J'avais déjà vu le prénom d'un même ancêtre changer d'un acte à l'autre, le nom de famille s'écrire de différentes façons, à la prononciation ou à l'orthographe plus ou moins proches, mais je n'avais encore jamais rencontré un tel imbroglio : la lecture de seulement trois sources dans lesquelles figurait a priori une seule et même personne m'en donnait trois identités différentes...

Pour ce premier généathème de l’année, je vais donc vous exposer la façon dont j’ai résolu l'épine portant sur l’identité de la grand-mère maternelle de l’un de mes arrière-grands-pères maternels.
Sa résolution a nécessité la consultation et l'analyse d'un nombre relativement important de sources - heureusement relativement classiques - dans des lieux de recherches particulièrement variés. C'est dans cette succession de sources et de lieux que la principale difficulté satisfaction de cette épine a résidé : un véritable jeu de piste qui me fit voyager à travers une bonne partie de la France !

De bons schémas valant mieux qu’un long discours, je vais vous expliquer le cheminement qui m’a permis de résoudre cette épine[1], à travers de petits arbres généalogiques représentant les informations tirées des sources consultées, auxquels j’ajouterai de brefs commentaires. Par souci de clarté, je ne fais figurer sur les arbres que les informations relatives aux membres de la famille qui nous intéressent pour la résolution de cette épine, et chaque individu sera toujours représenté avec une case au cadre de la même couleur. Pour bien la repérer, la case de l’individu sujet de notre épine est en rose.

Les données du problème
  • Acte de mariage de mon arrière-grand-père Gaston Charles HEMERLIN, du 10/01/1903 à Paris 3ème :

Acte de mariage de Gaston Charles HEMERLIN, du 10/01/1903

Les informations tirées de l'acte de mariage de Gaston Charles HEMERLIN
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

  • Acte de naissance de sa mère Pauline BRUERE, du 29/08/1845 à Pocé (Indre-et-Loire) :

Acte de naissance de Pauline BRUERE

Les informations tirées de l'acte de naissance de Pauline BRUERE
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

  • Recensement de Pocé (37) de 1846, foyer de Pauline BRUERE alors a priori âgée d’un an :

Recensement de Pocé (37) de 1846

Les informations tirées du recensement de Pocé (37) de 1846 et du foyer de Pauline BRUERE
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

L'épine à résoudre

Ces trois actes me laissèrent perplexe, puisqu'a priori une seule et même personne est appelée de trois façon différentes, même si l'on peut trouver quelques points communs d'une appellation à une autre.

Notre épine est donc la suivante :
Comment s’appelle véritablement la femme qui se cache derrière trois noms différents, grand-mère maternelle de Gaston Charles HEMERLIN et qui devrait aussi être la mère de sa mère Pauline BRUERE : Anne MICHEL, Anne Julie MATHIEU ou Julie MICHEL ?
Dans la suite des explications, nous appellerons donc notre femme à l’identité mystérieuse : (Anne) (Julie) MATHIEU / MICHEL.

Le cheminement pour arriver à la solution
1. Tables décennales et actes d’état civil de 1840 à 1855 à Pocé en quête de frères et sœurs de Pauline BRUERE

Actes d’état civil de 1840 à 1855 à Pocé

Les informations tirées des actes d'état civil de Pocé (37) sur la famille de Pauline BRUERE
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

Les prénoms ne correspondent pas toujours bien à ceux qu’on avait lus dans le recensement de 1846, mais les âges peuvent permettre de faire des associations : Anne Ursule serait Magdeleine Ursule vue au recensement, Pauline serait Anne Pauline. Anne Julie née en 1847 n'était pas présente lors du recensement de 1846. Il resterait donc une sœur aînée, Elisabeth Sidonie, vue au recensement de 1846, dont on n'a pas l'acte de naissance à Pocé.
Dans chacune des naissances des trois filles, la mère s’appelle Anne Julie MATHIEU.

2. Tables décennales de 1833 à 1852 à Pocé en quête du mariage des parents de Pauline BRUERE
  • aucun mariage BRUERE avec une femme MATHIEU ou MICHEL ;
  • les individus BRUERE trouvés sont des membres de la famille de Jacques (frère et sœur), mais aucun ne fournit d’information sur sa femme ;
  • aucun individu ne porte le patronyme MATHIEU ou MICHEL.
3. Tables décennales de 1833 à 1852 des communes proches de Pocé, en quête du mariage des parents de Pauline BRUERE

On cherche dans diverses communes aux alentours de Pocé, notamment à Monnaie (37) dont est originaire Jacques BRUERE :

  • aucun mariage BRUERE avec une femme MATHIEU ou MICHEL ;
  • les individus BRUERE trouvés sont des membres de la famille de Jacques (frère et sœur), mais aucun ne fournit d’information sur sa femme ;
  • aucun individu ne porte le patronyme MATHIEU ou MICHEL.
4. Recensements de 1841 et de 1851 de Pocé à la recherche du foyer de Jacques BRUERE

Les individus portant le patronyme BRUERE sont des sœurs de Jacques avec leurs mari et enfants. On ne trouve aucun individu au patronyme MATHIEU ni MICHEL.

5. Recensements de 1841 et de 1851 des environs de Pocé

On cherche le foyer de Jacques BRUERE dans diverses communes aux alentours de Pocé, notamment à Monnaie. Aucun individu ne porte le patronyme BRUERE, ni MATHIEU, ni MICHEL.

6. Acte de mariage de Pauline BRUERE, du 4/07/1867 à Paris 11ème arrondissement

A partir de recherches sur les frères et sœurs de Gaston Charles HEMERLIN, tous nés à Paris, et en parcourant les tables décennales de divers arrondissements de Paris, j'ai trouvé que ses parents s'étaient mariés le 4/07/1867 à Paris dans le 11ème arrondissement.
L'acte de mariage de Pauline BRUERE nous apprend donc que ses parents habitent à Chartres (28). Une nouvelle piste géographique s’ouvre à nous ! J’aurais d’ailleurs dû commencer par là, car on sait bien que les actes de mariage sont riches d’enseignement...

Acte de mariage de Pauline BRUERE du 4/07/1867

Les informations tirées de l'acte de mariage de Pauline BRUERE du 4/07/1867
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

7. Tables décennales de 1863 à 1892 à Chartres, à la recherche de l'éventuel décès de l'un ou l'autre des parents de Pauline

On trouve le décès d'un Jacques BRUERE en 1884.

8. Acte de décès de Jacques BRUERE, du 16/08/1884 à Chartres (28)

Acte de décès de Jacques BRUERE du 16/08/1884

Les informations tirées de l'acte de décès de Jacques BRUERE du 16/08/1884
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

Toutes les indications d'état civil de Jacques (date et lieu de naissance, nom des parents et de l'épouse), profession, ne laissent planer aucun doute : c'est bien notre Jacques BRUERE.
Les témoins du décès permettent de découvrir des gendres de Jacques, donc des maris de (demi-)sœurs de Pauline. Ils se sont peut-être aussi mariés à Chartres...

9. Table décennale de 1833 à 1872 à Chartres, à la recherche de mariage de filles BRUERE, puis actes d'état civil

Deux mariages sont à chercher :

  • l'un entre une femme nommée BRUERE et un homme nommé HERMELINE (à ne pas confondre avec HEMERLIN, le gendre de Jacques BRUERE que nous connaissions déjà...),
  • l'autre entre une femme nommée BRUERE et Gustave Clément RIBAS.
    Dans les tables décennales, nous trouvons bien des mariages correspondant, allons vite consulter les actes complets !

Actes de mariage de sœurs de Pauline BRUERE

Les informations tirées des actes de mariage de sœurs de Pauline BRUERE des 16/02/1863 et 22/09/1862 à Chartres
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

L'acte de mariage de 1862 ne nous apporte pas d’information supplémentaire.
Mais dans celui de 1863, on découvre une fille « aînée » de Jacques BRUERE et (Anne) (Julie) MATHIEU / MICHEL, Elisabeth, qu’on ne connaissait qu’à travers le recensement de 1846 à Pocé, et qui est née à Rochefort (alors Charente-Inférieure, désormais Charente-Maritime) ! C'est donc pour cela qu'on n’avait pas trouvé sa naissance à Pocé, et cela expliquerait pourquoi on n'avait pas trouvé le mariage de Jacques BRUERE dans les environs de Pocé...

10. Acte de naissance d’Elisabeth BRUERE, fille de Jacques et donc sœur ou demi-sœur de Pauline, du 27/02/1843 à Rochefort

Acte de naissance d’Elisabeth BRUERE

Les informations tirées de l'acte de naissance d’Elisabeth BRUERE du 27/02/1843 à Rochefort
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

Elisabeth et Pauline sont bien sœurs car filles de Jacques et d’Anne Julie MATHIEU. Peut-être cet acte de naissance va-t-il nous permettre de trouver l’acte de mariage de leurs parents ?

11. Table décennale des mariages à Rochefort 1833-1842 puis actes d'état civil à la recherche de l’acte de mariage de Jacques BRUERE et...

Acte de mariage de Jacques BRUERE et Anne Julie MATHIEU

Les informations tirées de l'acte de mariage de Jacques BRUERE et Anne Julie MATHIEU du 5/07/1842 à Rochefort
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

Bingo !! Jacques BRUERE épouse Anne Julie MATHIEU, dont le père se prénomme... Michel !
Une petite vérification de l’acte de naissance d’Anne Julie MATHIEU permettra de confirmer son état civil officiel à la naissance.

12. Acte de naissance d’Anne Julie MATHIEU le 12/03/1843 à Rochefort :

Acte de naissance d’Anne Julie MATHIEU

Les informations tirées de l'acte de naissance d’Anne Julie MATHIEU le 12/03/1843 à Rochefort
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

L’information correspond à celle que nous avions trouvée avec son mariage : Anne Julie MATHIEU est bien la fille de Michel MATHIEU et de Françoise Thérèze LAURENT. Pour l'anecdote, on peut supposer que tous ces prénoms comme patronymes ne devaient pas simplifier les choses pour des individus qui ne savaient pas tous écrire...

On avait quand-même la réponse dans la question...

Anne MICHEL, Anne Julie MATHIEU et Julie MICHEL sont donc bien une seule et même personne !
C'est bien Anne Julie MATHIEU qui se cachait derrière ces trois identités... le tiercé contenait quand-même la bonne réponse !
On peut supposer que lors de la déclaration de ses enfants, Jacques BRUERE faisait bien attention à appeler sa femme selon son propre état civil, ce qu’il n’aurait pas fait lors du recensement de 1846 à Pocé, prénommant sa femme avec son prénom usuel (a priori Julie) et faisant une confusion entre le prénom et le nom de son beau-père Michel MATHIEU.
Un demi-siècle plus tard, lors de son mariage, son petit-fils ne donne que le premier prénom de sa grand-mère, en omettant son deuxième prénom pourtant probablement le prénom usuel. Il conserve le patronyme MICHEL restant peut-être dans la mémoire familiale (bien que le décès de sa grand-mère ait eu lieu seulement trois ans auparavant, et malgré l’acte de décès indiqué comme étant fourni lors de ce mariage et qui était bien au nom d'Anne Julie MATHIEU...).

De l'utilité de bien s'appuyer sur toutes les informations d'un acte

Douze individus sur quatre générations et dans quatre départements différents auront permis de s'assurer que trois noms différents renvoient bien à une seule et même personne !

L'arbre complet qui a permis de vérifier l'identité d'Anne Julie MATHIEU

L'arbre complet qui a permis de vérifier l'identité d'Anne Julie MATHIEU
(sources : cf. en fin d'article ; © Scribavita)

Cette douzaine d’étapes et la trentaine d'actes consultés montrent combien il est important de bien s’appuyer sur toutes les données que les actes fournissent, et de les analyser avec méthode.

Si je n’avais pas fait attention que lors de son mariage, les parents de Pauline habitaient dans une toute autre commune que celles connues, puis si je n'avais pas remarqué les liens familiaux des témoins déclarant le décès de Jacques BRUERE (et heureusement que ce sont ces membres de sa famille qui l’ont fait !), et enfin si je n’avais pas creusé autour, je n’aurais jamais trouvé qu’il était parti à près de 300 kilomètres de ses terres natales avant d’y revenir quelques années plus tard, pour en parcourir encore 130 et finir sa vie dans une nouvelle région...

Jacques étant le fameux mouleur en sable qui a signé une statue (ou son frère) figurant dans l'église de Pocé-sur-Cisse, et étant fondeur dans les actes où il apparaît à Rochefort, on peut supposer qu’il a travaillé dans la fonderie de Rochefort (qui fabriquait des canons de la marine). C’est dans cette ville qu’il aurait rencontré sa femme et qu'il a eu son premier enfant, avant de revenir dans sa région natale et travailler dans la fonderie de Pocé, juste à côté de son village d’origine.
Reconstituer son parcours et l’enchaînement (géographique) de ses étapes de vie m’annonce un programme de recherches et de découvertes alléchant !...


[1] Epine que j’ai résolue une deuxième fois pour vous la raconter - l’épluchage des actes en moins -, ayant oublié le cheminement que j’avais fait lors de sa première résolution qui me tint tellement en haleine...


Source de la première photo d'illustration :
Flickr, © Ishai Parasol, modifiée par Scribavita


Sources :

Article écrit par Chantal, le 11 janvier 2015

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