Dans un premier article, nous avons découvert Claude Branciard, soldat qui n’avait même pas 20 ans quand il avait rédigé son testament le lendemain de la mobilisation. Célibataire et orphelin de père, il désirait que tous ses biens reviennent uniquement à sa mère. Puis nous avons suivi son parcours pendant la Première guerre mondiale et la bataille au bois d'Ailly en février 1915 qui lui fut fatale. Cet article va clôturer la narration du parcours de Claude, en révélant comment ses volontés testamentaires ont été exécutées.

Les possessions de Benoît, père de Claude, à son décès

Le père de Claude, Benoît, propriétaire-agriculteur, est décédé ab intestat le 21 décembre 1905 à Pommiers, dans le Beaujolais. Son héritier unique est alors son fils, Claude, encore mineur, sa femme Marguerite ayant la jouissance légale de ces biens. En effet, Benoît et Marguerite étant mariés sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, Marguerite est héritière de l'usufruit du quart des biens dépendant de la succession de Benoît et a la jouissance des biens de son fils.
Un peu plus de deux mois après le décès de Benoît, le 9 mars 1906, un conseil de famille se réunit sous la présidence du juge de paix du canton d’Anse. Le beau-frère de Benoît (mari de sa sœur Antoinette), Philibert Gonet, serrurier à Villefranche-sur-Saône, devient le subrogé tuteur de Claude.
Moins d’une semaine plus tard, le 15 mars, un inventaire après décès est dressé au domicile de Benoît situé au lieu de Bel Air à Pommiers. La maison d'habitation est donc passée au peigne fin pour en décrire les différents objets et en définir leur valeur.
Cette maison est composée d’une cuisine avec cheminée, de deux chambres à coucher et d’une pièce de vie. Tous les objets de ménage sont listés et prisés.
Ainsi, la cuisine comporte entre autres objets : un poële fourneau, une lampe à pétrole, une lanterne, la vaisselle, la verrerie et les couverts, un moulin à café.
Un bois de lit en noyer et un lit en fer se trouvent dans la première chambre. L’autre chambre comporte deux bois de lit dont un en noyer.
La pièce de vie rassemble une grande table ovale à rallonges, une commode avec les vêtements de Benoît et sa montre en or de la maison Gauthier de Villefranche-sur-Saône, marquée "B. Branciard". Cette seule montre est estimée 90 francs (380 euros actuels[1]). Une armoire contient le linge de lit et de cuisine. Deux placards scellés au mur et de chaque côté de la cheminée contiennent un lot de linges de ménage et deux parapluies usagés pour l’un, de la vaisselle pour l’autre. Quelques accessoires de décoration agrémentent la pièce : une lampe, deux vases, deux petites gravures et une petite glace brisée.
Un grenier et une cave sont également abrités dans la maison. Plusieurs dépendances pour les activités agricoles et viticoles complètent l’habitation : une écurie, un fenil, une cave, un cuvier. L’écurie héberge deux chèvres. Le fenil conserve 100 kilos de foin. Dans la cave, trois foudres (grands tonneaux) contiennent au total 55 hectolitres de vin rouge, la totalité du vin est estimée 495 francs (2075 euros actuels). Le cuvier abrite une cuve cerclée en fer d’une capacité de 52 hectolitres, un poulain, ainsi que divers accessoires agricoles : une charrette à vache, deux charrues hors d’usage et autres petits outils.

L’ensemble de tous ces objets de la maison sont estimés à près de 900 francs (3800 euros) ; on peut remarquer que les seuls trois foudres de vin représentent plus de la moitié du montant des biens familiaux. Bien que dans le recensement de 1896, Benoît et Marguerite soient appelés agriculteurs, en 1901, ils exerçaient la profession de viticulteurs, et les foudres de vin listés dans l'inventaire après décès de Benoît laisseraient supposer qu’ils retiraient la plus grosse part de leurs revenus de la viticulture.

Vendanges

Vendanges, le faiseur de bennes.
(source : Phot-image, Carte postale ancienne – 418 – Vendanges en Bougogne)

Ils possédaient en effet une vigne sur un terrain d’environ 3000 m² (parcelle 333 sur le plan ci-dessous) et un jardin d'environ 600 m² (parcelle 331) a priori juste à côté de la maison (parcelle 332, dont il ne semble pas qu'il aient alors été propriétaires) dans la commune de Pommiers, en limite de la commune de Limas.

Extrait du plan cadastral avec les propriétés de Benoît Branciard

Extrait du plan cadastral avec les propriétés de Benoît Branciard (parcelles 331 et 333). Cliquer pour zoomer.
(source : AD69, Cadastre de Pommiers, section B dite de Bel-Air, cote 3 P 1289)

On peut imaginer que Claude a grandi dans cette maison avec sa mère Marguerite puisqu'on les retrouve au lieu de Bel Air dans les recensements de Pommiers en 1906 où Marguerite est toujours viticultrice, en 1911 où ils sont cultivateurs, et en 1921 (uniquement pour Marguerite bien sûr, alors propriétaire cultivatrice). Marguerite et Claude travaillaient peut-être tous les deux à l’exploitation même si Claude n’avait qu’une dizaine d’années au décès de son père.

L’inventaire après décès décrit également les papiers retrouvés dans la maison : le contrat de mariage de Benoît et Marguerite, la succession des parents de Benoît, et une police d’assurance contre l’incendie pour ces bâtiments. Enfin, Marguerite précise que la somme de 500 francs (2100 euros), soit plus que ce que ne valent les trois foudres de vin, est réclamée à la Communauté par un cafetier-restaurateur de Villefranche-sur-Saône. Benoît aurait-il été un bon vivant qui ne payait pas comptant ?...

Les possessions de Claude au moment où il rédige son testament

A son décès, Claude était âgé de 20 ans et il était alors encore mineur. Il était célibataire.
Outre les biens recueillis dans la succession de son père décrits précédemment (avec les éventuels changements intervenus depuis 1906), la sienne comportait également :

  • un livret scolaire de la Caisse d'Epargne s'élevant au 7 avril 1915 (jour du décès de Claude) à 31,65 Francs (environ 90 euros actuels),
  • un autre livret aussi à la Caisse d'Epargne d'un montant, au jour du décès de Claude, de 351,25 Francs (environ 980 euros).
Ses héritiers en cas de décès ab intestat

Claude aurait laissé comme seules héritières de droit ab intestat :

  • dans sa lignée maternelle : Marguerite Martin, sa mère,
  • dans sa lignée paternelle : Antoinette Branciard, sa tante, veuve de Philibert Gonet qui était devenu son tuteur en 1906 suite au décès de son père. Philibert était décédé à l'âge de 70 ans en décembre 1916 à Villefranche-sur-Saône où il habitait. Le couple n'avait semble-t-il pas d'enfant.
Finalement, les héritiers légaux de Claude se partagent sa succession

Comme nous l’avons vu dans l’article présentant son testament, Claude instituait sa mère comme seule héritière. Toutefois, ce legs universel ne pouvait être exécuté que dans les limites de l’article 904 du Code civil avant sa modification par la loi du 28/10/1916. De plus, en vertu des articles 750 à 754 et 904 du code civil et des motifs indiqués dans un arrêt de la cour de Montpellier du 3/04/1895, Claude Branciard a laissé pour seuls habiles à recueillir sa succession ses héritières de droit en cas de décès ab intestat :

  • sa mère, Marguerite Martin, pour 33/48ème en pleine propriété et 5/48ème en usufruit,
  • sa tante Antoinette Branciard, pour 10/48ème en pleine propriété et 5/48ème en nue-propriété.

Finalement, toutes deux vont se retrouver devant le notaire en novembre 1921 (soit 9 mois après la déclaration du décès de Claude et 3 mois après la révélation de son testament), afin de procéder à la vente de tous les droits successifs d'Antoinette la tante, à Marguerite la mère. C'est cette vente qui nous permet de connaître les règles de succession détaillées précédemment.
La vente stipule que Marguerite jouira des biens ainsi achetés à partir du jour du décès de son fils. Cette vente se fait au prix de 1500 francs (environ 1650 euros actuels). Marguerite paye cette somme le jour de la vente, en billets de la Banque de France.
La succession de Claude se montait donc à 4800 Francs (Antoinette a acheté les 15/48ème de cette succession pour 1500 Francs), soit 5250 euros actuels.

Claude ayant toujours habité avec sa mère à Pommiers, quelles relations a-t-il entretenu avec son tuteur, au point de faire une démarche le lendemain de l'Appel et que peu de mobilisés ont dû faire, afin de permettre à sa mère de conserver le maximum de ses biens ? Etait-ce "seulement" l'amour d'un fils unique pour sa mère devenue veuve, et lui permettre de conserver tous ses biens, ou cela traduit-il d'une façon ou d'une autre les relations avec son tuteur ? Si personne ne peut avoir la réponse, il n'en demeure pas moins que la loi aura eu raison de la volonté de Claude, sa mère ayant dû payer près du tiers de son héritage pour en recouvrer la totalité de la propriété et de la jouissance...


[1] Cette conversion et toutes celles de l'article sont tirées du convertisseur franc-euro sur le site de l'INSEE.

Sources :

  • Première image d'illustration : tirée du livre "Après la pluie, le beau temps" de la Comtesse de Ségur, Edition Hachette de 1893, page 365, sur https://archive.org
  • Archives départementales du Rhône et de la Métropole de Lyon :
    • Cadastre napoléonien de Pommiers : plan de la section B dite de Bel-Air (cote 3 P 1289), matrice des propriétés foncières 1830-1914 (cote 3 E 175/2), matrice des propriétés non bâties 1914-1934 (cote 3 P 175/4), matrice des propriétés bâties 1911-1934 (cote 3 P 175/5),
    • Minutes de 1906 de Maître Morel, notaire à Anse (cote 3 E 1972) : inventaire après décès de Benoît Branciard du 15/03/1906,
    • Minutes de 1921 de Maître Esparvier, notaire à Anse (cote 3 E 41997) : vente des droits successifs par Antoinette Branciard à Marguerite Martin du 09/11/1921,
    • Recensements de Pommiers de 1896, 1901, 1906, 1911 et 1921 (respectivement cotes 6 MP 404, 442, 480, 519 et 559).

Article écrit par Chantal, le 31 mars 2016

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