Lors d'un week-end pluvieux, je suis partie en expédition dans le grenier de la vieille maison familiale. Furetant à droite et à gauche pour le débarrasser de ses antiques reliques inutiles selon les uns, d'une très grande richesse (généalogique) selon les autres, j'y ai effectivement découvert un fabuleux trésor ! Un coffret en bois d'une trentaine de centimètres de large, bien poussiéreux et usé par le temps, m'attendait là, sans que personne ne l'ait vu depuis des années alors que toute la famille était passée par là à plusieurs reprises !
Je vais mettre à profit le généathème de mars pour vous faire découvrir une partie des fabuleux objets légués par mes ancêtres et contenus dans cette capsule spatio-temporelle.

Je soupesais le coffre, qui avait l'air assez lourd : il ne devait donc pas être vide ! Après avoir déverrouillé la serrure non sans mal, je sentais mon cœur battre la chamade quand je soulevais le couvercle avec précautions. Que contenait-il ?!...

La première chose que je découvrais fut le papier suivant, un peu chiffonné et usé mais pas tant que cela :

Mes gènes, nos gènes, divers et variés

Une petite phrase riche de sens
(source : © Scribavita)

Ah ça, c'est sûr que mes ancêtres m'ont transmis leurs gènes divers et variés... et depuis des générations et générations, à chaque nouvel individu, la moitié d'un patrimoine disparaît... mais une autre moitié se transmet et se mélange à celle de son conjoint pour faire naître quelqu'un d'unique ! Bon, ça ne fait pas "si" longtemps qu'on connaît les gènes, donc l'ancêtre qui a déposé ce papier dans ce coffret doit être assez récent. Mais comme ça concerne tous mes ancêtres, savoir qui l'a légué plutôt qu'un autre n'est pas ce qui a le plus d'importance...

Je voyais de nombreux objets amoncelés dans le coffre, et j'avais déjà hâte de tous les découvrir ! Je mis alors la main sur cet étui en cuir.

Etui en cuir

Etui en cuir
(source : Gilles Péris y Saborit / Flickr / CC BY-NC 2.0, modifiée par Scribavita)

Celui-ci n'a rien d'exceptionnel, me direz-vous... J'ai pensé au début qu'il avait appartenu à l'un de mes ancêtres. Et puis en y réfléchissant bien, je me suis rappelé que l'un de mes arrières-grands-pères maternels était gaînier, et je suppose que c'est lui qui l'a fabriqué. Gaston HEMERLIN, SOSA 12, était donc gaînier à Paris à la fin du XIXème siècle - début XXème ; en voyant cet étui, je l'imagine me raconter son métier :

Mes parents sont morts jeunes. Si mon oncle paternel, Alfred Eugène, était mon tuteur tant que mes frères et sœurs et moi n'étions pas majeurs, j'ai dû trouver un métier très jeune. Agé de même pas 20 ans, je suis devenu gaînier.
Comme son nom l'indique, le gaînier est l'artisan qui fabrique des gaînes. Cela recouvre la fabrication de nombreux objets, tels que des écrins, des fourreaux d'épées, des boîtes, des écritoires, des coffres, et tous ces ouvrages couverts de chagrin, de maroquin, de veau et de mouton. Le gaînier peut aussi fabriquer des flacons, des bouteilles, et des ouvrages de même sorte en cuir bouilli. On orne souvent les ouvrages avec de riches dorures au fer. Chaque ouvrage est unique ! C'est l'une des choses que je préférais : faire à chaque fois un objet unique, quasiment sur-mesure !
C'était d'ailleurs un métier un peu dans la continuité de celui de mon grand-père, Joseph, ébéniste en fauteuil. Même si je ne l'ai pas connu, il m'avait sans doute transmis son amour du travail bien fait et sa dextérité dans le maniement d'outils divers et variés.

Je découvrais ensuite un exceptionnel papier rose cartonné, vous savez, celui que tous les futurs jeunes conducteurs attendent avec impatience :

Certificat de capacité de conduite

Certificat de capacité
(source : photomontage réalisé par Scribavita à partir de la photo cc Siren-Com / Wikipedia / CC BY-SA 2.5, et d'une photo de Claude Marie Giraudet (collection familiale))

Avec la photo, aucun doute à avoir sur son propriétaire ! Ce certificat de capacité de conduite appartenait à mon autre arrière-grand-père maternel, le SOSA 14, Claude Marie GIRAUDET. D'abord serrurier-mécanicien possédant son propre fond de commerce, il était chauffeur mécanicien et chauffeur de maître au début du XXème siècle à Saint-Julien-en-Jarez[1]. D'après la légende familiale, Claude est le premier habitant de Saint-Chamond (dans la Loire) à avoir eu le permis de conduire. Quelle émotion en voyant ce papier rose qui a ainsi voyagé dans le temps ! J'entends Claude me raconter les anecdotes sur son métier :

En 1905, à la naissance de ma fille, j'habite rue de Lyon, chez Monsieur Meillat, et je suis chauffeur mécanicien. En 1906, mon patron est désormais Monsieur Satre, époux de la Vicomtesse de France.
A cette époque, les voitures en étaient à leurs balbutiements. Pour en conduire, il fallait posséder le certificat de capacité automobile, créé en 1899. Celui-ci unifiait la réglementation de la conduite automobile en France jusqu'alors un peu disparate sur l'ensemble du territoire. Ainsi, l'article 11 disposait que "nul ne pourra conduire une automobile s'il n'est porteur d'un certificat de capacité délivré par le préfet du département de sa résidence, sur l'avis favorable du service des mines", et l'article 32 prévoyait le retrait de ce certificat par arrêté préfectoral "après deux contraventions dans l'année". Ca ne rigolait pas !... Le terme de "permis de conduire" apparaîtra sur un décret de 1922.
En tant que chauffeur mécanicien, mon rôle était donc délicat : je devais connaître la conduite et savoir bien manier mon véhicule, quelles que soient les configurations des routes auxquelles il n'était pas forcément bien adapté. Je devais être entraîné à l'observation d'un environnement où les voitures étaient rares et dans lequel tous les modes cohabitaient : calèches tirées par des chevaux, tramways, et bien sûr piétons et vélos. Je devais identifier les plaques de cocher fixées par exemple sur les murs, ainsi que les panneaux de signalisation fixés sur des poteaux, heureusement très peu nombreux : quatre panneaux différents existaient en 1909 ! Tout cela nécessitait donc un certain sang-froid et une habileté peu communs. Je devais aussi connaître les différents organes mécaniques de la voiture, pour pouvoir l’entretenir et réparer toute panne impromptue... Les voitures n'étaient pas si fiables que ce qu’elles pourront devenir au fil des années, il ne s'agissait donc pas de tomber en rade, surtout quand on conduit son patron !
Les photos ci-dessous prises en 1898-1899 à Paris montrent un peu ce que pouvait être mon quotidien.

Comment on devient chauffeur planche 25
Comment on devient chauffeur planche 27
Comment on devient chauffeur planche 33

Chauffeur mécanicien à la fin du XIXème siècle
(source : Jules Beau, "Photographie sportive – Reportage photographique - 1898-1899 : Comment on devient chauffeur" (planches 25, 27 et 33), Paris ; Gallica)

En 1911, j'aurai un deuxième enfant, un fils. Toujours employé par Monsieur Satre, la Vicomtesse de France nous fera l'honneur d'en devenir la marraine.

Des objets tous plus extraordinaires les uns que les autres étaient empilés avec soin dans le coffre. Je découvrais avec émotion un poids de 200 grammes en fonte, un petit morceau de coke, un dé à coudre, un fer à cheval. Puis un nouveau petit papier faisait son apparition :

Amour du travail bien fait

Une autre petite phrase riche de sens
(source : © Scribavita)

Nombre de mes ancêtres, plus particulièrement du côté maternel, étaient artisans. Je suppose que cette phrase émane de l'un d'eux, même si je pense que tous mes ancêtres, à travers le métier qu'ils ont exercé, aimaient forcément le travail bien fait... Ils m'ont effectivement transmis cette exigence envers moi-même et à l'égard d'autrui, et pas qu'à travers ce petit papier...

Je continuais de découvrir tout ce que contenait ce coffre magique : une enveloppe remplie d'argile jaune-orange, quelques clous en fer forgé, de magnifiques cocons de soie, une assiette percée à peine ébrêchée, un rabot en bois, une serpette presque neuve. J'atteignais le fond du coffre. Il restait encore une navette en bois avec son fil de coton. Quel voyage dans le temps et à travers les métiers de mes ancêtres ! Quelle chance qu'ils y aient déposé successivement tous ces objets de leur quotidien ! Il ne me restera plus qu'à identifier les propriétaires de chacune de ces petites attentions, mais j'ai déjà mes idées...
Enfin, le fond du coffre était recouvert d'un lit de terre. Avec la quarantaine d'agriculteurs et équivalents que je compte déjà parmi mes ancêtres, qui se sont succédés sur plusieurs siècles, la terre me rappelle où je puise la majorité de mes racines... Quel beau symbole que de transmettre cet "objet" source de vie et que mes ancêtres agriculteurs avaient peut-être eu tant de peine à avoir...
En grattant un peu la terre, je devinais un petit quelque chose dessous... Quelque chose serait-il encore caché dans le coffre, après tout ce que j'ai découvert ?!... Je dégageais en effet un dernier papier, à peine abîmé par le poids des ans :

La vie

Une dernière petite phrase riche de sens
(source : © Scribavita)

Ah ça, la vie ! C'est bien ce que tous ces ancêtres se sont transmis les uns aux autres, et m'ont donné. Sans tous ceux qui ont déposé quelque chose dans ce coffret, de génération en génération, et tous les autres, je ne serais pas là. Sans leurs vies, heureuses ou plus difficiles, sans leurs forces, leurs caractères, leurs valeurs, je ne serais pas celle que je suis aujourd'hui, je ne serais pas ici à découvrir avec bonheur tout ce qu'il m'ont transmis, sciemment ou non...
Forte de toutes les émotions que m'avaient procurés tous ces objets, je les y rangeais méthodiquement comme je les y avais trouvés. Et je n'omettais pas d'y glisser à mon tour un objet, je l'espérais riche de sens pour ceux qui trouveraient ce coffret plus tard : mon arbre généalogique, rassemblant tous ceux des quatre coins de la France dont j'étais originaire et qui avaient construits ce coffret au fil des années et des siècles !


[1] Commune rattachée à Saint-Chamond (Loire) en 1964

Sources :

  • Première photo d'illustration : Pixabay
  • La gainerie sur Wikipedia
  • Le permis de conduire sur Wikipedia
  • Les panneaux de signalisation routière sur Wikipedia
  • Jules Beau, "Photographie sportive – Reportage photographique - 1898-1899" : "Comment on devient chauffeur" (planches 25, 27 et 33), Paris sur Gallica
  • Saint-Chamond sur Wikipedia

Article écrit par Chantal, le 8 mars 2015

Blog Comments powered by Disqus.

Article suivant Article précédent