Jeanne ne s’entendaient pas avec les parents de Pierre, que ceux-ci n’avaient pas voulu de ce mariage. Dans l’acte de mariage de Pierre et Jeanne, la formulation relative au père de Pierre me pose d’ailleurs question : le futur époux est « fils légitime et majeur à Pierre Poyet dans son vivant aussi cultivateur du même lieu de la Bourgia commune de Saint-Héand et de vivante Catherine Barrau son épouse légitime ici présent et consentant », ce qui laisserait supposer que Pierre père est déjà décédé ; puis à la fin de l’acte, on apprend qu’il est présent et témoin et il va même signer l’acte. Se peut-il qu’il n’était pas consentant au mariage (dans l’acte, le mot est au singulier, et même s’il n’est pas au féminin, on peut penser qu’il était relatif à la mère, qu’on croit alors être seule présente) ? La formulation est-elle simplement une erreur de l’officier d’état civil ? A noter que la formulation pour les parents de Jeanne indique qu’ils sont vivants et « ici présent et consentant audit mariage », (« présent et consentant » au singulier, comme pour les parents de Pierre). Consulter la succession de Pierre père aux AD42 me permettrait peut-être aussi d’en savoir un peu plus.
[3]Mes recherches ne me permettent pas de savoir s’ils étaient effectivement déjà propriétaires et de quoi dès 1820 ou 1821 ; j’ai extrapolé à partir de ce que j’ai su qu’ils possédaient en 1833 via les matrices cadastrales.
Sources :
Partie en quête de mes ancêtres il y a plus de 25 ans un peu par hasard, et côtoyant d’autres généalogistes aux profils variés, j’ai eu envie de savoir ce qui poussait chacun à se lancer dans l'aventure de la généalogie. C’est donc pour essayer de dresser le(s) portrait(s) du généalogiste que je vous propose ce questionnaire : « Pourquoi, comment et pour quoi faire de la généalogie ? ».
Cette étude sociologique (même si je ne possède pas toutes les compétences pour mener une étude de ce type dans les règles de l’art) cherche à dresser le(s) portrait(s) du généalogiste. Elle a pour objectifs de définir les raisons principales qui conduisent les généalogistes à faire des recherches, à connaître leurs pratiques ainsi que les moyens qu’ils utilisent pour mener cette activité et la partager.
Que cela fasse déjà plusieurs années que le virus de la généalogie vous a atteint, que vous veniez de l'attraper, ou que vous n'ayez pas encore commencé vos recherches généalogiques, tous vos profils m'intéressent !
L'enquête est disponible en cliquant sur ce lien : La généalogie : pourquoi, comment et pour quoi faire ?. A travers des questions essentiellement sous forme de cases à cocher, elle vous permettra de renseigner les motivations qui vous ont conduit à faire de la généalogie (ou à envisager de le faire), les actions que vous menez pour en faire, et ce que vous faites de vos trouvailles. Y répondre vous prendra moins de dix minutes.
Ce questionnaire sera disponible du 15 mai au 15 juillet 2017. Je vous remercie dès à présent de le partager sur les réseaux sociaux et auprès des personnes de votre entourage qui s'intéressent à la généalogie, notamment celles qui ont un accès limité à Internet : plus les réponses seront nombreuses et les profils variés, plus les résultats devraient être pertinents ! Le questionnaire se termine en vous demandant votre adresse mail, uniquement pour être sûr qu'une personne ne répond qu'une seule fois, et pour pouvoir vous informer de la publication des résultats.
Merci d'avance de votre participation !