Pour ce nouveau rendez-vous ancestral, nous sommes de retour à Manissol dans la commune de Saint-Christo-en-Jarez (Loire), le 22 novembre 1856.
Alors que Jeanne Rousset (SOSA 33) est décédée depuis onze ans à l’âge de 45 ans, son mari, Pierre Poyet (SOSA 32) s’est éteint une semaine auparavant, tout juste âgé de 64 ans. Il laisse une fratrie de huit enfants encore vivants dont deux sont mineurs, Jean-Marie le jeune, âgé de 17 ans, et François, 13 ans.

J’avais rencontré Pierre et Jeanne en 1821, un an après leur mariage, dans de précédents rendez-vous ancestraux. Vous pouvez les retrouver ici : Pierre et Jeanne, des anticonformistes ?, Une journée à la ferme, et Pierre, premier Christodaire de notre lignée qui perdure encore.

J’arrive devant la ferme familiale où beaucoup de monde est déjà rassemblé. Je ne connais personne, si ce n’est Pierre fils désormais âgé de 35 ans. Je ne l’ai vu qu’une seule fois, à l’occasion de sa naissance, et alors que son père l’emmenait pour déclarer celle-ci, mais je le reconnais facilement. Ses traits ressemblent tellement à certains de ses descendants que je n’ai aucun doute, c’est sûrement lui ! Il s’adresse avec calme et le regard apaisant à deux jeunes gens. Le premier est un jeune homme aux yeux noircis, probablement Pierre dit Jean-Marie le jeune, 17 ans, ouvrier mineur habitant à Sorbiers, village proche de Saint-Christo. Le second est encore un enfant, il ne fait pas de doute qu’il s’agit de François, 13 ans, qui habite dans la ferme familiale. Trois personnes les accompagnent, un couple d'une cinquantaine-soixantaine d’années et probablement leur fils, d’environ 25 ans. Je ne vois pas de qui il peut s’agir, mais leur proximité avec les trois frères auxquels ils s'adressent semble évidente.
A côté de ce premier petit groupe, quatre femmes d’une vingtaine à une trentaine d’années discutent ensemble. Deux d’entre elles arborent un ventre plus ou moins arrondi, il ne me fait pas de doute qu’il s’agit de sœurs de Pierre fils, Fleurye, 23 ans, et Françoise, 27 ans, enceintes respectivement de huit et cinq mois. J’entends que leur conversation porte sur leurs grossesses, et je suppose que leur interlocutrice qui leur donne des conseils est leur sœur Catherine, 31 ans, déjà mère de quatre enfants. La dernière femme avec elles semble écouter tout cela d’une oreille attentive. Je suppose qu’il s’agit de Marie-Benoîte Fontvieille, 31 ans, la toute récente femme de Pierre fils[1] Trois hommes plus âgés sont à leurs côtés et parlent de leurs dernières récoltes : les choux qui ont bien donné, les navets et les carottes un peu moins, ... Il s’agit sûrement de leurs maris, respectivement Jean-Antoine Rivoirard, 36 ans, Claude Cizeron, 40 ans, et François Cro(i)zier, 48 ans. Ces trois beaux-frères, bien qu’habitant dans différents villages situés entre une dizaine et une vingtaine de kilomètres de Saint-Christo, s’apprécient, et ils aiment discuter de leur vie de cultivateur.
Enfin, deux jeunes femmes échangent quelques mots, le visage boursouflé de larmes. Après avoir fait le tour de la famille, il ne reste plus que Jeanne-Marie et Mariette, âgées de 25 à 30 ans, célibataires. Elles vivent encore à Manissol, et après avoir été confrontées au décès de leur mère il y a onze ans déjà, le départ de leur père les bouleverse.

Pendant que je regarde tout ce petit monde, deux hommes d’une cinquantaine d’années arrivent, le premier accompagné de sa femme. A la ressemblance et à l’air de famille de ces hommes avec tous les autres, je suppose qu’il s’agit de frères de Pierre père. Entendre Pierre fils les interpeller : « Bonjour Le Claude et Marie, bonjour Jeannot ! » me confirme qu’il s’agit bien de Claude Poyet, de sa femme, et de Jean Poyet, tous cultivateurs à Saint-Héand.

Je reste en retrait, car je n’ose pas me montrer dans ce moment empreint d’émotion.
La famille s’est donnée rendez-vous dans la ferme familiale avant d’aller voir le juge de paix à Saint-Héand, afin de provoquer un conseil de famille qui désignera des tuteurs pour Jean-Marie et François. En effet, ils ne veulent pas tarder et préfèrent y aller par eux-mêmes, plutôt que d’attendre la convocation du juge. Ils savent que des règles bien précises s’appliquent pour la composition de ce conseil de famille, sans trop savoir ce qu’elles sont à part la nécessité d’un équilibre entre les branches paternelle et maternelle.

Pierre fils jette un œil dans ma direction. Il paraît à peine surpris et me salue l’œil complice, semblant me reconnaître... Il se détache des autres pour venir me parler.
- C’est bien toi notre descendante et la généalogiste de la famille ? » m’interroge-t-il. Mon père m’avait expliqué que tu étais venue chez eux le jour de ma naissance... C’est même toi qui me portais dans les bras quand il nous a emmené à la mairie déclarer ma naissance !
- Oui c’est bien moi... » lui répondis-je, toute bredouillante d’être reconnue ainsi. Intérieurement, je me dis que c’est assez incroyable que la présence d’une descendante ne surprenne même plus mes ancêtres...
- Il m’avait dit d’être attentif, car il était persuadé que tu reviendrais ! J’étais un peu sceptique, mais je vois qu’il ne s’était pas trompé, même s’il doit regretter de ne pas t’avoir revue ! Il m’avait dit qu’avec tes pouvoirs magiques, ce n’est pas très net pour moi..., tu pouvais accéder à plein d’informations. Tu dois savoir alors qui peut composer un conseil de famille pour qu’on désigne des tuteurs à mes frères mineurs ?
- Euh... oui, je dois pouvoir te dire ça, laisse-moi cinq minutes pour chercher...
Je m’éloigne alors pour sortir mon portable et me connecter à Internet. A la question de Pierre, je regrette encore plus de n’avoir pas réussi à trouver aux Archives départementales le jugement de ce conseil de famille qui doit avoir lieu le lendemain. Mais qu’à cela ne tienne, je vais pouvoir me documenter un peu sur les conseils de famille et les tuteurs. Un petit tour sur Gallica devrait me permettre de trouver une réponse datant de l’époque où nous sommes. Effectivement, très rapidement, je trouve le « Traité des conseils de famille et des conseils judiciaires », dont je choisis l’édition de 1854. Je parcours très rapidement le document de 400 pages puis j’appelle discrètement Pierre.
- Bon alors pour résumer, en plus du juge de paix, le conseil de famille doit être composé de six parents ou alliés habitant dans la commune où sera ouverte la tutelle ou dans des communes distantes d’au maximum 2 myriamètres (20 kilomètres) de celle-ci. Ces six membres doivent être pris pour moitié du côté paternel, et pour moitié du côté maternel, et en suivant l’ordre de proximité dans chaque ligne. Le parent doit être préféré à l’allié de même degré, et parmi les parents de même degré, le plus âgé à celui qui l’est moins. Si les frères germains[2] du mineur et les maris des sœurs[3] germaines sont six ou plus, ils seront tous membres du conseil de famille. C’est parmi les membres de ce conseil de famille que sont désignés les tuteurs, sachant qu’à l’âge de 65 ans accomplis, on peut être dispensé de tutelle. Donc ça veut dire que toi en tant que frère de Jean-Marie et François, ainsi que tes trois beaux-frères, vos « alliés », vous êtes membres automatiquement. Il faut quelqu’un du côté de ton père, ton oncle le plus âgé : Claude. Du côté de ta mère, je ne sais pas exactement lesquels de tes oncles sont encore vivants, mais de toutes façons, ils auraient tous plus de 65 ans sauf Pierre qui en a 63... Ca tombe bien, tout le monde est là, si je ne me trompe ?!... J’y vais un peu à l’intox pour Pierre Rousset, mais je comprends qu’il doit être l’homme d’une soixante d’années accompagné de sa femme Catherine Blanchard et de leur fils Mathieu, 25 ans, que je n’avais alors pas identifiés.
- Oui c’est ça ! » me répond Pierre fils. Je ne sais pas comment tu fais pour savoir tout ça, le XXIème siècle permet vraiment des choses incroyables ! Tu veux que je te présente à toute la famille ? Tu connais tout le monde, mais personne ne te connaît...
- Merci, mais c’est peut-être mieux que je reste en retrait comme cela. Je risquerais d’avoir du mal à convaincre chaque personne d’une telle assemblée, et je ne veux pas prendre le risque de passer pour une folle... On se retrouve demain chez le juge ? Enfin, je resterai discrète, mais j’aimerais bien être là quand-même !
- Et bien si tu veux, oui... A demain.
A ces mots, je me sépare de Pierre fils, le laissant seul pour expliquer aux autres qui devra l’accompagner demain chez le juge, et pour qu’ils réfléchissent ensemble qui choisir comme tuteurs.

(La suite de cet épisode dans Le Conseil de famille)

Vous pouvez retrouver chaque « rendez-vous ancestral » des différents participants via son site Internet dédié : RDVAncestral


[1]Le mariage a été célébré quatre mois auparavant.
[2]Les frères et sœurs germains ont le même père et la même mère. Les frères et sœurs utérins ont la même mère, les consanguins le même père.
[3]Les femmes sauf la mère et les ascendantes du mineur ne sont pas autorisées à être membres d’un conseil de famille.

Sources :

Article écrit par Chantal, le 21 avril 2018

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