... signer sans renoncer

Faire une croix, c'est d'abord signer, ou plutôt, ne pas savoir le faire.
Quand on consulte les actes d'Etat civil et des registres paroissiaux ou les actes notariés, et au fur et à mesure qu'on remonte dans le temps, on découvre de plus en plus souvent une formule type indiquant que telle personne n'a pas signé "pour ne savoir de ce enquis et sommé". Ainsi, il arrivait que les individus marquent leur présence à travers une croix plus ou moins habilement tracée.
Mais qu'en est-il finalement de la fréquence des signatures dans les actes d'Etat civil ?
A la demande du Ministère de l'Instruction publique, une enquête sur l'alphabétisation a été menée à partir de 1877 : c'est la fameuse enquête Maggiolo. Le recteur Maggiolo a demandé aux institueurs de chaque département de faire le comptage des signatures des conjoints lors de leur mariage sur les registres d'Etat civil et les registres paroissiaux sur quatre périodes de cinq ans : 1686-1690, 1786-1790, 1816-1820 et 1872-1876. Cette enquête montre toutefois certaines imperfections à travers sa méthodologie. Par exemple, l'ensemble des instituteurs n'ont pas participé à l'étude (ainsi nombre de communes voire de départements ne sont pas suffisamment renseignés), les instituteurs n'étaient que peu formés à ce travail et étaient plus ou moins motivés pour le mener, .... De plus, certains historiens pensent qu'étudier le niveau d'alphabétisation via la seule mention d'une signature est réducteur (on peut savoir lire sans pour autant savoir écrire tout en sachant seulement signer).
Malgré tout, cette enquête apporte de nombreux enseignements :

  • la France est coupée par une ligne imaginaire Saint-Malo - Genève, et le nord-est apparaît plus alphabétisé que le sud-ouest,
  • les groupes sociaux aisés sont plus instruits que les groupes défavorisés,
  • une évolution notable des signatures apparaît au XVIIIème siècle, tant pour les hommes que pour les femmes,
  • les hommes savent plus souvent signer que les femmes, ainsi :
    • en 1686-1690 : 29% des hommes et 14% des femmes signaient leur acte de mariage,
    • en 1786-1790 : ces chiffres avaient plus ou moins doublé, avec 47% des hommes et 27% des femmes,
    • en 1871-1875 : 78% des hommes et 66% des femmes savaient signer.

On pourra se référer à l'excellent livre de Thierry Sabot : "Les signatures de nos ancêtres, ou l'apprentissage d'un geste"[1] pour de nombreux détails complémentaires sur l'enquête Maggiolo en particulier et sur les signatures de nos ancêtres en général.

Quoiqu'il en soit, dans notre travail de généalogiste, ces signatures peuvent permettre d'évaluer le niveau d'instruction de nos ancêtres, quand on les met en regard avec les chiffres observés dans cette enquête. Ceci est d'autant plus intéressant notamment si l'on raconte leur vie.
L'observation des signatures (ou non) peut aussi permettre de distinguer deux homonymes en observant la graphie de chacune des signatures, leur absence ou leur présence (une absence de signature sera toutefois bien sûr à prendre avec précaution : la personne a pu "oublier" de le faire).

Faire une croix sur quelque chose, c'est aussi renoncer. Dans notre activité de généalogiste, on évitera donc d'en faire une... Dans nos recherches, avancer et reculer doit être fréquent. Et face à une impasse ou une archive lacunaire, on peut toujours espérer trouver une nouvelle piste pour en sortir ou pour la contourner... C'est d'ailleurs l'un des charmes de ses recherches : faire preuve d'imagination pour trouver des pistes originales qui permettent de mettre le doigt sur une nouvelle voie !

Faire une croix ou ne pas en faire revêt beaucoup d'importance au cours de ses recherches : tout dépend de l'époque à laquelle on raisonne et du point de vue qu'on adopte !


Source :

  • [1] : "Les signatures de nos ancêtres, ou l'apprentissage d'un geste", Thierry Sabot, 2012, Editions Thisa, ISBN 978-2-918315-05-6

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Article écrit par Chantal, le 27 juin 2014

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