Après avoir rencontré François, un mari pas très recommandable ?, et pour mon deuxième rendez-vous ancestral, nous partons dans la Loire, en 1821, chez mes SOSAS 32 et 33.
J’espère que ce rendez-vous me permettra enfin de percer le mystère de mes origines christodaires !

Nous sommes le 24 février 1821, en milieu d’après-midi. Je suis à la Croix des Mitanes, à Saint-Christo, j’ai une vue à quasiment 360°. Des champs vallonnés recouverts d’un joli manteau blanc et parsemés de quelques arbres nus s’étendent à perte de vue. Nous sommes à plus de 830 mètres d'altitude, un vent froid souffle en rafales et me glace. C'est un endroit que je connais bien, et je n'ai pas de mal à choisir la bonne route parmi les six embranchements qui rayonnent du carrefour où je me situe : je pars au nord, en direction de Manissol, à la rencontre de Pierre, mon SOSA 32, et de sa femme Jeanne, ma SOSA 33.
Le chemin de terre jonché de nombreux cailloux, descend en pente douce. Une fine couche de neige verglacée recouvre le sol. J'avance à petits pas pour ne pas risquer de tomber, même si je suis très pressée de rencontrer mes ancêtres.
Après cinq minutes de marche hésitante, j'arrive devant une première bâtisse en pierres. C'est la ferme où mon père est né. Je ne l'ai toutefois jamais vraiment bien vue et je le regrette, car dans mon monde, elle est cachée derrière une végétation abondante, servant de résidence secondaire à une famille qui ne l'habite pas souvent. Mais je trouve étrange de la voir maintenant, car mon père m'a dit que c'était son grand-père qui l'avait construite, au début des années 1900. Des recherches complémentaires au cadastre me permettront sûrement d’en savoir plus...
Je poursuis mon chemin, toujours péniblement même si le vent glacial me pousse à presser le pas. Heureusement que je n’ai que 250 mètres à parcourir ! J'arrive alors devant une ferme que je connais bien : celle de mon oncle et de ma tante dans laquelle je me suis toujours rendue pour les réunions familiales ici, et que j'ai longtemps cru être le berceau de notre famille alors que ce sont eux qui l'ont achetée dans les années 1960. Ce corps de ferme est constitué de quatre grands bâtiments, et il sera encore plus imposant quand je le connaîtrai au XXème siècle.
Mais ce n'est toujours pas là que je dois me rendre, et je poursuis donc ma route sur 300 derniers mètres pour rejoindre la troisième ferme du lieu-dit, ferme que je ne suis d'ailleurs encore jamais allée voir dans la réalité (!)[1].
J'arrive alors devant un corps de ferme lui aussi en pierres, constitué de deux bâtiments de taille modeste. C'est là qu'habitent mes ancêtres : Pierre Poyet et Jeanne Rousset. Ils se sont mariés l'année dernière, le 29 janvier 1820, à Saint-Héand, dans le département de la Loire. Pierre était originaire de ce village situé à une douzaine de kilomètres à l’ouest d'ici et riche de près de 3000 habitants, alors que Jeanne venait du village limitrophe de ce dernier par le nord, Aveizieux, qui comptait alors un peu plus de 700 habitants.

Plan de localisation des trois villages

Plan de localisation des trois villages et des lieux dit de La Bourgiat à Saint-Héand et Manissol à Saint-Christo. Cliquer pour zoomer.
Source : Geoportail, Cartes d’Etat-Major de Lyon sud-ouest (1834) et de Montbrison (1842).

Je frappe à la porte, un peu émue à l'idée de rencontrer mes ancêtres, d'autant que je ne sais pas comment ils vont pouvoir m'accueillir dans cette situation particulière. Un homme d'une trentaine d'années vient m'ouvrir : c'est Pierre. Il me regarde un peu surpris, mes vêtements n'étant pas vraiment en accord avec ceux qui se font alors. Je lui explique que je suis l’une de ses descendantes, née près de deux siècles après lui, et que je suis venue à sa rencontre car quelque chose en lui m’intrigue. Il me regarde un peu interloqué, et pour cause, mais il a l'air plutôt content de me voir.
- Tu arrives au bon moment ! » me dit-il, l'air réjouis. Mais ne reste pas dehors, il fait si froid ! Viens donc à l'intérieur te réchauffer un peu !
Nous arrivons dans la pièce principale, un feu crépite à l'intérieur d'une grande cheminée. Jeanne est assise juste à côté du foyer. Je vois son gros ventre arrondi. Pierre lui explique qui je suis. Elle sourit et me souhaite la bienvenue, puis elle me fait signe de m'installer sur la chaise en bois à côté d'elle.
- Mais qu'est-ce qui t'amène donc ici ? » me demande Pierre, et comment es-tu arrivée ?
- Et bien... je m'intéresse à notre passé, et comme j’ai eu la possibilité de faire ce voyage, un peu spécial je vous l'accorde, j’ai souhaité vous rencontrer car j'aimerais en savoir un peu plus sur vous. En effet, pendant longtemps au cours de mes recherches, je suis restée bloquée sans parvenir à trouver de trace pour remonter jusqu’à vous... Et puis finalement à force de persévérance et avec un peu de chance, j’ai fini par trouver d’où tu étais originaire... On ne peut pas dire que tu aies suivi le parcours habituel de ton époque !
A ces mots, Pierre fronce un peu les sourcils, mais son petit sourire me laisse entrevoir qu'il a compris de quoi je parle.
- Tu peux m’en dire un plus, sur cette chance ? », me demande-t-il alors.
Sa question m’embête un peu, car même si j’aime beaucoup parler de mes recherches, le faire maintenant implique que je lui parle de son futur, ce que je trouve plutôt dommage. Il faut donc que j’essaye de ruser pour en dire juste ce qu’il faut.
- Disons que trouver où toi et Jeanne vous étiez mariés a été un peu compliqué, et c’est par l’intermédiaire de tes frères que j’ai pu le découvrir. Je pourrai t’en dire davantage, mais seulement un peu plus tard... C’est grâce à un concours de circonstance assez heureux que j’ai pu trouver que vous vous étiez mariés à Saint-Héand l’année dernière. J’ai alors appris que toi, Pierre, tu étais cultivateur habitant chez tes parents, Pierre Poyet et Catherine Barrau à La Bourgiat, et que toi, Jeanne, tu vivais chez tes parents, Antoine Rousset et Benoîte Guillarme, aussi cultivateurs, à Aveizieux. Et en faisant des recherches complémentaires sur toi, Pierre, j’ai su que tu étais né en 1792 à Salettes dans ce même village, et que tu avais cinq frères plus jeunes que toi : Jean-Antoine, de deux ans ton cadet, Jean-Marie qui décèdera à quelques jours alors que tu n’avais pas tout-à-fait 4 ans, Claude né un peu plus de deux ans plus tard, Jean né alors que tu avais déjà 11 ans, et François, arrivé cinq ans après.
- Ouh là, tu m’embrouilles un peu, là !... Mais tu as pu savoir tout ça de nous deux siècles après que cela se soit produit ?! Comment tu as fait ?
- Oh... je suis juste allée consulter les registres d’état civil des différentes mairies du coin, et puis j’ai aussi cherché sur Internet... oups... qu’ai-je dit...
- Tu as cherché sur une terre nette ?! », s’étonne Pierre, stupéfait.
- Non non, j’ai cherché sur Internet, une immense encyclopédie qui permet de chez soi d’accéder à des informations dans le monde entier. C’est assez pratique, si vous saviez !...
Pierre et Jeanne me regardent avec des yeux ronds, tous aussi ahuris l’un que l’autre. Je comprends que cette information les décontenance, eux qui ne connaissent peut-être même pas le dictionnaire...
- Ah ben moi, je serais bien incapable de savoir qui étaient mes ancêtres il y a deux cents ans !... Mais ça, tu dois le savoir aussi, alors ?...
- Ah ça, non pas encore si loin, enfin en partie quand-même… Mais revenons-en à ce qui m’amène...
- Oui alors, qu’est-ce tu trouves donc de si particulier dans mon parcours ?...
- Et bien, c’est qu’en tant qu’aîné, je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas toi qui a gardé l’exploitation familiale... pourquoi après votre mariage vous êtes partis « si » loin de vos origines, pourquoi vous avez choisi Saint-Christo, ...
Pendant que je lui dis cela, je repense à mes recherches. J’ai trouvé que les quatre frères de Pierre vont se marier en 1829, trois ans après le décès de leurs parents, et qu’ils habitent alors tous à La Bourgiat. Les enfants de plusieurs d’entre eux y naîtront quelques années plus tard. Pierre sera quant à lui propriétaire de multiples terrains tout autour de Manissol dans les années suivantes. Je m’abstiens aussi de lui dire qu’une partie de sa descendance restera implantée à Manissol pendant les deux siècles à venir, même si l’envie ne m’en manque pas : je parle avec nos « pionniers », ceux qui ont fait que de mémoire familiale, toute notre famille avait toujours vécu à Manissol...
- Ah, ce n’est donc que cela qui t’étonne ? » me répond Pierre. Et tu n’as pas trouvé la réponse sur ta terre nette ?, s’exclame-t-il en riant.
- La magie du début du XXIème siècle permet beaucoup de choses, mais pas encore de connaître les idées, les pensées et les émotions des gens du passé...
- Et bien ce n’est pas si compliqué : à notre mariage l’année dernière, mes petits frères, tous célibataires, avaient 26 et 22 ans pour les deux premiers, et 16 et 11 ans pour les deux derniers. Ce sont bien sûr nos parents de 57 et 50 ans qui tenaient les rênes de la ferme, et tous mes frères et moi y travaillions avec eux. J’avais bien compris que mes parents n’étaient pas prêts à nous laisser mener l’exploitation comme on le voulait, et puis de toutes façons, elle n’était pas assez grande pour nous tous. Comme avec Jeanne, on avait envie d’indépendance, de grandeur et qu’on rêvait de se débrouiller par nous-mêmes, on a préféré partir... Je savais que mes frères pourraient prendre la relève, alors je ne me suis pas trop inquiété pour mes parents et notre exploitation familiale. Quant au choix de Saint-Christo, c’est juste un hasard. Nous aussi on a cherché une terre nette... On n’a pas trouvé de terres et de maison disponibles à Saint-Héand ou Avézieux, alors on est parti un peu au petit bonheur la chance. On préférait continuer à vivre au milieu des collines plutôt que dans la plaine, alors on a pris la direction de l’est, et on est tombé sur ce charmant petit village avec un beau potentiel en terme d’exploitation agricole ici[2].
Pierre continue :
- Nous possédons déjà notre maison et plusieurs terrains : des prés, des terres, des bois, …[3]. Si tu veux, je peux aller te montrer tout ça !
Pierre jette alors un coup d’œil par la fenêtre et poursuit :
- Ah mais il fait va bientôt faire nuit ! Qu’à cela ne tienne, tu n’as qu’à rester dormir ici, et nous irons voir tout ça demain matin !
- Oui très bonne idée ! », lui répondis-je, même si je suis mitigée à l’idée de passer la nuit ici : c’est une chance de passer encore un moment avec et chez mes ancêtres, mais nous sommes en plein hiver, et le confort ici semble assez spartiate...
- L’ancien propriétaire de la maison a laissé pas mal de meubles, il y a un lit dans la pièce d’à côté, Jeanne y a déjà glissé quelques pierres sorties du feu... En attendant, passons à table : s’il y a à manger pour deux, il y aura à manger pour trois !

C’est avec étonnement et ravissement que je m’installe à la table de mes hôtes, mes ancêtres, les premiers christodaires d’une longue lignée qui perdure encore dans mon monde. S’ils savaient ! Notre repas est riche d’échanges, et je pars me coucher non sans émotion.
Cela fait à peine dix minutes que je cherche à me réchauffer dans ma couche, que j’entends quelques gémissements a priori émis par Jeanne et auxquels je ne prête pas vraiment attention. J’entends ensuite Jeanne et Pierre discuter étrangement, puis je comprends que Pierre quitte la maison en trombe...

(La suite dans un prochain épisode : Une journée à la ferme).

Vous pouvez retrouver chaque « rendez-vous ancestral » des différents participants via son site Internet dédié : RDVAncestral


[1]Les choses ont changé depuis, et c'est avec beaucoup d'émotions qu'en avril 2018, j'ai pu pénétrer dans la cour de cette ferme, voir l'agencement des bâtiments, découvrir une source coulant à travers un mur de la propriété, ..., les voisins de ma tante nous ayant permis de rentrer chez eux. Encore merci à eux !
[2]Je ne possède pas davantage d’éléments tangibles pour connaître les véritables raisons qui ont poussé Pierre et Jeanne à quitter leurs familles et à s’installer à Saint-Christo ; celles que je prête à Pierre sont peut-être très loin de la réalité, mais c’est ce qui me semble le plus plausible. J’aurais pu imaginer que le Maire de Saint-Christo cherchait à peupler son village et à dynamiser l’économie locale et qu’il s’était donné les moyens d’attirer des agriculteurs voisins (cela se faisait-il déjà à l’époque ?), que Pierre et Jeanne ne s’entendaient pas avec les parents de Pierre, que ceux-ci n’avaient pas voulu de ce mariage. Dans l’acte de mariage de Pierre et Jeanne, la formulation relative au père de Pierre me pose d’ailleurs question : le futur époux est « fils légitime et majeur à Pierre Poyet dans son vivant aussi cultivateur du même lieu de la Bourgia commune de Saint-Héand et de vivante Catherine Barrau son épouse légitime ici présent et consentant », ce qui laisserait supposer que Pierre père est déjà décédé ; puis à la fin de l’acte, on apprend qu’il est présent et témoin et il va même signer l’acte. Se peut-il qu’il n’était pas consentant au mariage (dans l’acte, le mot est au singulier, et même s’il n’est pas au féminin, on peut penser qu’il était relatif à la mère, qu’on croit alors être seule présente) ? La formulation est-elle simplement une erreur de l’officier d’état civil ? A noter que la formulation pour les parents de Jeanne indique qu’ils sont vivants et « ici présent et consentant audit mariage », (« présent et consentant » au singulier, comme pour les parents de Pierre). Consulter la succession de Pierre père aux AD42 me permettrait peut-être aussi d’en savoir un peu plus.
[3]Mes recherches ne me permettent pas de savoir s’ils étaient effectivement déjà propriétaires et de quoi dès 1820 ou 1821 ; j’ai extrapolé à partir de ce que j’ai su qu’ils possédaient en 1833 via les matrices cadastrales.

Sources :

  • Archives départementales de la Loire : acte de mariage de Pierre Poyet et de Jeanne Rousset du 29/01/1820 à Saint-Héand, actes de naissance à Saint-Héand des frères Poyet : Pierre le 11/10/1792, Jean-Antoine le 14 Thermidor An II (4/08/1794), Jean-Marie le 22 Thermidor An IV (9/08/1796, décédé a priori en Thermidor de la même année : un Jean-Marie Poyet apparaît dans la table alphabétique figurant à la fin du registre de décès correspondant, mais je n’ai pas trouvé son acte de décès parce qu’il manque juste la page concernée, et je n’ai plus aucune trace de lui ensuite), Claude le 20 Frimaire An VII (10/12/1798), Jean le 5 Ventôse An XII (25/02/1804) et François le 25/06/1809
  • Wikipedia pour la population d’Aveizieux et de Saint-Héand

Article écrit par Chantal, le 17 juin 2017

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