Sophie nous propose d'évoquer nos épines généalogiques dans son généathème de janvier (bon, j'arrive un peu tard, mais j'ai lu son billet en février...).
Mon épine n'en est plus vraiment une puisque je me la suis retirée du pied, mais j'avais envie de la partager car elle m'a donné du fil à retordre alors que sa solution est d'une simplicité déconcertante...
Les actes notariés par lesquels tout commence
Tout commence à la lecture d'un acte notarié passé en 1833 consistant en la vente d'un bâtiment par les consorts Perrier aux mariés Desvignes. Je fais des recherches sur les propriétaires et habitants successifs de la maison de famille de mes beaux-parents, et j'arrivais tout juste dans la famille Desvignes. L'acte en question a donc été passé en présence des parties suivantes :
- Benoît Riondelet, marié à Elisabeth Perrier,
- Joseph Berger, marié à Clémence Perrier,
- François Carret, marié à Jeanne Marie Perrier,
- Nicolas Carret, marié à Marie Perrier.
Ceux-ci vendent à Claude Desvignes et Elisabeth Perrier sa femme ledit bâtiment. On apprend également que Elisabeth, Clémence, Jeanne Marie et Marie sont les héritières présomptoires de Claudine Perrier leur soeur, "actuellement privée de ses facultés intellectuelles".
Un deuxième acte notarié, passé le même jour et devant le même notaire, consiste quant à lui en un partage entre les consorts Perrier :
- Marie Perrier, épouse de Nicolas Carret,
- Elisabeth Perrier, épouse de Claude Desvignes,
- Clémence Perrier, épouse de Jospeh Berger,
- Jeanne Marie Perrier, épouse de François Carret.
Celles-ci sont chacune héritières avec Claudine Perrier leur soeur, de un cinquième de Claudine Chazot leur mère veuve de Jean Perrier, décédée un mois plus tôt. C'est Benoît Riondelet, "parent des parties" sans plus d'information, qui a procédé au découpage des biens à se partager.
Le problème : une Elisabeth Perrier est en trop ou manquante...
Nous sommes donc en présence de deux Elisabeth Perrier, apparemment bien distinctes puisque chacune est mariée à un homme différent. Mais dans le premier acte, la logique voudrait qu'Elisabeth Perrier-Riondelet soit la soeur de Clémence, Jeanne Marie, Marie et Claudine (elles vendent toutes ensemble un bien aux mariés Desvignes-Perrier). Alors que dans le second acte, ce serait Elisabeth Perrier-Desvignes la soeur de cette grande fratrie, tout en apprenant qu'Elisabeth Perrier- Riondelet possède a priori un lien de parenté avec la famille. Je tourne le problème dans tous les sens, et la "meilleure" solution que je trouve mais qui ne me satisfait qu'à moitié (et encore), c'est que Claudine a été parfois appelée Elisabeth et qu'elle est la femme de Benoît. Pas très satisfaisant tout cela, je passe donc à autre chose en espérant y voir plus clair avec du recul.
La méthode : un relevé systématique d'un patronyme dans les actes d'Etat civil, les registres paroissiaux et les recensements
Indépendamment de ce problème, j'avais déjà entrepris de relever systématiquement toutes les personnes portant les noms des protagonistes de mes affaires sur une période donnée, dans tous les actes d'Etat civil, les registres paroissiaux et les recensements, de la commune qui m'intéresse. Si la tâche est aisée avec les tables décennales et les vérifications rapides via les actes eux-mêmes, elle devient tout de suite beaucoup plus longue et fastidieuse quand on arrive dans l'Ancien Régime, en l'absence de tables décennales voire de liste synthétique en fin de registre annuel et avec une écriture de plus en plus difficile à déchiffrer.
Le plus important dans cette entreprise, est de noter non seulement les noms et prénoms des enfants et parents, mais aussi (voire surtout, quand il s'agira de débloquer une épine !) de noter tout aussi consciencieusement les noms et prénoms des témoins, parrains et marraines, ainsi que leur lien de parenté avec les parties.
Malgré les inconvénients en temps et en énergie que ces relevés peuvent coûter, fort heureusement, cette méthode apporte de nombreuses solutions. On parvient ainsi rapidement à esquisser les arbres généalogiques de plusieurs branches sur plusieurs générations.
Le début de la solution : nos deux Elisabeth Perrier sont filles de Jean Perrier
Grâce à mes relevés, je constate donc que le père de chacune des deux Elisabeth Perrier qui me posent question se prénomme Jean. Il est vrai qu'avec ça, je suis avancée : Jean, ce n'est pas si courant que cela ;-)... mais c'est une piste non négligeable ! La mère d'Elisabeth Perrier-Desvignes s'appelle Claudine Chazot. Elle est donc bien la soeur de notre grande fratrie. La mère d'Elisabeth Perrier-Riondelet s'appelle quant à elle Jeanne Burnier. Je découvre aussi (je ne sais plus par quel biais...) que ses grands-parents paternels sont Jean Perrier et Elisabeth Aricot.
Il faut donc juste que je trouve le lien de parenté entre Jean Perrier père d'Elisabeth Perrier-Desvignes, et Jean Perrier père d'Elisabeth Perrier-Riondelet ou Jean Perrier époux d'Elisabeth Aricot. Quelque chose me dit que le lien n'est plus très loin : les deux Elisabeth qui me posent question ne seraient-elles pas toutes les deux les filleules de la même Elisabeth Aricot leur grand-mère ?! Les deux pères Jean seraient-ils frères ou sinon cousins ?
Bien que je sois proche du but, je dois suspendre mes recherches par manque de temps. Le suspens est entier, et mon cerveau y travaille sûrement sans s'en rendre compte...
Ca saute aux yeux !
Un peu plus tard, je reprends donc mes notes et mes arbres griffonés sur un papier, quand là, une solution me saute aux yeux : et si les deux pères Jean Perrier n'étaient qu'une seule et même personne ?!... Il a très bien pu se marier une première fois avec Jeanne Burnier, avec qui il aura Elisabeth Perrier-Riondelet. Puis Jeanne sera décédée quelques temps plus tard, et Jean Perrier épousera Claudine Chazot avec qui il aura Elisabeth Perrier-Desvignes et les quatre autres filles.
Je reconsulte alors attentivement mon listing de relevé systématique des Perrier.
J'avais bien relevé le mariage de Jean Perrier avec Claudine Chazot. J'y redécouvre que Jean est veuf !! Et qu'il est le fils de Jean Perrier et Elisabeth Aricot ! Eurêka ! Les deux Jean sont au moins frères, mais si on ne sait pas de qui il est veuf, j'ai la quasi-certitude que c'est de Jeanne Burnier, et donc que ces deux Jean ne forment qu'une seule et même personne !
Les vérifications
Mais mon listing ne montre pas de mariage entre Jean Perrier et Jeanne Burnier. Je reprends les registres sur Internet pour les relire, j'ai très bien pu passer à travers ou ne pas remonter assez loin. On ne va pas être défaitiste tout de suite en n'imaginant pas que Jeanne ait pu être originaire d'un autre village et que le mariage ait eu lieu ailleurs que dans ma commune de référence...
Je retrouvre la naissance de notre Elisabeth Perrier-Riondelet. Elle est bien la fille de Jean Perrier et de Jeanne Burnier, et la petite-fille de Jean Perrier et Elisabeth Aricot. Née en janvier 1779, le mariage de ses parents a pu avoir lieu l'année précédente.
Et ça ne manque pas : je trouve le mariage de Jean Perrier et Jeanne Burnier. Jeanne est originaire d'un village voisin, j'ai la chance que le mariage n'y ait pas eu lieu mais bien dans la commune de mes recherches ! Jean est lui aussi le fils de Jean Perrier et Elisabeth Aricot. Les signatures de l'époux et de son père sont exactement les mêmes que dans l'acte de mariage précédemment évoqué et l'acte de baptême d'Elisabeth Perrier-Riondelet. Malgré cela, il me faut la preuve certifiée qu'ils ne sont pas frères (ça ne serait pas la première fois dans une famille du XVIIIème siècle).
Je repars donc dans l'autre sens, à la recherche du décès de Jeanne Burnier. Bingo (si je puis dire...) : Jeanne est bien décédée en novembre 1780, un mois après avoir donné naissance à un deuxième enfant. Dans les actes de baptêmes et de décès, les signatures de Jean Perrier sont encore les mêmes.
J'estime donc que la probabilité que les deux Jean Perrier pères des deux Elisabeth ne soient qu'une seule et même personne à 99,5%.
Elisabeth Perrier-Riondelet serait la demi-soeur d'Elisabeth Perrier-Desvignes, de Clémence, Jeanne Marie, Marie et Claudine. Que n'y ai-je pensé plus tôt quand on connaît la mortalité de l'époque, notamment des femmes en couche !
L'acte qui fait foi !
Le lendemain de ma trouvaille dont je suis encore toute réjouie, je me rends aux Archives, afin de poursuivre ma quête d'actes notariés sur la famille Perrier pour suivre les mutations du bâtiment qui m'intéresse au départ.
Je trouve l'inventaire après décès de notre Jean Perrier, décédé en l'an V (1797). Ma solution est écrite noir sur blanc (enfin marron foncé sur blanc jauni...) : Claudine Chazot, femme du décédé, est la tutrice de leurs cinq filles Marie, Elisabeth, Clémence, Jeanne Marie et Claudine, toutes mineures. Elisabeth Perrier est la fille unique du premier mariage de Jean Perrier avec Jeanne Burnier.
Ce n'était donc pas si compliqué !
Un peu de méthode, de la persévérance, de la chance : tous les ingrédients nécessaires pour mener à bien une recherche généalogique m'ont permis de résoudre mon épine. Un peu plus de jugeote m'aurait toutefois permis d'imaginer la solution plus tôt...
Ma dernière découverte dans l'inventaire après décès est arrivée à point nommé. J'avais la confirmation de ce que j'avais intuité à 99,5%, sans que la réponse ne me soit apportée "bêtement" si je l'y avais lue avant de comprendre tout ce que je viens d'expliquer !
Le plaisir des recherches et des trouvailles, y'a que ça de vrai !!