Dans mon article où je vous racontais comment un simple cultivateur avait été condamné au bagne suite à un infanticide sur son enfant illégitime, je vous disais ne pas avoir trouvé ce qu'était devenue la mère de l'enfant, Jeanne Marie Casset, après les faits et le jugement.
L'une de mes lectrices, Frédérique, que je remercie encore, a trouvé plusieurs informations la concernant. Cela m'a permis de poursuivre les recherches. Voici donc une partie du dénouement de son histoire.

Un acte de mariage évident à trouver...

Jeanne Marie Casset, née le 15 novembre 1836 à Saint-Martin-en-Haut (département du Rhône), a donc vu son enfant qu'elle avait eu de manière illégitime avec Jean Marie Mazenod tué par ce dernier à sa naissance, en février 1859. Trois mois plus tard se tient un procès pour juger les protagonistes de l'infanticide. Jean Marie est condamné à 20 ans de travaux forcés (c'est ainsi qu'il décèdera au bagne de Guyane fin mai 1860). Jeanne Marie est quant à elle acquittée.

Mes recherches dans les tables décennales des communes attendues étaient restées sans résultat. Pourtant, quand on ne passe pas à travers, on voit bien une Jeanne Marie Casset qui se marie à Saint-Martin-en-Haut en 1861 : merci Frédérique !

L'acte de mariage du 3 février 1861 à Saint-Martin-en-Haut nous permet d'identifier notre Jeanne Marie Casset : mêmes dates et lieux de naissance, mêmes parents, c'est bien elle.
Jeanne Marie, cultivatrice, alors âgée de 24 ans, épouse Ennemond Mintignieux, cultivateur de 30 ans.

... mais pour lequel l'union ne semble pas une évidence

La lecture (attentive cette fois...) de l'acte de mariage apporte son lot de surprises.

Une question de domicile

Ennemond Mintignieux demeure avec ses parents, au hameau de Chez-Ville (commune de Saint-Martin-en-Haut). Jeanne Marie

"demeur[e] au dit hameau de Chez-Ville et actuellement au domicile de ses père et mère, dite commune de Saint-Martin hameau de Mintignieux"

J'ai rarement vu cette distinction entre les lieux d'habitation d'une épouse (je suppose les domiciles officiel et officieux). Sans doute faut-il y voir une subtilité par rapport aux mœurs de l'époque ; j'avoue ne pas savoir jusqu'à quel point il était alors usuel et accepté qu'une femme habite chez son futur époux avant le mariage...
On pourra aussi sourire en voyant que le nom du lieu-dit du domicile parental de Jeanne Marie est le même que le nom de famille de son futur époux.

Du consentement des parents

La seconde surprise et non la moindre de cet acte concerne les parties relatives aux consentements des parents des époux. Les deux mariés sont majeurs, mais les parents ont quand-même, pour la forme, leur mot à dire sur le mariage.
Si les parents de Jeanne Marie consentent tous les deux au mariage (on peut même imaginer un certain soulagement de caser leur fille au passé "compliqué"), il n'en est pas de même de ceux d'Ennemond,

"procédant [...] du consentement de son père, sa mère dissidente"

Celle-ci ne semble d'ailleurs pas être présente au mariage.
Je n'avais encore jamais vu une telle expression dans un acte de mariage. La belle-mère était-elle contre ce mariage à cause de l'infanticide que Jeanne Marie avait subi ? Plus simplement parce qu'elle avait eu un enfant illégitime, quand "tant" de jeunes femmes étaient dans le même genre de situation à l'époque ?... Difficile de savoir !
Malgré tout, un contrat de mariage avait été passé devant un notaire entre les futurs époux deux semaines auparavant. Dans celui-ci, le futur époux

"procède du consentement de son père présent"

Mais rien n'est précisé sur ce qu'il en est de sa mère. La future épouse procède quant à elle du consentement de ses deux parents.
Les futurs mariés se distinguent également par le contenu de leurs dots. La future épouse apporte divers biens pour un montant de 265 Francs : trousseau, garde-robes et bois de lit, ainsi qu'une somme de 700 Francs, soit un total équivalent à près de 5 000 salaires horaires d'un manœuvre [1]. Son père,

"voulant donner des preuves de la satisfaction que lui fait éprouver le présent mariage, a déclaré faire donation pure et simple en avancement d'hoirie [héritage] au profit de Jeanne Marie Casset sa fille [...] une somme de 400 Francs"

Le futur époux n'apporte quant à lui rien, ni par lui-même, ni par ses parents, et encore moins sa mère.
En effet, il faut attendre la fin de l'acte, quand le notaire récapitule les parties présentes à travers les (non-)signataires, pour comprendre qu'elle n'est pas présente. Mais le notaire ne voulant sans doute pas faire de vague, il ne parle purement et simplement jamais d'elle...

Une (belle-)mère pas très conciliante

Histoire de mieux comprendre cette femme, j'ai voulu savoir si elle avait réservé le même sort à ses autres enfants lors de leur mariage. Sans difficulté, j'ai trouvé qu'Ennemond avait effectivement un frère qui s'était marié un an après lui (Jean, le 24 janvier 1862, dans la même commune). Notre (belle-)mère est cette fois un peu plus mesurée dans son refus au mariage, puisque Jean procède

"du consentement de son père ici présent, nonobstant l'absence et le refus de sa mère"

Là encore, un contrat de mariage avait été passé deux semaines auparavant.
Les dots de chacun des mariés sont plus conséquentes que dans le mariage précédent ; des recherches dans l'état civil permettent de supposer que Jean est le fils aîné de la famille, à qui la majeure partie des biens parentaux est donc probablement transmise, alors qu'Ennemond est de quatorze ans son cadet.
Le consentement des parents n'est pas évoqué, et comme précédemment, aucune mention n'est faite concernant la mère du futur époux et sa présence.

Qui est donc cette mère qui ne se déplace jamais lors des actes de vie importants de ses enfants, voire qui va à leur encontre ? La recherche de tous les mariages et leurs contrats éventuels de tous les frères et sœurs d'Ennemond et de Jean permettrait de vérifier si elle a adopté le même comportement pour chacun d'eux, ou si elle en "voulait" seulement à quelques uns... Si un jour je mène une étude longitudinale sur le mariage et les consentements des parents, je ne manquerai pas de m'appuyer sur ces données qu'il me reste à trouver ;-)...
De votre côté, avez-vous déjà été confrontés à ce type de comportement ?

La famille d'Ennemond Mintigneux et Jeanne Marie Casset

Mais revenons-en à nos premiers protagonistes de l'affaire, Ennemond Mintigneux et Jeanne Marie Casset.
Comme me l'a fait remarquer ma lectrice Frédérique, Ennemond et Jeanne Marie ne semblent pas avoir eu d'enfants. Aucune naissance Mintigneux n'apparaît dans les tables décennales de Saint-Martin-en-Haut entre 1861 et 1892. De plus, le recensement de 1872 montre qu'ils habitent toujours dans cette commune, au lieu du Villard. Leur foyer n'est alors constitué que d'eux deux.

Finalement, Ennemond décèdera à l'âge de 76 ans, en 1906, à Saint-Martin-en-Haut. Le décès est déclaré par un neveu et par un voisin. La table des successions et absences indique qu'Ennemond était indigent et qu'il n'a pas d'héritier.
Jeanne Marie décèdera quant à elle à l'âge de 82 ans, en 1919, à l'hospice de la même commune. D'après la table des successions et absences, Jeanne Marie ne laisse aucun héritier.

Jeanne Marie décède ainsi probablement sans avoir eu d'enfant, probablement après 60 ans de regrets et d'incompréhension dans ce qu'il lui sera arrivé "juste" parce que son "amant" était tombé dans la folie l'espace de quelques minutes après son accouchement...


[1] Calcul tiré de l'excellent ouvrage "La valeur des biens, niveau de vie et de fortune de nos ancêtres", Thierry SABOT, Collection Contexte, Ed. Thisa, 2012

Sources :

  • Frédérique pour ses lectures attentives et ses découvertes
  • Archives départementales du Rhône, Etat civil et recensement à Saint-Martin-en-Haut, Contrats de mariage devant Maître Quinet (notaire à Saint-Martin-en-Haut) de 1861 et devant Maître Passaquay (notaire à Saint-Symphorien-sur-Coise) de 1862, Tables des successions et absences de Saint-Symphorien-sur-Coise 1905-1915 et 1916-1922
  • Photo d'illustration : Freepik, par www.sxc.hu, retouchée par Scribavita

Article écrit par Chantal, le 7 février 2015

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