Suite à mon précédent article présentant les différents types de noms donnés aux enfants naturels nés de mère connue, nous allons découvrir dans un premier temps le devenir des enfants qui ont reçu le nom de leur mère. Celui-ci sera-t-il en lien avec leur mère, et sera-t-il différent de celui des enfants dont le nom a été inventé ?
Dans le précédent article, nous avions vu que sur les 39 enfants nés entre 1840 et 1872 de mère connue, un peu plus de la moitié (22) avaient reçu le nom de leur mère. Les 17 autres s’étaient quant à eux vu attribuer un nom différent, le plus souvent tiré du nom d’un lieu-dit du village. Nous nous étions alors interrogé sur les causes de ces différences, et, ne pouvant pas explorer la piste d’un choix délibéré et émanant uniquement du maire, nous voulions savoir si le devenir de ces enfants vis-à-vis de l’abandon, connu a priori dès la déclaration de la naissance, avait eu une influence sur le nom qui lui était donné.
C’est ce que nous allons voir dans cet article, en étudiant d’abord le devenir de chacun des 22 enfants ayant reçu le nom maternel. Le tout prochain article étudiera quant à lui le devenir des enfants ayant été nommé d’une autre façon.
Pour éviter les confusions entre prénom et nom de famille, nous écrirons systématiquement ce dernier en majuscules.
A la recherche des actes d’état civil concernant ces enfants
Pour identifier le devenir de ces enfants, j’ai cherché leurs actes de décès ou de mariage, leur présence dans des recensements, voire l’acte de mariage de leur mère qui mentionnerait une reconnaissance éventuelle et le cas échéant un changement de nom. Mon principal outil de recherches a été Filae par souci de rapidité, complété si nécessaire par la consultation complète des actes sur le site des Archives départementales de l’Allier ou d'autres plus ponctuellement, quand je n’avais eu accès qu’au relevé de l’acte, afin de bien y lire toutes les informations qu’il contient et procéder à une analyse complète.
L’analyse suivante se base sur l’étude du devenir de 22 enfants naturels qui avaient reçu le nom de leur mère.
On perd la trace de deux enfants
Deux enfants sont restés introuvables en dehors de leur acte de naissance (Catherine FILIATRE née en 1850 et Virginie FAUCHERON née en 1869) : je ne les ai trouvées ni dans un acte de mariage, ni dans un acte de décès, ni dans un recensement (ayant uniquement consulté ceux indexés sur Filae, c’est-à-dire ceux de 1872 voire 1906). Je n’ai pas trouvé plus d’information concernant leur mère (respectivement Marie FILIATRE née environ en 1830 et Madeleine FAUCHERON née environ en 1857) après la naissance de leurs filles.
Le devenir de quatre enfants en lien avec leur famille n’est pas identifiable car ils sont décédés avant l’âge d’un mois
92 % des enfants trouvés déclarés à Audes entre 1835 et 1853 étant âgés au maximum d’un mois (cf. le précédent article Les noms donnés aux enfants naturels nés à Audes), et bien que la période soit différente, nous avons conservé cet âge limite pour décider si un bébé pouvait potentiellement encore être abandonné ou demeurerait chez sa mère. Ainsi, on ne peut pas trancher sur le devenir de quatre enfants :
- Magdeleine BARGEMIN, née le 26/12/1854, décède mois d’un mois plus tard, elle est la « fille naturelle de Marie BARGEMIN » (et ajouté avec un renvoi en mention marginale « et de père inconnu »),
- Marie FRADIER, fille de Catherine FRADIER, meurt à l’âge de 15 jours le 6/02/1860,
- Gilbert TOURNEAU, fils d’Amélie TOURNEAU, décède âgé de 17 heures le 13/10/1869,
- Marie ÉDARD/ÉDART, fille de Jeanne EDARD/EDART, est âgée d’un jour à son décès le 19/12/1870.
Ces enfants sont décédés dans le domicile de leur mère, mais compte tenu de leur très jeune âge alors, on ne peut pas savoir si celles-ci allaient les élever ou si elles auraient eu l’intention de les abandonner.
Le graphe ci-dessous indique les différentes proportions de ces deux catégories et celle de la suivante où les enfants sont restés en lien avec leur famille.
Source : Scribavita
Seize enfants sont restés en lien avec leur famille
Tous les autres enfants qui ont pris le nom de leur mère ont grandi ou ont vécu avec elle ou leur famille. On peut noter différentes particularités.
Trois enfants sont décédés entre l’âge de 3 et de 16 mois
A chaque fois, le nom de leur mère est précisé et correspond bien à celui de l’acte de naissance.
Ces enfants habitaient encore tous chez celle-ci ou chez les parents de celle-ci :
- Marie VINCENT, fille de Marguerite VINCENT, meurt âgée de 16 mois le 17/11/1859,
- Pierre VINCENT, fils de Françoise VINCENT né le 25/08/1859 décède à 3 mois,
- Madeleine VACHER, fille de Catherine VINCENT, née le 8/10/1869, vit jusqu’à l’âge d’un an et demi.
Quatre autres enfants ont été reconnus par au moins l’un de leurs parents
Trois enfants ont été reconnus à l’occasion du mariage de leur mère et prennent le nom de leur père :
- Jeanne MORICAUD, née en 1863, a été reconnue et légitimée par ses parents lors de leur mariage en 1867 alors qu’elle avait 4 ans,
- Françoise CHARRIÈRE née en 1866 voit ses parents se marier deux ans plus tard,
- Marie FAVARDIN, née en 1869, est reconnue par l’acte de mariage de ses parents alors qu’elle est âgée de 9 mois.
Un autre enfant a été reconnu par sa mère un mois avant son propre mariage : Claude DEPEIGE, né en 1863, est reconnu par sa mère Elisabeth DEPEIGE en 1892. Il se marie un mois plus tard. Sa femme est d’ailleurs née de père et de mère inconnus à Paris, elle avait sans doute été placée dans un foyer bourbonnais.
Quatre autres enfants habitent avec leur mère voire sa famille élargie
Les recensements permettent d’identifier quatre enfants ayant vécu avec leur mère et/ou sa famille élargie. Ainsi, en 1872 :
- deux enfants vivent uniquement avec leur mère (François VINCENT né en 1861, frère utérin de Pierre VINCENT né en 1859 évoqué précédemment, et François CRÉTAUD né en 1871),
- un enfant vit avec sa mère et un premier enfant de celle-ci (Marie FRANÇOIS, née en 1871),
- un enfant vit dans un foyer plus élargi : Marcelin CHAMBAREAU, né en 1868, habite avec son oncle, indigent, les deux fils de celui-ci, sa mère, indigente, et un premier enfant de celle-ci (également enfant naturel, né six ans avant son frère utérin dans un village limitrophe d’Audes où habitaient des oncles).
On peut ajouter :
- Claude DEPEIGE, né en 1863 et évoqué précédemment, habite en 1872 avec sa grand-mère maternelle de 63 ans, sa mère de 27 ans, un garçon enfant assisté de Paris de 4 ans, et une journalière de 60 ans, veuve, a priori sans lien de parenté avec les autres membres du ménage,
- Jeanne BEAUJON née MORICAUD en 1863, évoquée précédemment, que l’on retrouve dans le ménage de ses parents en 1872.
La mère de deux autres enfants est présente à leur mariage
Jean PERRINAUD, né en 1858, se marie en 1879, et Victor DAGOIS, né en 1859, se marie à l’âge de 28 ans. Leur mère est présente et consentante à leur mariage.
Deux autres enfants ont perdu leur mère mais sont en relation avec la famille de celle-ci
La mère de Marguerite DÉNOUX née en 1852, Marie DÉNOUX/DESNOUX, décède alors que sa fille est âgée de 7 ans. Dix ans plus tard, celle-ci meurt à 17 ans et demi dans un village voisin, chez son oncle où elle habitait. On peut supposer qu’elle habitait chez lui depuis le décès de sa mère.
Jean ÉDART (frère utérin de Marie ÉDARD/ÉDART née et décédée en 1870 évoquée précédemment), né en 1872, se marie en 1899. Sa mère et ses aïeuls sont tous décédés (sa mère alors qu’il avait 4 ans), mais ses témoins sont un oncle et un cousin. On peut faire l’hypothèse qu’il habitait avec cet oncle ou le père de ce cousin depuis le décès de sa mère.
Un enfant avait perdu sa mère et sa grand-mère à l’âge de deux ans mais on ne sait pas quelles relations il a eu avec sa famille ensuite
Mélanie SOULIER, née en 1863, a perdu sa mère Félicité SOULIER (sœur de mon ancêtre Jeanne SOULIER) quand elle avait 2 ans en 1865, puis sa grand-mère deux mois plus tard. Elle-même finit par décéder en 1867 à l’âge de 4 ans et demi, « dans la maison de Marie GODIGNON », sans qu’il ne soit précisé si un lien de parenté lie Mélanie et Marie. Il est donc difficile de dire si Mélanie serait restée en lien ou non avec sa famille. A noter qu’au moment du décès de sa mère et de sa grand-mère, elle avait alors encore au moins un oncle habitant dans le village. Dans le recensement de 1866, Mélanie est « pensionnaire » et « enfant naturelle » chez Marie GODIGNON, 70 ans, veuve, et Jeanne MULTON, 85 ? ans, veuve également, habitant au Bourg d’Audes, alors que son oncle Louis SOULIER habite avec sa femme et leur fille âgée d’un an dans un hameau du village.
Le graphe ci-dessous rappelle le devenir des 16 enfants restés en lien avec leur famille.
Source : Scribavita
Le nom maternel attribué à l’enfant signerait que la mère ne comptait pas l’abandonner
Compte tenu de ces éléments, on pourrait donc conclure que lorsque l’enfant a reçu le nom de sa mère, il n’a pas été abandonné (aux « nuances » près des 18 % d’enfants décédés avant l’âge d’un mois pour lesquels il n’est pas possible de trancher). On pourrait donc penser que lors de la déclaration de la naissance, pour laquelle le déclarant connaissait probablement le sort que la mère voulait donner à son enfant, le nom qui a été attribué à l’enfant a suivi la logique d’usage.
Retrouve-t-on l’inverse pour les enfants à qui un nom différent a été donné ? C’est ce que nous verrons dans le prochain et dernier article de la série (ouf !) à paraître très prochainement.
Sources :
- Les registres de naissances de la commune d’Audes de 1840 à 1872 : 2E 10 13 Audes N 1829-1862, 2E 10 16 Audes N 1863-1884 sur le site des archives départementales de l'Allier
- Les registres de décès de la commune d’Audes de 1840 à 1872 : 2E 10 15 Audes D 1830-1862, 2E 10 19 Audes D 1863-1884 sur le site des archives départementales de l'Allier
- Filae